A Monsieur Vervoort,
A Madame Ben Hammou,
A Monsieur Laaouej,
Aux Membres de la fédération bruxelloise du Parti Scoialiste,
Aux militants socialistes ou soucieux des enjeux sociaux et écologiques dans et en dehors du parti,

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Le Plan Good Move qui génère depuis son implémentation en juillet dernier à Cureghem des tensions inédites et une opposition populaire de plus en plus massive (Anderlecht, Molenbeek, Bruxelles-Ville, Schaerbeek, Forest, Jette, Ixelles, etc.) est un plan régional ; et le PS est membre du gouvernement régional. Suite aux déclarations du Ministre Président sur RTL (invité de Pascal Vrebos, dimanche 6 novembre), nous sommes particulièrement stupéfaits par le décalage significatif entre les réalités de terrain rapportées par les bourgmestres et les citoyens des communes où le Plan a été implémenté et le cap que semble malgré tout tenir Rudi Vervoort. Lorsque le Ministre président renvoie la responsabilité vers les communes, il renonce à toute prise de responsabilité et couvre la politique particulièrement autoritaire de sa ministre de la mobilité. Pourtant, la philosophie Good Move constitue bien une politique de mobilité décidée par la Région, déjà amorcée par Pascal Smet pour le gouvernement Vervoort II. Le gouvernement régional est en effet directement responsable du volet réglementaire du PMR (pp. 155-171) qui reprend les modalités opérationnelles du plan Good Move et vise à faire appliquer le cadre général. Les Contrats Locaux de Mobilité ont pour périmètre unique la mise en œuvre de la politique régionale Good Move. La marge de manœuvre est donc très réduite. La responsabilité de la Région et du PS est ici pleinement engagée.
Trafic : rien ne s’évapore, tout se congestionne
Monsieur Vervoort a cependant raison de pointer que le problème actuel est bien celui du dispositif des “mailles” de congestion mais il oublie de dire que ce dispositif est balisé et impulsé par la Région moyennant subsides. Un petit mot d’explication : le point 9. du Plan consacré au “trafic de transit” indique clairement qu’en ajoutant des verrous avec des blocs de béton sur un réseaux de sens uniques déjà en partie implémentés ces dernières années, l’objectif est d'envoyer le trafic interne aux quartiers Autoluwe1 (“sans voitures”) sur des axes dit “structurants” déjà fortement encombrés. Lorsqu’on lit sérieusement les documents du Plan Good Move, il est écrit noir sur blanc que l’objectif de ce dispositif des “mailles” de congestion n’est ni de fluidifier, ni de déplacer le trafic de transit mais bien de "transmuter" ce trafic. Il s’agit clairement de créer un environnement hostile aux voitures en en réduisant l’espace de circulation afin de forcer, un changement de mode, le fameux "shift modal” dont parle sans fard Bart Dhondt. En compliquant la vie des bruxellois, en rendant leurs trajets en voiture difficiles, voire impossibles, en les bloquant dans des embouteillages à une centaine de mètres de chez eux, on les contraint à arrêter de rouler en voiture et à préférer le vélo. Il s’agit là d’un principe néolibéral qui n’a rien de socialiste. On crée le chaos, on détruit les environnements, les attachements, on bouleverse les habitudes pour générer un changement de comportements : pour Bart Dhondt le plan Good Move implique une “mise à feu initiale”2, le “shift modal” impulsé à coup de blocs de béton et de sens uniques vise à “inciter à modifier les habitudes bien ancrées des riverains” (Bart Dhondt, le 15.09.2022). De son côté, Philippe Close (PS) s'exprimait en des termes tout aussi inquiétants dans Le Soir du 16 août dernier, le jour de l’implémentation de la maille de Congestion dans le Pentagone : “Ça va secouer. Ce genre de grands projets urbains, ça secoue.” Le changement de mode impulsé par les pouvoirs publics à travers Good Move n’est en rien un projet