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Billet de blog 11 septembre 2022

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Bad Move à Bruxelles : l' "apaisement" c’est la guerre de classes

Le plan régional Good Move est entré en application durant les vacances d’été et d’abord dans les quartiers populaires de la première ceinture bruxelloise. Ce sont les habitants de Cureghem qui se sont réveillés les premiers, un beau matin, au cœur d’un enfer urbain, dans une “prison à ciel ouvert”.

Martin Vander Elst

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous connaissons votre plan, vous vous êtes aperçu que les habitants de Cureghem sont intelligents,

depuis que vous savez qu’ils vous dépassent dans la réflexion écologique et sociale.

Vous avez décidé, et je redis le mot “décidé” des les remplacer, en leur rendant la vie impossible.”  

Jean Genet à propos de Good Move

Jamais une politique publique n’a généré un tel sentiment de rejet. Depuis près de deux mois l'action du Comité non au Plan Good Move de Cureghem a rayonné dans d’autres quartiers bruxellois en voie d’ « apaisement » et les liens commencent à se nouer entre les différents comités. Le 15 septembre pour l'interpellation citoyenne du Comité Cureghem pour exiger un moratoire sur le Plan des travailleurs de la STIB, de Uber, de Heetch, des membres d’autres comités ainsi que des collectifs de cyclistes opposés au plan Good Move vont se joindre au rassemblement place du Conseil. Quelque chose d’important est en train de se passer. Jusque là les interpellations citoyennes, les actions politiques et la concertation étaient entièrement accaparées par le lobby Pro-Good Move et des groupes pro-Vélo proches de Ecolo/Groen. Si on fait l’historique des interpellations citoyennes à Anderlecht ces dernières années, elles émanent toutes d’habitants proches de l’actuelle échevine Groen de la mobilité Susanne Müller-Huebsch et poussent pour la mise en place autoritaire du Plan.

La stratégie « Good Move » est le symptôme d’une forme autoritaire d’éco-libéralisme en Région bruxelloise. Ce plan mammouth est sur les rails et vise à éradiquer l’usage de la voiture dans les communes de la première ceinture bruxelloise. Ce plan interdit les voitures à combustion d’ici 2035. A la lecture des documents, il apparaît avec évidence comment l’élite bourgeoise qui est à la manœuvre peuple l’imaginaire de ce plan de ses propres fantasmes, en totale déconnexion des enjeux écologiques et de justice environnementale : la « clarté des Superielles de Barcelone », la « qualité des espaces publics de Bordeaux », l’ « excellence dans les processus de gouvernance de Copenhague », l’ « articulation multimodale des réseaux de Genève » ou encore la « modernité des services intégrés de Helsinki » semblaient promettre un avenir radieux sur papiers. Cette nouvelle oligarchie créative et culturelle a certainement bénéficié des subsides publics du budget régional « Good Move » pour visiter d’autres grandes villes européennes et remplir les rapports d’évaluation de « bonnes pratiques » importées sans traduction ni prise en compte de l’endogénéité bruxelloise. Les rapports Good Move sont ainsi remplis de projections idéalistes et de propositions prospectives imaginaires : « en route vers une ville en transition ! ». 

Mais dès leur première mise en œuvre dans le quartier de Cureghem à Anderlecht, les rêves éco-libéraux éveillés d’une ville verte et résiliente ont tourné au Bad Trip pour les habitants des quartiers populaires. Ils se sont réveillés un beau matin du mois de juillet pris au piège dans le rêve d’une nouvelle classe bourgeoise en formation, coincés par des blocs de bétons, des sens uniques, des déviations infernales, perdus dans un labyrinthe urbain qui génère davantage de pollution, de congestion, de stress et de dangers. 

Illustration 1
Bad Move

Cureghem à l’avant-garde de la lutte contre l’éco-libéralisme autoritaire 

Le fait que les quartiers populaires jouxtent le centre-ville et que le plan Good Move ait commencé à Cureghem fait que la contestation à ce plan a directement pris une forme sociale. S’ils avaient commencé par Uccle ou Woluwé, on aurait eu un mouvement de droite de type « Not in My backyard » comme on l’a connu contre le survol par les avions des quartiers riches. Mais à Cureghem les choses ont d’emblée pris un autre tour. Le mouvement de contestation n’a donc rien à voir avec une forme de lobbying pro-voiture de type trumpiste comme les Bobos de Saint-Gilles et de Schaerbeek le répètent. C’est d’ailleurs pour ça que le MR reste, pour l’instant, très éloigné et n’offre qu’une contestation très abstraite et très générale. En effet, à Cureghem la voiture est un dispositif social de solidarité. Les voitures sont souvent partagées par différentes familles pour faire les courses au Colruyt ou chez Hmarket, pour conduire les enfants à l’école ou aux activités extra-scolaires, pour aider les personnes âgées et malades, etc. Inversement, les petites familles nucléaires bobos avec leurs Vélo-Cargos font un usage égoïste de leurs moyens de mobilité : elles font leurs petites courses pour elles-mêmes, rarement dans le quartier. Le vélo-cargo est vraiment profilé pour une petite cellule familiale libérale fermée sur elle-même : impossible de ramener les enfants du voisin qui travaille tard de l’école, impossible de faire des courses communautaires, impossible d’organiser l’entre-aide. A Cureghem la question de la mobilité est d’emblée sociale et collective. Les habitants sont également très inquiets de l’impact de l’immobilité produit par le plan Good Move sur la vie commerçante du quartier. Ils savent que la crise Covid et l’actuelle crise de l’énergie ont et auront un impact catastrophique sur l’activité économique du quartier et à Cureghem sans commerces de proximité, il n’y a plus de vie possible. Les questions d’approvisionnement y sont vitales. De leur côté, les bobos ont une vision bien a eux des « commerces de proximité », car il s’agit des commerces de leur propre classe, impayables pour les milieux populaires. Les questions de mobilité, d’énergie, d’emploi, de survie sont intégralement liées aux modes de vie des quartiers pauvres. Les habitants de Cureghem pratiquent depuis plusieurs générations des formes d’écologie de subsistance qui s'appuient entre autres sur un usage communautaire de la voiture. Or ce sont ces modes de vie que le Plan Good Move veut éradiquer au profit d’un mode de vie plus bourgeois structuré sur le vélo-cargo et la famille nucléaire. Pourtant loin d’être un problème, ces modes de vie populaire constituent plutôt une solution écologiste et sociale. 

