2+2=5
Dans un de ses sketchs, l'humoriste affirme :
« Savez-vous seulement quelle différence il y a entre un psychotique et un névrosé ?
Un psychotique, c'est quelqu'un qui croit dur comme fer que 2 et 2 font 5, et qui en est pleinement satisfait.
Un névrosé, c'est quelqu'un qui sait pertinemment que 2 et 2 font 4, et ça le rend malade. »
— Pierre Desproges, Textes de scène, Points, 1997.
George Orwell avait déjà utilisé le concept de 2 + 2 = 5 avant la publication, en 1949, de 1984.
Dans un article paru en 1939 dans la revue The Adelphi à l'occasion de la parution du livre Power: A New Social Analysis (Le Pouvoir : une nouvelle analyse sociale) de Bertrand Russell, il déclare :
« Il est bien possible que nous soyons en train de nous enfoncer dans une ère dans laquelle deux plus deux feront cinq quand le leader le décidera. »
À partir de 1941, il est employé à la BBC et devient un habitué des méthodes de la propagande nazie.
Dans son essai Looking Back on the Spanish War, publié quatre ans avant 1984, Orwell explique que la théorie nazie nie l'existence d'une chose telle que la « vérité » et tente de prendre contrôle du passé en transformant les affirmations du leader en vérité absolue :
« S'il dit que deux et deux font cinq, eh bien, deux et deux font cinq. Cette perspective m'effraie bien plus que les bombes. »
Le héros, Winston Smith, se demande dans son journal si l'État a le pouvoir de définir la formule « deux plus deux égale cinq » comme exacte ; il se demande si le fait que tout le monde y croie en fait une vérité (solipsisme)
Ray Bradbury a également utilisé ce concept en 1953 dans son roman intitulé Fahrenheit 451
Comme Orwell l'explique dans son livre, le Parti était incapable de conserver une mainmise absolue sur le pouvoir sans dégrader la population et la soumettre à une propagande permanente.
Or, le fait que ces brutalités et ces manipulations fussent connues, même au sein du Parti, aurait pu conduire à l'effondrement de l'État sur lui-même.
C'est pour cette raison que le gouvernement imaginé par Orwell utilisait un système complexe de « contrôle de la réalité ».
Quoique 1984 soit plutôt connu pour ses descriptions de surveillance approfondie du quotidien, le contrôle de la réalité signifiait que la population devait être également contrôlée et manipulée au travers du langage de tous les jours et de la pensée commune.
Le novlangue fut ainsi désigné comme méthode pour contrôler la pensée par l'entremise du langage, la doublepensée étant une méthode pour contrôler directement l'esprit.
Le novlangue lui-même incarne la doublepensée car il contient de nombreux mots qui créent des associations supposées entre des significations différentes.
C'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de mots d'importance fondamentale comme « bien » / « mal », « correct » / « faux », « vérité » / « mensonge », ou « justice » / « injustice ».
La double-pensée conduit ainsi à rendre sémantiquement égaux des termes opposés;
un phénomène qui explique les trois slogans du Parti dans 1984 : « La guerre, c’est la paix », « La liberté, c’est l’esclavage », « L’ignorance, c’est la force ».
De la même façon, dans 1984, le ministère de la Paix fait la guerre, le ministère de la Vérité produit des mensonges, le ministère de l’Amour pratique la torture, et le ministère de l’Abondance crée la famine.
La doublepensée est une forme d'aveuglement acquis et volontaire vis-à-vis des contradictions contenues dans un système de pensée.
De plus, l'auto-manipulation en laquelle consiste la doublepensée permet au Parti de promouvoir d'énormes objectifs à côté d'attentes réalistes :
« Si l'on doit gouverner, si l'on doit continuer à gouverner, on doit être en mesure de détruire tout sens de la réalité.
Parce que le secret du gouvernement est de combiner la croyance en sa propre infaillibilité, avec le pouvoir d'apprendre des erreurs du passé ».
Dès lors, chaque membre du Parti se transforme en pion crédule sans toutefois jamais manquer d'information vraisemblable.
Le Parti est à la fois fanatique et bien informé, l'empêchant ainsi non seulement de se « fossiliser » mais également de se « ramollir », et par conséquent de s'effondrer.
La doublepensée fonctionne comme un outil clé pour l'autodiscipline dans le Parti, en complément de la discipline imposée par l'état par l'intermédiaire de la propagande et de l'état policier.
Ces outils rassemblés permettent de cacher les intentions malignes du gouvernement au peuple ainsi qu'au gouvernement lui-même, mais sans provoquer la confusion et la désinformation qui caractérisent les régimes totalitaires plus primitifs.
La doublepensée était essentielle pour donner au Parti la possibilité de connaître ses véritables objectifs sans y déroger.
Les dictatures précédentes ont commis l'erreur de combiner leur propagande égalitariste avec leur but.
1984 tend à montrer que les dictatures de la prochaine génération ne se comporteront plus aussi naïvement.
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