d’apaisement ou de cohésion sociale ; bien au contraire, il prend appui sur le processus capitaliste de “destruction créatrice”3, violence de la souveraineté néolibérale également restituée par Naomi Klein dans la “théorie du choc”. Il est patent que la théorie de l’ “évaporation automobile” qui est si centrale dans ce plan de mobilité - selon lequel en réduisant l’espace automobile le trafic ne se déplace pas mais se transforme et s’évapore - est elle-même le, plus souvent basée sur l’expérience de catastrophes, comme l’écroulement d’un pont à Minneapolis en 2007 ou, plus proche de nous : l’incendie, en octobre 2012, du Pont Mathilde à Rouen. Dans les suites de cet accident, certaines données semblaient montrer une diminution inexpliquée de l'utilisation de la voiture. La théorie abstraite qui sert de base scientifique (cf. Frédéric Héran, seule référence donnée par le Plan) pour justifier la politique Good Move en a déduit que les voitures se seraient “évaporées”, déduction faite en dehors de toute contextualisation et toute analyse qualitative et sociologique. D’une manière générale, les études de référence sur la question (Cairns, Atkins, Goodwin, 2002 et 2015) ne concluent absolument pas à l’existence d’un tel effet, qui serait universel et systématique, comme le soutient Frédéric Héran. En effet, les effets de modification des modes de transport urbain ne sont en rien aussi homogènes et mécaniques que ne l'amalgame la théorie de l’ “effet d’évaporation” et dépendent de facteurs endogènes extrêmement complexes, dont la densité et la qualité du réseau des transports en commun, le marché du travail, la topographie, l’histoire de la ville, les sociologies urbaines, le climat, les géographies urbaines, etc. Or, aucune étude n’a été réalisée pour vérifier si, à Bruxelles, aujourd’hui, alors que la part modale de la voiture dans les déplacements est déjà relativement faible (33%, 24% si on se réfère aux seuls déplacements internes à la région - données Good Move), les conditions de réalisation d’un tel effet sont réunies. Les expériences récentes de Paris (Institut des politiques publiques 2021) et Londres (Aldred, Croft, Goodman 2018 ; Bosetti, Connelly, Harding et Rowe 2022) tendent plutôt à démontrer l’absence d’évaporation et donc un report intégral du trafic après la fermeture des voies sur berge dans le premier cas, et la mise en place de “Low traffic neighbourdood” dans le second. Après près de 4 mois de mise en œuvre, il apparaît, contrairement au scénario du Plan régional de mobilité sur le trafic automobile (Good Move FAQ, p. 7) que les voitures ne se sont pas “évaporées” pas plus que les congestions, les tensions, le stress, la pollution, etc.
Le Parti Socialiste nous semble bien placé pour savoir qu’entre les modèles néo-libéraux et la réalité sociale, toutes choses n’est jamais égale par ailleurs. Particulièrement dans un contexte inédit de crise sanitaire, énergétique et de grave inflation économique. Le gouvernement de Elke Van den Brant et de Rudi Vervoort semble avoir utilisé le confinement et la crise Covid pour avancer de façon opportuniste son agenda de création d’un environnement hostile à la voiture par la mise en place de pistes cyclables (les fameuses “corona-pistes”) ainsi que par l’instauration de la zone 30. On ne peut cependant créer de l’adhésion en s’appuyant ainsi de façon aussi instrumentale sur un tel contexte d'exception et de suspension de la contestation sociale. La tentative d’implémentation des 63 mailles en Région bruxelloise (aujourd'hui moins de 10 mailles ont été mises en œuvre, dont une majorité a été démantelée, abandonnée ou gelée) constitue donc le choc mais aussi l’épreuve de réalité du gouvernement Vervoort III. Les Bruxellois n’ont pas accepté qu’on bouleverse aussi violemment leurs habitudes de mobilité sans construire des alternatives sérieuses et proportionnées.