La majorité à la Région ainsi que les promoteurs du Bad Move dans les Communes s’en prennent à ce qu’ils appellent indistinctement le « trafic de transit », d’une façon qui n’est ni proportionnée ni située. Ainsi les habitants des quartiers populaires comme à Cureghem se retrouvent à payer deux fois la facture carbone. Cette discrimination et ce racisme éco-libéral est pourtant la conséquence d’un laisser faire économique. 

Illustration 2

L’éco-libéralisme est ainsi autoritaire avec les habitants des quartiers populaires et faible et permissif avec les entreprises, les entrepreneurs et les navetteurs.

A l’échelle de la Région, la production de particules fines par les habitants de Cureghem qui utilisent la voiture est dérisoire. Pour mettre en place une ville décarbonée, il faudrait au contraire mettre en place une forme de planification écologique qui passerait par la mise en place d’un RER et de péages urbains, car c’est bien les navetteurs qui polluent les quartiers populaires et non les habitants de ces quartiers. Il faudrait aussi intervenir beaucoup plus drastiquement sur les industries. On sait que 34 % des émissions viennent du seul secteur de l'industrie, ce qui en fait, de loin, le premier pollueur. Suit la production d'électricité et de chaleur avec 23 % des émissions, puis les bâtiments avec 17 % et enfin le transport avec 15 %, dont 10 % pour le seul transport routier, suivent l'aviation et le fret international (Qui réchauffe le climat (et comment) ? Ft. Le Réveilleur/Le Monde, 17 juillet 2022). Alors qu'il faudrait agir avec force sur le transport aérien et maritime et sur l'industrie pour agir sérieusement sur l'emprunte carbone capitalocènique, avec elles l’éco-libéralisme est extrêmement souple, car il s’agit de faire de Bruxelles une ville « attractive » pour les investisseurs.  

Il apparaît clairement qu’au contraire de ce qu’on a pu lire sur les réseaux sociaux, la fronde des habitants de Cureghem n’a rien de « réactionnaire » ou de « pro-voiture ». Elle pose solidement les bases et les contraintes pour un éco-socialisme-à-faire. Cela passera par un moratoire du plan Good Move tel qu’on tente aujourd’hui de l’imposer. Une fois le moratoire acté, il existera alors un rapport de forces suffisant, pour dans un second temps négocier avec les habitants de Cureghem et des quartiers populaires des formes de mobilités qui prennent en compte leurs réalités et leurs stratégies de survie. A la Région sera renvoyée la responsabilité de mettre en place une véritable politique écologiste qui s’attaque en profondeur à la pollution, à la pauvreté, au chômage, à l’énergie et au racisme environnemental. Rien de tout ça ne sera possible sans un soutien franc et massif aux revendications des habitants de Cureghem. C’est pourquoi nous vous attendons le 15 septembre dès 18H sur la place du Conseil à Anderlecht.