Les citoyens ont dès lors interpellé leurs mandataires au sein des conseils communaux et ils continueront à le faire (le 7 novembre à Bruxelles-Ville, le 22 novembre à Forest, le 24 novembre à Ixelles et le 30 novembre à Schaerbeek) mais aujourd’hui la prise de responsabilité du gouvernement régional fait défaut. Ecolo/Groen est clairement engagé dans une perspective jusqu'au boutiste qui reprend la façon de faire le bonheur des gens sans eux de Pascal Smet. Dans un podcast "EU Confidential" du site européen Politico, Pascal Smet mentionnait en décembre 2017 son projet de fusionner les 19 communes bruxelloises en une seule ville-région, c’est dans ce contexte qu’il a comparé la capitale à une prostituée : ”Parce que c’est beau et très salace, mais, en même temps, ça peut être laid. C’est attrayant et en même temps, ça ne l’est pas. Et c’est beau dans sa laideur, et laid dans sa beauté. C’est une sorte de ville à deux visages, et Bruxelles est une ville qui ne se donne pas si facilement, mais dès que vous tombez amoureux d’elle, vous restez amoureux." Groen prolonge aujourd’hui cette politique d’attractivité à la fois méprisante et agressive. Le nouveau dogme des verts semble être : Il faut diminuer les émissions carbones et tant pis pour la casse sociale. Défi au niveau communal (comme à Anderlecht) mais aussi via son président s’est clairement prononcé contre ce plan de mobilité, Bernard Clerfayt semble également supposer qu’il faudrait mettre sur pause vue les sérieux problèmes de concertation. Pascal Smet craint de son côté que l’actuelle politique d’implémentation mise en œuvre par Elke Van den Brandt n’enterre à tout jamais le projet Good Move lui-même. Il n’est pas compliqué de déduire de ce qui précède qu’il n’y a plus de majorité régionale suffisante pour soutenir ce plan. Le Parti Socialiste est donc particulièrement bien placé pour infléchir la courbe néolibérale de Groen et renégocier en profondeur la politique de mobilité. En effet, le problème de ce plan n’est pas qu’un problème de “concertation” ou de "méthode" - ce sont là des arguments faciles pour conserver les apparences d’unité du gouvernement bruxellois fracturé sur la question - mais bien un problème de philosophie générale. Le Parti Socialiste attaché aux classes populaires et aux travailleurs bruxellois sait mieux que quiconque que la dépendance à l’automobile n’est pas la conséquence d’un choix libre et rationnel mais qu’elle est liée au travail en partie péri-urbain et aux conditions de vie des classes populaires conséquences de l’histoire sociale de notre pays.
Il faut neutraliser les tentatives de réduire la dette publique par l’instauration d’un marché de la mobilité
Pourtant, ce Plan aussi mal pensé et si impopulaire qu’il soit, aussi injuste socialement et irresponsable écologiquement, continue d’être défendu par les élites urbaines (cf. dernière sortie du Maître architecte de la Région Bruxelles-capitale) y compris au sein du PS. Il est évident que ce soutien n’est pas lié aux enjeux de justice sociale mais bien au fait que certaines élites converties au néolibéralisme (comme le montre les dernières révélations des “Uber Files”) croient encore qu’en augmentant l’attractivité de la ville pour les familles bourgeoises avec un revenu supérieur à la moyenne bruxelloise, on pourra augmenter l’assiette fiscale et donc tenter de résorber le surendettement régional et communal. Ce pari néolibérale est non seulement dangereux mais il aura un coût social et environnemental et donc politique important.
Au 31 décembre 2021, la dette brute consolidée de la Région-capitale, selon l'Institut des Comptes Nationaux (ICN), s'élevait à 9,5 milliards d'euros. Elle est composée de la dette directe (6,9 milliards d'euros) et de la dette indirecte (2,6 milliards d'euros). Depuis l’éclatement de la crise sanitaire, le déficit public s’est inscrit à plus de deux milliards pour 2021. La Région a dû emprunter pour faire face à des dépenses importantes et soutenir son économie pour près de 500 millions d’euros. En changeant drastiquement l’espace public afin de le rendre plus “attractif”, sur le modèle du piétonnier du centre ville ou du Parvis de Saint Gilles, le Plan espère régénérer l’activité commerciale, et attirer une nouvelle population qui pourra supporter l’augmentation des prix. Les “magistrales piétonnes” (8 en tout) qui s’inscrivent dans la logique d’ “un centre-ville qui s’affranchit des limites historiques du Pentagone” seront également constituées dans cet objectif (plan Good Move, p. 57). Kristiaan Borret, “bouwmeester” de Bruxelles l’exprime très explicitement dans sa dernière interview : “le changement au niveau circulation va de pair avec un changement au niveau des commerçants et des restaurants (...) Oui, des commerces vont s’arrêter, mais aussi parce qu’ils sont trop basés sur un modèle du passé. C’est l’histoire du piétonnier, en fait (...) Des commerces et restaurants plus chers sont partis, mais il y a une renaissance d’un autre type de plus en plus de chaînes” (DH, 14/11/22). “Changer un plan de circulation, c’est forcer les gens à changer de mentalité”
La logique néolibérale à l’oeuvre dans les projets de transition écologique portés par Groen/Ecolo tel quel Good Move, mais aussi par les organisations patronales et des politiciens libéraux et conservateurs consiste à étendre la logique du marché aux pratiques sociales comme la mobilité : les infrastructures routières cessent d’être des bandes d’asphalte ou de béton servant à la circulation des voitures pour devenir le topos d’un véritable marché du transport régi par l'équilibre de l’offre et de la demande. L’automobiliste, pour la politique néolibérale de mobilité, cesse d’être un usager pour devenir un “consommateur” qui achète de la mobilité, il devient, dans le même mouvement, un “producteur” de déplacement. Dans cette optique, les usagers sont pensés comme des individus rationnels et entreprenants, qui investissent dans les moyens et les services de transport afin d’effectuer des trajets productifs. On entend particulièrement bien cette dynamique dans l’expression de “mobilité active” (vélos, trottinettes, marche à pied, etc.) présente au cœur du projet Good Move. La politique néolibérale de mobilité Good Move mise en oeuvre par Bruxelles Mobilité et Elke Van den Brandt vise à intervenir sur le code4 de la route et les tarifications routières pour créer un environnement de marché dans lequel des incitations tarifaires ad hoc (comme l’octroi d'indemnités par l’employeur combiné à une exonération d'impôts par km parcouru en vélo pour les déplacements domicile-travail ou l'exonération fiscale pour la mise à disposition de vélos par l'employeur) sont appliquées pour amener les individus à adopter un “comportement de mobilité rationnel” au vu des nouveaux standard carbones internationaux.
Le cas de la taxe kilométrique est paradigmatique de cette politique de mobilité. Même si pour l’instant, grâce au PS bruxellois, celle-ci reste en suspens, elle n’en constitue pas moins une maille essentielle de ce paradigme. C’est d’ailleurs pour cette raison que les organisations patronales (FEB, VOKA et UWE) soutiennent la "tarification routière” qui vise à instaurer l’utilisation économiquement productive du réseau routier. Cette future probable tarification routière va augmenter les obstacles pour les personnes qui se trouvent au bas de l’échelle sociale de la mobilité et qui dépendent de la voiture pour travailler. Les personnes qui disposent des moyens nécessaires pour financer leur mobilité routière bénéficieront, quant à eux, d’une circulation plus fluide et verront leurs privilèges de grande mobilité renforcés. Chaque dispositif néolibéral de mobilité produit de nouvelles inégalités environnementales pour un effet écologique réduit. La gentrification des centres-villes à l'œuvre et le déplacement social qui l’accompagne signifient que les revenus les plus faibles risquent de plus en plus de se retrouver dans des endroits où le vélo et les transports publics ne sont pas toujours des options réalistes. Le changement des modes de déplacement entraîne paupérisation et précarisation des classes populaires poussées de plus en plus vers le périurbain. Les emplois des travailleurs peu qualifiés dans les secteurs de la logistique et de l’industrie manufacturière ne sont souvent accessibles qu’en voiture, compte tenu des horaires et du lieu de travail. Raison pour laquelle les personnes à revenus modestes qui possèdent une voiture sont celles qui subissent et subiront le plus les effets de ces politiques (Plan Good Move et taxe kilométrique). En effet, pour de nombreuses personnes, y compris les ménages à faibles revenus, la mobilité automobile constitue une condition sine qua non de la participation à la société, la voiture constitue ici un outil de travail indispensable. David Harvey a pu ainsi montrer comment les politiques néolibérales de mobilité ont tendance à restaurer le pouvoir des élites bourgeoises, ce que nous voyons éclater avec les promoteurs les plus zélés du plan Good Move comme Frédéric Nicolay (01/09/22, Moustique), Marie Thibaut de Maisière (porte-parole de Elke Van den Brandt) ou encore Marie-Antoinette de Mérode. Ces politiques qui font la promotion des vélos cargos pour les petits trajets et de la tarification routière pour l’utilisation de l'automobile constituent en effet une réaction historique contre la démocratisation de l’automobile. Par ailleurs, ces politiques ont un impact profondément discriminatoire sur les faibles revenus ou les familles monoparentales qui ont des contraintes de déplacement et des modes de vie plus complexes.