2010-2022 : émergence d’une nouvelle classe bourgeoise

Le plan « Good Move » avance comme un plan armé : 4 millions d’euros pour des blocs en béton à Cureghem. Autrefois les néolibéraux projetaient leur front de modernisation avec le mot d’ordre : « on n'arrête pas le progrès ! ». La mémoire populaire bruxelloise se souvient encore de la bataille des Marolles, de la destruction des quartiers de la Gare du Nord dans le cadre du projet Manhattan, des expropriations dans le quartier Midi. Les stigmates des formes passées de bruxellisation se font encore sentir dans la vie quotidienne des Bruxellois. Aujourd’hui, une nouvelle classe créative et néo-bruxelloise avance son « front d’apaisement » avec la même arrogance coloniale : « on n’arrête pas la transition ! ». Bart Dhondt, échevin Groen de la Mobilité et des Travaux publics à la ville de Bruxelles le dit sans atermoiement : « il s’agit d’un Shift modal ». Bart Dhondt comme la majorité des acteurs de cette « transition » n’a pas grandi ni vécu à Bruxelles. Il a grandi à Anvers. Il arrive à Bruxelles en 2012. Elke Van den Brandt est, elle, née le 21 février 1980 à Borgerhout. En 2019, elle devient ministre de la Mobilité au sein du gouvernement de la région de Bruxelles-Capitale en charge du nouveau plan de circulation. Marie Thibaut de Maisière qui est la porte-parole de la ministre bruxelloise de la Mobilité Elke Van den Brandt (Groen) est quant à elle l’héritière de la famille Thibaut de Maisière, ex-chroniqueuse à La Libre, officière de réserve dans la marine belge, présidente de l’association des Chrétiens d’Orient et nouvelle habitante du quartier Flagey. C’est d’ailleurs le seul exemple de « transition » qu’est capable de citer Elke Van den Brandt lorsqu’elle doit définir une perspective positive depuis les très nombreux problèmes que vivent les commerçants impactés par le Plan. Dans sa croisade anti-Voiture, Marie Thibaut de Maisière s’en prend également aux voitures de société alors que nous ne serions, d’après sa petite conscience de classe étriquée, “même pas un pays producteur de voitures” (Tweet, 07/09/2022), oubliant au passage les nombreux emplois de Audi Forest. A Anderlecht, le même décalage se rejoue avec l'échevine Groen de la mobilité, Susanne Müller-Hübsch, échevin responsable du plan d’ « apaisement » de Cureghem : ayant fait ses études de droit à l’Universität des Saarlandes à Saarbrücken en Allemagne, elle a ensuite été assistante politique et de recherche chez les Verts/ALE au Parlement européen, avant de devenir Conseiller communal d'Anderlecht pour Groen/Ecolo en 2012 ; Susanne Müller-Hübsch habite aujourd’hui le quartier bourgeois et léopoldien du rond point de Meir, bien loin du vacarme de Cureghem. 

Illustration 3

Depuis une dizaine d'années, cette nouvelle classe “créative-culturelle”, qui s’est fondée sur une promesse de développement économique dans le cadre du développement du “capital humain”, s’est installée à Bruxelles et s’est peu à peu constituée en loby en s’accaparant les outils de la représentation citoyenne, à l’échelle régionale et communale. A titre d'exemple, cette interpellation du 19/12/2019 ou 33 citoyens anderlechtois dont des mandataires Ecolo demandent de diminuer, dans le cadre de la stratégie “Good Move”, le nombre de places de parking rue Wayez et d’installer des parking pour les Vélo Cargo : "aujourd'hui notre région a adopté un plan de mobilité pour tous, le plan 'good move'. Vous avez approuvé ce plan, ici, le mois dernier. Ce plan interdit les voitures à combustion d'ici 2035, les travaux de la rue Wayez sont un investissement de la Région pour les 40 prochaines années, nous devons donc suivre les recommandations du plan régional à long terme.” Cette intervention partisane et minoritaire (combien d’habitants du quartier Wayez possèdent un Vélo Cargo ?) ne tient absolument pas compte des enjeux d'approvisionnement pourtant essentiels pour le maintien d’une activité commerçante dans les quartiers populaires. Ou encore cette action de propagande pro-Good Move menée à Cureghem le 3 septembre par VéloFiets A’lecht, une association pro-Vélo proche de Elke Van den Brandt (Groen) et de Susanne Müller-Hübsch (Groen) et le Fietserbond. D’ailleur Thomas Deweer, habitant de La Chasse à Etterbeek et membre du même Fietserbond, sera longuement interrogé sur BX1 le 08 septembre pour vanter la “révolution” du vélo à Bruxelles mais probablement aussi pour rattraper le flop complet de l’action du 3 septembre (cf. Cité24). N’ayant aucun ancrage sur le terrain des quartiers, ces associations bourgeoises ne peuvent que citer des statistiques fortement décontextualisées pour tenter de se fabriquer une légitimité. Il en va de même pour les groupes pro-vélos qui sont les seuls qui ont été consultés : comme à Molenbeek avec des asbl comme Heroes for Zero, Filter Café Flitré ou Open Streets proches de Ecolo/Groen et de Elke Van den Brandt ou à Anderlecht avec l’asbl Less béton qui à Cureghem fait la propagande de Susanne Müller-Hübsch en amenant les enfants à peindre les blocs de béton qui rendent fou leur parents avec le Bad Move. 

Illustration 4

Cette petite oligarchie néo-bruxelloise et éco-libérale s’est constituée durant une dizaine d’années en vase clos : au sein de mouvements de cyclistes, de groupes d’achats bio, de micro-marchés privés, de petites fêtes de quartiers à leur mesure où se cultive une solidarité de classe, de comités de parents dans les écoles, de cours de citoyenneté et d’activités parascolaires ad hoc, de guinguettes, etc. Avec l’introduction du plan « Good Move » dans les quartiers de la première ceinture bruxelloise (Anderlecht, Molenbeek, Schaerbeek) émerge alors un choc des mondes entre la classe créative-culturelle conceptrice du plan et les habitants des quartiers populaires à qui il est sensé s’imposer en priorité. Le terme d’ « apaisement » sort alors des plans et des rapports prospectifs pour faire politique, le sens s’en trouve renversé : il devient un nom de guerre, le nom d’une guerre de classe faite aux quartiers fortement urbanisés de la première ceinture bruxelloise.