La théorie de la “tarification routière” (Thomas Vanoutrive, “La tarification de la mobilité comme projet néolibéral”, lavamedia.be) vise à faire payer un prix plus élevé sur les axes à forte fréquentation et aux heures de pointe. La disposition à payer devient dès lors le critère pour déterminer si une personne est autorisée à voyager sur un itinéraire particulier et à une heure donnée. Cela revient à faire entrer les infrastructures, considérées jusque là comme faisant partie du domaine public, et donc comme s’inscrivant dans une logique publique dans la logique du marché privé à travers une politique de contraintes faite à la fois de blocs de béton et de sens uniques mais également incitative à travers un allégement fiscale sur l’achat de vélo ou une taxe kilométrique. Ainsi, à travers des politiques publiques, on instaure un marché pour le droit de conduire sur un itinéraire donné et une tranche horaire donnée. Ces politiques de mobilité du Greenwashing comme Good Move ne sont pas non plus écologiques car elles ne remettent pas fondamentalement en cause le niveau élevé de mobilité automobile (transport, ring, etc.) ni de production de gaz à effet de serre (une central à gaz = 350.000 voitures) et de particules fines, pas plus que les modes de production du capitalisme fossile (Malm, 2017) mais visent à rendre cette mobilité plus productive et compatible avec les standards internationaux. Ceux qui sont moins «productifs» selon les normes du marché risquent alors l’exclusion sociale en raison de la pauvreté des transports.
En individualisant de la sorte les questions sociales fondamentales générées par le changement anthropologique des modes de vie sous la contrainte du nouveau régime climatique, en les régulant par la logique du marché, ce discours neutralise par avance la démocratie sous des questions techniques aux mains de “spécialistes” et d’ ”experts”. Face à un enjeu aussi important que la transition écologique et énergétique, enjeu rappelons le inédit à l’échelle de l’humanité, on ne peut substituer le débat et l’action collective sous des considérations financières individuelles. L’actuel mouvement d’opposition au plan Good Move à Anderlecht, Schaerbeek, Molenbeek, Bruxelles-Ville, Jette, Ixelles, Forest, etc. indique, comme lors de l'introduction de la taxe carbone par Macron qui générera le soulèvement des Gilets Jaunes, que les citoyens n’entendent pas se laisser déposséder des questions de mobilité qui sont des questions sociales vitales. Il n’y aura pas transition énergétique et écologique, ce qui va entraîner des transformations anthropologiques profondes, sans renégocier un nouveau contrat social. Les comités Stop au Plan Good Move sont d’ores et déjà occupés à en rédiger les cahiers de doléances, comme les Gilets Jaunes avant eux. La question de la tarification routière, comme celle de la diminution d’émissions de gaz à effet de serre sont avant toute chose des questions politiques et il revient au Parti Socialiste d’en soutenir la possibilité d’énonciation. Il va falloir bien plus que de la concertation/information, il va falloir arrêter le paternalisme pédagogique et sérieusement s’équiper pour une réelle et complexe négociation. Si tel n’était pas le cas, si la ligne néolibérale autoritaire devait l’emporter à la Région en maintenant le Plan Good Move producteur de nouvelles inégalités environnementales, si plus fondamentalement le soulèvement en cours ne donnait pas lieu à un changement politique majeur, si le Parti Socialiste ne se saisissait pas de ce momentum historique pour négocier la démocratisation des politiques de transition énergétique et écologique alors les conséquences politiques seraient catastrophiques. Nous sommes bien placés dans les comités Stop au Plan Good Move pour entendre monter le ressentiment, voir le dégoût politique profond et irrévocable devant tant de dénis de démocratie, de mépris et d’autoritarisme. Le Vlaams Belang et des formes nouvelles de l’alt-right sont déjà à l’œuvre pour capitaliser sur cette rancune profonde. On ne peut forcer un tel changement dans les modes d’existence sans construire de réelles alternatives viables et socialement proportionnées.