Avec la mise en place du plan « Good Move » apparaît ainsi plus clairement les contours d’un coup d'État feutré d’une classe bourgeoise et néo-bruxelloise sur la ville. Depuis 10 ans cette nouvelle classe émergente en formation s’est préparée à ce « shift modal », elle en avait les moyens. Elle a changé ses habitudes, ne voyage plus en avions, s’est achetée des vélo-cargos (7000 euros), est devenue, de locataire, propriétaire dans des communes en plein boom économique comme Saint-Gilles et Forest ou Ixelles puis dans certains coins de Schaerbeek, d’Anderlecht et de Molenbeek, pour que les enfants puissent aller dans des écoles à fort indices sociaux-économiques et travailler à moins de 5 km du domicile. Les habitants des quartiers populaires comme Anderlecht, Molenbeek, Bruxelles-ville, Schaerbeek ont vu ces nouveaux bruxellois s’installer progressivement et devenir propriétaires dans leurs quartiers. Les premiers vélo-cargos ont été vus comme une sorte d’exotisme. Il fallait vraiment être haut perché pour conduire ainsi ses enfants à l’école tous les jours même en hiver sous la pluie. Mais ces modes de transports ont été poussés par toute une nouvelle politique urbaine. Comme à Schaerbeek où Ecolo/Groen à mis en place une prime à l’achat d’un vélo électrique (entre 250 et 400 euros pour un prix de 3000 euros en moyenne) ou d’un vélo cargo (600 euros pour un prix moyen de 7000 euros)   

Illustration 5

Lorsque le premier front d’apaisement « Good Move » a été mis en place en plein mois de juillet à Cureghem, refermant la première maille, cette guerre de classe est apparue avec évidence à ceux qui jusque-là n'avaient pas voulu y prêter attention. Dans leur camp, les bobos étaient préparés pour le « Shift modal », ils avaient les moyens d’effectuer la “transition” de leurs modes de déplacement et ont misé toute leur stratégie d’accès à la propriété, de carrière et de scolarisation des enfants dans cet objectif. Les habitants et travailleurs (livraison, nettoyage, maintenance, soins, gardes, etc.) relégués et fragilisés par la crise sanitaire, économique et énergétique n’ont pas pu prendre le train des vélo-cargos en marche. Résultat de ce coup d'accélérateur : ils se sont retrouvés coincés en camionnettes ou en voiture dans les boucles de l’enfer du Bad Moove comme l’appellent les habitants de Cureghem, coincés dans des embouteillages sans fin à 100 m de chez eux. Les commerçants qui n’ont pas encore mis la clef sous le paillasson, et qui envisagent avec angoisse les factures de gaz et d'électricité et le fin du tarif fix des prix de l’énergie, sont en train de perdre leur clientèle, les livreurs ne viennent plus, les médecins et ambulanciers arrivent avec difficulté.

Un nouveau front de modernisation

L’élaboration du plan Good Move à l’échelle régionale comme à l’échelle communale s’est faite sans les habitants historiques, en négligeant complètement la complexité sociologique et topographique de Bruxelles. Les promoteurs de ce plan issus de cette nouvelle classe créative sont dans leur grande majorité des néo-bruxellois qui tentent d’imposer une feuille de route d’une façon autoritaire pour rendre la ville « plus attractive », ce qui veut clairement dire y attirer une population plus riche en forçant un changement de comportement. Elke Van den Brandt (Groen) et Bart Dhondt (Groen) n’en font d’ailleurs nullement mystère. Le « shift modal » qu’ils imposent à tous les Bruxellois pour les faire entrer à marche forcée dans le XXIe siècle écolibéral est une politique du choc qui visent à briser toutes les habitudes et les stratégies de survie des populations précarisées de la capitale. De leur côté, les classes bourgeoises qui se préparent à ce « shift » depuis une dizaine d’années, n’ont rien senti passer et continuent de flotter dans leurs fantasmagories Kidical Mass. Elles se sont peu à peu accaparées les moyens de la concertation et de la politique. Pour les classes sociales précarisées qui tentent de survivre à l’augmentation constante du coût de la vie, ce shift constitue une nouvelle forme de mise à mort sociale.

Les médias de propagande de cette nouvelle politique de classe comme le site daardaar.be n’hésitent pas à parler d’une « feuille de route » que toute ville moderne qui voudrait “entrer dans le XXIe siècle” se devrait suivre. D’après cette classe émergente néo-bruxelloise, les autorités auraient déjà bien trop trainé à effectuer ce « shift modal ». La dimension autoritaire de cette forme d’éco-libéralisme se manifeste dans son néo-tatchérisme : il faut suivre le plan, peu importe le prix. There is no alternative. On peut imaginer quelques petites modifications ici ou là mais on n’arrêtera pas la transition. Cet autoritarisme libéral peut être dit « éco- » dans la mesure où il instrumentalise les effets du nouveau régime climatique qui sont indéniablement importants dans une ville comme Bruxelles, pour forcer une transformation des modes de vie au profit du capitalisme vert. La dimension de classe de la mobilité intra-bruxelloise est complètement ignorée. Pire, ce changement de mode de déplacement - d’un mode qui prenait appui sur la voiture à un mode où la voiture est devenue l’ennemi principal - ne fait que précariser toujours plus les classes populaires. Dans les mailles du Bad Move, l’ « apaisement » des quartiers populaires est clairement devenu le nom d’une nouvelle guerre de classe. Cette dimension est parfaitement saisie par les habitants de Cureghem qui comprennent bien qu’en leur rendant la vie impossible, en détruisant la vie commerçante du quartier, on tente de les épuiser, de les décourager, de les forcer à quitter la ville et à vendre leurs biens immobiliers. « Augmenter l’attractivité » est le nom doré, la face lumineuse d’un processus dont la part obscure est le remplacement et l’éloignement des classes populaires. 