Une transition autoritaire avec les pauvres et lâche avec les grands entreprises
Au niveau mondial, « 62 % des émissions cumulées de CO2 et de CH4 passent par 90 « carbon majors ». Le carbone transite par quelques tuyaux qui le font passer de la lithosphère à l’atmosphère et c’est là qu’il faudrait agir. C’est là que les choses se passent vraiment, ce n’est pas à la sortie du pot d’échappement de chaque voiture » (J-B Fressoz, “Histoire politique du CO2”). En Région bruxelloise, comme partout sur la terre, la production des particules fines, largement dues à l’industrie, au chauffage, aux centrales à gaz, au trafic de transport (ring, autoroutes) n’est en rien statique et individuelle : une part significative (+/- 60 %) provient de la pollution globale au niveau européen, 33 % de la pollution inter-régionale belge ou intra-régionale et seul 7 à 8 % sont des émissions locales (voitures et logement) et/ou des configurations qui retiennent ces pollutions localement. En piégeant les habitants et les travailleurs bruxellois dans le labyrinthe de Bad Move pour les faire renoncer à la voiture, on s'en prend d’abord à ceux qui sont les moins responsables du réchauffement climatique. Cette politique de mobilité injuste sur le plan social est encore plus problématique dans les quartiers populaires à qui l’ont fait payer deux fois la facture carbone. Il est d’ailleurs significatif que des communes comme Woluwe-Saint-Lambert ou Uccle qui ont manifesté leur intention de ne pas mettre en application le Plan Good Move et qui compte deux fois plus de voitures par ménage qu’à Cureghem n’ont pas subi la même pression régionale que Anderlecht et les autres communes de la première ceinture pour le leur imposer.
Nous tenons à alerter le PS Bruxellois sur les risques importants que fait courir l’obstination de Elke Van den Brandt à imposer un plan aussi impopulaire et pourtant si impactant pour le quotidien des Bruxellois. La colère populaire est très importante et le déni de démocratie qu’une telle politique autoritaire implique génère un sentiment de méfiance croissant à l’égard du gouvernement bruxellois ; le MR, la NVA et le Vlaams Belang sont déjà sur le terrain pour en capter les retombées politiques. Nous sommes particulièrement inquiets du dernier toutes boîtes du Vlaams Belang qui semble malheureusement toucher sa cible. Le Parti Socialiste serait pourtant en mesure de refonder la politique de mobilité en Région bruxelloise. Il lui faudra un peu plus de courage politique et sortir de son actuel attentisme. Nous avons besoin pour ce faire que le projet éco-socialiste que défend le président du PS dans son dernier livre puisse se traduire concrètement. Il faut pour cela sortir d’une politique punitive et inégalitaire qui tente de provoquer le changement en rendant la vie des Bruxellois impossibles et instaurer à sa place une politique de diminution des émissions carbones qui soit inscrite sur un solide principe de proportionnalité. Principe sur lequel le PS bruxellois s’appuie justement pour refuser la taxe kilométrique que tente de mettre en place Ecolo/Groen. Dans un contexte de tensions sociales inédites, aux portes d’un hiver social particulièrement difficile, le PS est le seul parti du gouvernement bruxellois qui peut encore faire atterrir ce gouvernement Vervoort III. Il est urgent de changer la base ainsi que l’agenda de la politique régionale de mobilité. Cela passe d’abord et avant tout par l’abandon de cette politique catastrophique des “mailles” de congestion qui loin de faire “évaporer” le trafic automobile, ne font que déplacer les embouteillages et générer plus de pollution, plus de tensions et font courir un risque sérieux de polarisation. Au regard de la mobilité dans une ville comme Dunkerque, il apparaît qu’à Bruxelles, on a fait les choses à l’envers. A travers un vaste réseau de transports publics gratuits, la politique de mobilité dunkerquoise incite plus qu’elle ne punit. Comme l’exprime le maire de gauche de la ville, Patrice Vergriete : “Avec les bus gratuits, vous montrez aux gens qu’on peut adopter un comportement plus écologique sans les contraindre, tout en leur redonnant du pouvoir d’achat”.