Illustration 6

Les partisans du plan Good Move ne cessent de parler de Gand comme d’un modèle à suivre. Mais Bruxelles est une métropole très particulière dont la caractéristique est que des quartiers populaires comme Anderlecht, Molenbeek, Saint-Josse, Schaerbeek, etc. jouxtent le centre-ville. Mais Bart Dhondt assume complètement cette forme de terra-formation d’une ville projetée en avant d’elle-même, d’une ville verte du XXIe siècle imposée par-dessus les territoires urbains et leurs hétérogénéités. Les « mailles apaisées » qui rendent fou les habitants visés par le Plan en les faisant tourner en rond, en les coinçant sur place, en les immobilisant constituent d’ailleurs les dispositifs d’une stratégie globale imposée unilatéralement et abstraitement à l’échelle de la Région. Il faut entendre Bart Dhondt littéralement : il s’agit d’intégralement bouleverser les habitudes des Bruxellois, à la lettre de les perdre, de complexifier leurs trajets et de les égarer. Le « shift modal » est la forme éco-libérale autoritaire et contemporaine du « Grand bond en avant ». Il s’agit également d’une forme de darwinisme social : seuls les plus aptes, c’est-à-dire les bourgeois qui se sont préparés depuis une dizaine d’années à ce « shift modal » vont pouvoir s’adapter à la ville nouvelle, les autres seront voués à l’enfer, damnés dans les labyrinthes sans fin du Bad Move. Aujourd'hui on en est à peine à la 3eme ou à la 4eme mailles, il est prévu d’en faire 55. Les mailles de la nouvelle guerre de classe se referment ainsi petit à petit sur les habitants pour les asphyxier, tel un serpent vicieux.   

Et comme dans toute forme de libéralisme autoritaire, l’éco-libéralisme porte une puissante charge raciale. Les habitants des quartiers populaires qui ne s’adaptent pas, qui n’entrent pas avec joie et enthousiasme dans la nouvelle ville en transition (vers où ?) du XXIe siècle sont considérés et perçus comme des « retardés », des « barbares », des « dégénérés », des « anormaux » qui ne veulent pas lâcher la voiture. Là-bas, en bas, derrière la Gare du Midi, au-delà de Saint-Gilles, pour cette nouvelle classe créative-culturelle, c’est le « far West », la « loi de la rue ». Mais dans un pays libéral comme la Belgique, depuis la fin du XIXe siècle, il n’existe pas de politique raciale qui ne se double pas en même temps d’une forme de Défense Sociale, c’est-à-dire d’un versant assistantiel. Dans la tête des nouveaux Pères Blancs du Vélo, les populations des quartiers populaires seraient soumises à une forme d’ « indigénat automobile » : les hommes, surtout les jeunes hommes arabes, occuperaient illégalement la rue pour y faire des rodéos. Au yeux de cette nouvelle politique de classe, ils sont les barbares inassimilables dans la ville propre et sans voiture de Elke Van den Brandt, ceux que la civilisation irréversible des modes de vie devrait finir par faire disparaître. En effet, le paternalisme colonial belge s’est toujours appuyé sur une puissante tradition d’évangélisation qui prend la forme de la défense des existences moindres. Pour les nouveaux missionnaires de la vélorution qui ont installé leur camp (comme Storms à Mpala du temps de l’Etat Indépendant du Congo) dans les quartiers  comme Cureghem, il s’agit donc de sauver les femmes et les enfants, c’est-à-dire les « usagers faibles » des mâles indigènes dominants qui occuperaient indûment l’espace public. L’opposition au pan Good Move, dans la tête de ces racistes, ne serait finalement qu’une affaire de testostérone. Le racisme écologiste est donc l’autre face du versant autoritaire du libéralisme. Depuis cette perspective suprématiste, il n’y a pas de politique et il n’y a surtout rien à négocier. Il faut simplement éduquer les classes populaires et leur vendre le vélo comme un moyen d’émancipation. Ecolo organise d’ailleurs un événement autour de « genre et vélo » en pleine controverse sur le Bad Move.     

La guerre de classe est à peine commencée …

La classe qui est en train de gagner la bataille du « shift modal » - un shift qui a bien vite exclu la gratuité de transports publics bondés - n’en est que plus arrogante et méprisante. Le racisme environnemental et la ségrégation intra-bruxelloise qui mettent déjà sérieusement en danger la paix sociale, se doublent aujourd'hui d’une nouvelle forme de suprématisme, en vélo-cargos, qui prend la forme d’un éco-libéralisme autoritaire et raciste : il s’agit bien de dire à ses enfants que “l’on a fait quelque-chose”. Contrairement à qui croyez-vous ? Les habitants des quartiers populaires qui sont contraints de déplacer les dispositifs « Good Move » pour leur survie et leur propre sécurité sont insultés : « avec ces méthodes de Far West », « c’est la loi de la rue ici ! », etc. Après les manifestations d’enfants d’écoles blanches (et souvent néerlandophones) aux abords de leurs écoles “contre les voitures” (notamment de leurs livreurs), le lobby pro-Good Move (Fietsersbond) est venu faire une action de propagande à Cureghem et voulait, par ce mode d’action directe, forcer la police à faire respecter le nouveau sens unique de la rue de la Clinique. Résultat, un infirmier qui devait rendre visite pour donner des soins médicaux à une personne âgée malade de l’autre côté de la chaussée de Mons a dû tourner en rond pendant plus d’une demi-heure ; lorsqu’il nous a interpellés, il était en état de choc. Heureusement, c’est un des jeunes stewards qui a pris la responsabilité de le laisser passer sur ce tronçon enfin libéré des propagandistes pro-Good Move qui l'avaient occupé de force depuis 11H. Ce genre d'exemples, on pourrait les multiplier par centaines.

Illustration 7

La question qui doit se poser, dans une ville aussi populaire que Bruxelles, où le Parti Socialiste possède un électorat important est : comment se fait-il que les partis de la majorité à l’échelle de la Région et des communes populaires (Anderlecht, Molenbeek, Bruxelles-Villes, Schaerbeek) se couchent aussi facilement devant la politique éco-libérale autoritaire de Groen ? A Anderlecht, Suzanne Müller-Hübsch ne fait pas plus de 700 voix, comment peut-on dès lors prétendre au pouvoir échevinal avec si peu de voix ? Se pose aussi la question du surendettement des communes et de leur capacité financière à résister aux projets immobiliers et de mobilités qui ne bénéficient qu’à une petite minorité mais qui sont richement dotés. À Anderlecht, que ce soit avec le Bruxelles Beer Project ou avec la rénovation de la rue Wayez (sous pression de la STIB), on constate que la commune n’a plus du tout la main sur ce type de projets quitte à générer une importante grogne de la part des habitants. Plus fondamentalement, on peut aussi se demander si tous ces projets d’accélération de la gentrification des quartiers fortement urbanisés de la première ceinture bruxelloise n’ont pas en dernière analyse comme but de remplacer la population historique de ces quartiers, que ce soit les familles issues de l’immigration ou les petits blancs des classes populaires par une nouvelle population issue de cette classe créative et culturelle flamande, française et extra-bruxelloise au capital patrimonial et social plus important ? Le surendettement des communes pauvres de la première ceinture bruxelloise est-il la cause d’une nouvelle guerre de classe qui vise à remplacer les habitants de ces quartiers en leur rendant la vie impossible et en asphyxiant les commerces de proximité qui permettent la survie de ces quartiers ? Ce processus est déjà très perceptible dans des grandes métropoles comme Athènes ou Boston et dès les années 1990-2000 dans le Bronx et à Brooklyn. 

Bruxelles pris en étau entre l’agenda communautaire flamand et le dédain wallon  

Bruxelles, chaque Bruxellois le sait, est une des capitales les plus cosmopolites au monde mais elle est enclavée en territoire flamand, tout en étant une région plus ou moins autonome. Les élections de 2024 constitueront indéniablement une sorte de référendum pour de nouvelles réformes institutionnelles de l’Etat belge vers une Belgique à 4 Régions. Dans ce schéma, Bruxelles qui est le poumon économique et démographique de la Belgique se trouvera davantage désavantagée en termes de répartition des budgets. En face du grand dédain wallon pour Bruxelles, le surinvestissement flamand fait office de contraste saisissant. Il faut dire que la communauté flamande de Bruxelles est de loin la communauté la mieux représentée politiquement, alors qu’elle est une des plus petites sur le plan démographique : dans à peine 5 % des ménages bruxellois on parle flamand alors que 20 % des sièges sont garantis au parlement bruxellois aux néerlandophones et 50 % de l’exécutif (1).

Dans un pays aussi contre-révolutionnaire que la Belgique, paradigme du constitutionnalisme continental et paradis des patrons, des promoteurs et des capitalistes comme l’appelait Marx, les aspirations démocratiques de la classe ouvrière a toujours été fortement tempérées par l’oligarchie dominante. Le système parlementaire bourgeois dont nous héritons de la révolution de 1830 et des réformes pénales et législatives des années 1880-1890 est constitué sur le scrutin unimodal basé sur une représentation distincte entre les villes et les campagnes. Le modèle démocratique produit par la Révolution française du suffrage universel (un homme, une voix) a toujours été considéré par la bourgeoisie belge comme une pente dangereuse vers la dégénérescence et la décadence, vers la guerre civile. Au suffrage universel a été opposé un modèle basé sur la représentation des intérêts. Il s’agit alors d'empêcher un parlement du peuple et de la remplacer par une assemblée composée des notables, des chefs d’industries, des syndics, des bâtonniers, etc. Le scrutin unimodal forme donc des classes d’électeurs, chacun selon son milieu. Le processus néolibéral de régionalisation amorcé depuis les années 1980 est dans le prolongement de ce modèle de représentation des groupes d’intérêts. La situation présente d’une telle asymétrie de la représentation flamands/francophones produit un vote quasiment censitaire. Les voix flamandes valent dans les faits plusieurs fois que celle des francophones. Dans une commune comme Anderlecht, l’échevin Groen de la mobilité, madame Susanne Müller-Hübsch qui impose le plan d’immobilité dans un quartier comme Cureghem a été élue avec moins de 700 voix (2). Tant à l’échelle de la Région, que dans les communes comme Anderlecht, Bruxelles-Villes, Molenbeek et Schaerbeek se sont les échevins Groen qui sont à la manœuvre. Dans de telles conditions et avec un tel déficit démocratique, on peut parler d’une sorte de coup d'État feutré d’une élite flamande qui entend rendre attractive la capitale depuis un agenda communautaire avec le consentement plus ou moins passif du PS, d’Ecolo et de Défi. 