Comme le rappelait encore récemment Thomas Piketty dans une tribune à l’occasion de la Cop 27 : « sans une transformation fondamentale du système économique et de la répartition des richesses, le programme social-écologique risque de se retourner contre les classes moyennes et populaires (…) chacun devra naturellement changer profondément son mode de vie, mais le fait est qu’il est possible de compenser les classes populaires et moyennes pour ces changements, à la fois sur le plan financier et en donnant accès à des biens et services moins énergivores et davantage compatibles avec la survie de la planète (éducation, santé, logement, transport, etc.). Cela passe par une réduction drastique du niveau de fortune et de revenu des plus riches, et c’est d’ailleurs la seule façon de constituer des majorités politiques pour sauver la planète » (https://www.lemonde.fr/blog/piketty/2022/11/08/redistribuer-les-richesses-pour-sauver-la-planete). La Belgique, et c'est peu de le dire, hérite du XIXe siècle (doctrinarisme de Frère Orban et Défense Sociale) d’un régime fiscal particulièrement inégalitaire. Le taux de la taxe sur le patrimoine déclaré est de 0,17 %. Aux USA le taux est de 4,5 %. En Allemagne en 1952 ce taux était de 50 % et de 80 % au Japon. En Belgique, les 50 % les plus pauvres possèdent moins de 5 % du patrimoine total alors que les 10 % les plus riches possèdent 60 %. C’est un niveau de concentration de la propriété hallucinant. Pour instaurer une justice fiscale, il faudrait commencer par taxer 5 % au-delà de 3 millions d’Euro de façon progressive.
Sur base de cette révolution fiscale, il devient alors possible de commencer à investir massivement dans les transports publics afin de renforcer quantitativement et qualitativement l’offre. Pour cela, il faut une politique pro-active et décidée pour arriver enfin à la création d’un réseau RER à la mesure de la métropole qu’est Bruxelles. On remarquera que ce sont les communes riches de la banlieue comme Linkebeek et Rhode-Saint-Genèse qui bloquent le plus le passage à 4 voies pourtant nécessaire pour la mise en circulation du réseau RER. Il est particulièrement injuste de faire payer ces blocages à la mise en place d’une réelle politique de transmutation du trafic de transit aux habitants des quartiers pauvres de la première ceinture bruxelloise. En effet, avec un réseau de RER efficace, des parkings de dissuasion et de délestage, des péages urbains, une offre renforcée et accessible de transport public, etc. les pouvoirs publics impulsent des politiques de transformation sociale de la mobilité qui ne tablent plus sur le seul choix individuel et la logique du marché mais bien de façon structurelle sur une offre d’alternatives adaptées. On comprend dès lors dans quelle mesure, il n’est plus acceptable de mettre en œuvre des politiques de diminution des émissions carbones aussi aveugles aux inégalités sociales et qui ont en plus tendance à les renforcer et à en créer de nouvelles. C’est au PS que revient la responsabilité historique de mettre en œuvre une politique de transition écologique socialement responsable. Si il rate cette occasion, ce “moment keynésien", si le gouvernement bruxellois s’enferme dans cette politique de mobilité punitive et inégalitaire, propre au néolibéralisme alors il fabriquera une ville encore plus ségrégée et plus polarisée qu’elle ne l’est aujourd’hui, polarisation qui ne fera que renforcer la défiance et l’adhésion à l’extrême-droite. Nous ne pouvons nous le permettre ni socialement ni écologiquement.
1. Le centre de Mechelen est dit “autoluwe”, cela veut dire que la plupart des routes sont interdites aux voitures. Si vous vous engagez dans les rues “autoluwe”, une caméra scanne votre plaque d’immatriculation et vous serez condamné à une amende.
2. Ce que Wilhelm Röpke (1933 : 430), un des fondateurs de l’ordolibéralisme appelait une Initialzündung)
3. Concept théorisé par l’économiste Joseph Schumpeter en 1942 et repris par Theodore Levitt dans Innovation et marketing (1969)
4. Louis Rougier, lors du colloque fondateur du néolibéralisme (colloque Lippman) va justement utiliser la métaphore du code de la route pour matérialiser ce nouvel interventionnisme d’Etat : “être libéral, ce n’est pas comme le “manchestérien”, laisser les voitures circuler dans tous les sens, suivant leur bon plaisir, d’où résulteraient des encombrements et des accidents incessants ; ce n’est pas, comme le “planiste”, fixer son heure de sortie et son itinéraire ; c’est imposer un Code de la route (…)”.
Martin Vander Elst pour le comité Stop au Plan Good Move de Cureghem
Avec les apports théoriques de Cécile Vrignon sur la théorie de l’ “effet d’évaporation” du comité Stop au Plan Good Move de Forest
Et la relecture et propositions de modification de Marianne Van Leeuw Koplewicz du comité Stop au Plan Good Move de Schaerbeek