Cependant, on ne peut parler d’une “flamandisation” de Bruxelles d’un point de vue démographique car la présence flamande n’augmente pas. Elle aurait même tendance à diminuer relativement à l’augmentation croissante de migrants européens et extra-européens. Par contre la visibilité flamande ne cesse d’augmenter. Parmi les nombreux moyens que s’est donnés la Communauté flamande pour renforcer sa  présence à Bruxelles, apparaît la volonté d’élargir sa « base démographique ». Il s’agit de rendre Bruxelles plus “attractive” comme ne cesse de le répéter Elke Van den Brandt, d’un point de vue résidentiel, aux yeux des Flamands de Flandre. Cet objectif se superpose à la volonté régionale d’augmenter la population bruxelloise afin d’élargir l’assiette fiscale de la Région, volonté qui s’exprime entre autres par une tentative de remétropolisation de certaines activités économiques et un soutien implicite des pouvoirs publics à la gentrification de certains quartiers. La rénovation urbaine en cours depuis plusieurs décennies, supposée augmenter l’attractivité résidentielle par le biais à la fois de l’élargissement de l’offre résidentielle et le changement vers des modes de vie beaucoup plus bourgeois, représente également, un enjeu politico-linguistique (Van Criekingen et al., 2001) qu’il importe de ne pas négliger. 

La « promotion de Bruxelles en Flandre » est donc devenue un des axes majeurs de la politique flamande. Concrètement, ce sont des structures mises en place par la Vlaamse Gemeenschap à cet effet, comme Wonen in Brussel, Onthaal en Promotie Brussel et Quartier Latin, qui s’attellent depuis quelques années à la tâche de rendre Bruxelles « Vlaams-aantrekkelijker », tâche délicate puisqu’elles doivent pour cela s’inscrire en faux contre le sentiment anti-urbain profond en Flandre (Romainville, 2005). Malgré des moyens financiers et politiques important cette politique d'attractivité à destination des flamands non Bruxellois ne fonctionne pas vraiment : ni les “primes de déménagement” proposées par certaines administrations flamandes à leur fonctionnaires, ni l’intense campagne de promotion (“Bruxelles, plus verte que prévu, moins cher que ce que tu crois”) ne semble avoir d’effet démographique réel. A l’étude des résultats électoraux comme à celle des migrations entre la Flandre et Bruxelles, la conclusion s’impose que la communauté néerlandophone de Bruxelles n’est pas en augmentation. Une étude plus approfondie des migrations entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles montre une certaine concentration des immigrations flamandes au sein du Pentagone, principalement dans les environs de la Bourse et du Sablon, tandis que les immigrations wallonnes sont concentrées dans le haut de Saint-Gilles et d’Ixelles. L’analyse de certaines des caractéristiques des immigrés flamands et wallons a dégagé un profil assez proche de celui du « gentrifieur » bruxellois (Romainville, 2005). 

Bien que les flamands néo-Bruxellois de Groen vendent sans fin les modifications miraculeuses de la mobilité à Gand, leur plan n’est pas du tout en phase avec la démographie de la capitale. Le seul processus remarquable que Bruxelles connaît en termes de population, c’est un afflux constant d’étrangers, seule population pour laquelle le solde migratoire est nettement positif, dont un nombre important d'exilés fiscaux Français ce qui a une incidence sur le prix du logement, tandis qu’il reste négatif pour les échanges avec les deux autres Régions belges. Si le français reste une des premières langues véhiculaires dans la capitale cosmopolite bruxelloise, derrière l’anglais et l’arabe, la distinction communautaire entre francophones et néerlandophones est de moins en moins en mesure de représenté la nouvelle diversité bruxelloise. Il y aura lieu de fonder une nouvelle forme de la représentation politique intra-bruxelloise qui prenne sérieusement en compte la nouvelle donne démographique. Les partis politiques qui entendent s'implanter durablement dans la sociologie bruxelloise ne peuvent l’ignorer. En laissant les clefs de la mobilité à un parti comme Groen à la légitimité faible et à la sociologie problématique, la majorité à la Région et dans les communes du plan Good Move ont pris un risque électoral très important. Cela pose question. Dans des communes comme Anderlecht, Groen peut avancer armé car le pouvoir politique communal est sans ambition et n’a aucune idée de comment régler la question de son endettement propre. Alors elle se vend au plus offrant : au Brussel Beer Project, aux bobos maraîchers ou aux flamands à vélo. Cela ne peut continuer ainsi. On ne peut construire une ville apaisée sans ses habitants et avec un tel mépris pour les sociologies internes et externes. 

Par ailleurs, étant donné que la flamandisation de Bruxelles ne prend pas, le pouvoir flamand entend de plus en plus mettre en place une politique de tutelle sur la capitale. Cela passe déjà par des exigences de plus en plus insistantes d’instaurer une zone de police unique et de fusion des communes. Loin d’être motivée par des questions de « rationalité » ou « d’efficacité », cette proposition a simplement pour but de déplacer la gestion de la ville à un endroit où les Flamands ont un pouvoir énorme et totalement disproportionné si on tient compte de leur poids démographique. Cela passe aujourd’hui par la réforme de ce que les flamands néo-Bruxellois comme Susanne Müller-Hübsch appelle l’ “anarchie bruxelloise”. La constitution de mailles apaisées à l’échelle régionale s’inscrit donc clairement dans ce plan d'homogénéisation.

L’hiver social sera chaud !

Lors de son intervention au Parlement belge, l’économiste Thomas Piketty avait clairement pointé, en réponse à une question d’un mandataire Ecolo/Groen, l’absence de proporitionnalité dans la taxe carbone mise en place par Macron, doublé du retrait de l’ISF, comme cause du mouvement des Gilets Jaunes. Dans un climat social encore plus tendu qu’en 2018, aggravé par la crise écologique, sanitaire, sociale et énergétique, il est suicidaire pour des partis de gauche de soutenir un tel front de modernisation de la mobilité qui se déploie concrètement comme une guerre contre les pauvres et leurs stratégies de survie qui s’appuient, entre autre, sur un usage communautaire de la voiture. Il se dit que d’ici six mois, près de 80 % de la population européenne ne parviendra plus à payer ses factures d’énergie.

Il est donc devenu urgent de passer d’un éco-libéralisme autoritaire à une forme de planification écologique socialement différenciée. Cela passe prioritairement par un moratoire sur les plans « Good Move » et leurs effets catastrophiques sur les quartiers où ils ont été mis en place. La diminution du trafic de transit doit pouvoir se faire de façon à ne pas faire payer deux fois la facture carbone aux habitants de ces quartiers. A l’échelle de la Région, cela passe par une politique beaucoup plus proactive de mise en place d’un réseau RER, avec de nombreux parkings, de péages urbains et un renforcement conséquent de l’offre de transports publics (la quasi gratuité fonctionne bien avec les 65+ et les ado) adaptés aux stratégies d’accès au travail des habitants des quartiers ségrégés. Dans une période de grande instabilité politique et de discrédit profond de la parole des mandataires et élus politiques, il est vital pour la démocratie de renforcer les mécanismes de la concertation et de la négociation.

Les habitants des quartiers populaires qui à la différences de la nouvelle classe bourgeoise en formation n’ont quasiment aucun pouvoir d’influence sur la ville telle qu’elle se construit, leur droit à la ville étant dans les faits inexistants, saisissent à Molenbeek, à Anderlecht, à Bruxelles-Villes, à Schaerbeek le droit d'interpellation citoyenne pour faire entendre leurs doléances. Face à cette grogne qui monte et qui s’organise, l’arrogance des échevins et ministres Groen en déficit de représentativité est extrêmement dangereuse. Si à Molenbeek, un moratoire a été décidé afin de formuler un nouveau plan plus démocratique, à Anderlecht, Stijn D’Hollander, chef de cabinet de l’échevin de la mobilité Groen, Susanne Müller-Hübsch a déclaré « qu’il n’y aura absolument aucun changement dans notre position politique ». Le plan devrait être adopté de façon définitive en juin 2023 et Groen ne veut absolument rien négocier. Alors que le docteur Sam Ward, urologue à la Clinique Saint-Jean alerte sur le fait qu’une “ambulance avait mis 8 minutes à faire 100m”, que la direction de la de l'hôpital Saint-Jean comme de l'hôpital Saint-Pierre ont envoyé une lettre aux autorités de la ville pour alerter sur la situation ; Bart Dhondt s’est contenté de répondre que : “le pand #GoodMove entend améliorer la santé de tout le monde puisque nous rendons la ville plus accessible à la marche à pied et à la pratique du vélo. On rend nos villes plus sécurisées avec moins d’accidents de voiture”. Ce qui frappe c’est la légèreté des réponses apportées devant les inquiétudes grandissantes des bruxellois. Cette arrogance va se payer très cher en 2024 tant au niveau des communes que de la Région. Les membres de l’actuelle majorité anderlechtoise ne peuvent se permettre de se mettre à dos une bonne partie de la population de la commune pour les ambitions délirantes d’un échevin très mal élu. 

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1) Cette répartition est établie dès la création de la Région Bruxelles par la Loi spéciale de 1989. 

2) Les échevins flamands dans les communes n’existent que depuis la réforme de l’état de 2001 (volet « Lombard »). Le principe consiste, pour les communes bruxelloises, à avoir la possibilité de nommer un « échevin surnuméraire », c’est-à-dire un échevin de plus que le nombre d’échevins théoriques dans chaque commune sur base du nombre d’habitants comme c’est le cas dans toutes les autres communes du pays. Cet échevin surnuméraire n’est pas obligatoire. Mais il y a un incitant : 25 000 000 €, mis à disposition par le Fédéral et à partager entre les communes qui en nomme un. Ce montant est sans doute indexé. Le principe pour la nomination c’est que l’élu flamand ayant obtenu le plus de voix sur une liste qui fait partie de la majorité installée après les élections reçoit le poste. Ce qui fait que des personnes comme Susanne Müller-Hübsch qui débarquent à Anderlecht et qui auraient au mieux pu rêver d’un poste de conseiller communal se retrouvent avec des responsabilités échevinales bien plus importantes et un énorme pouvoir décisionnel.

Martin Vander Elst, dans le cadre des activités du Comité Non au Pal Good Move (Cureghem)

Avec les apports théoriques en matière institutionnelle de Mouhad Reghif, porte-parole des Bruxelles Panthères

Avec les ajouts et les retours précieux de Marianne Van Leeuw Koplewicz, David Jamar et Thomas Perissino

Comité Non au plan Good Move  : https://www.facebook.com/ComiteNonAuPlanGoodMove

Lien vers la pétition en ligne : https://www.mesopinions.com/petition/social/rendez-quartier-cureghem-plan-apaise/183039

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