Tribunal correctionnel de Paris : L’étrange trajectoire de l’ancien député Joachim-Eva Son-Forget
Publié le 02/10/2025 à 7h40
Journaliste
Il avait à peu près tout pour lui.
Neuroscientifique, radiologue, député, père de famille, riche, Joachim Son-Forget est devenu Eva et vit à la rue.
Ses « capacités physique et mentale » ne lui ont pas permis d’assister à son procès, le 1er octobre à Paris, pour refus d’obtempérer sous l’emprise de cocaïne. Le parquet a requis dix mois de prison avec sursis.
L’ancien député Joachim Son-Forget n’était pas présent au tribunal de Paris (Photo : ©P. Cabaret)
Difficile de l’appeler « madame » quand les excentricités de « monsieur » ont rendu si célèbre Joachim Son-Forget à compter de 2017, l’année de son élection à l’Assemblée nationale sous l’étiquette du parti présidentiel.
Les magistrats de la 24e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, l’avocate du propriétaire d’une voiture emboutie, partie civile, vont s’y tromper tant les habitudes ont la vie dure. La langue fourche parfois : « Monsieur, euh, pardon, madame. »
Car c’est bien Eva Son-Forget, 42 ans, qui est jugée ce mercredi pour s’être livrée, le 15 juin 2024, à un rodéo sous coke à l’heure du déjeuner, au cœur de la capitale française. Exit Joachim depuis le mois de novembre dernier, date de sa transition de genre officielle, comme Eva l’a annoncé au quotidien zurichois Blick.
Moyennant 75 francs suisses, l’administration genevoise a inscrit « F » en regard du mot « sexe ». Il n’y a pas débat, il convient donc de conjuguer le récit de l’affaire au féminin – même si madame était encore monsieur quand elle a traversé à vive allure les VIIe et VIe arrondissement parisien, se payant la tête des policiers.
Depuis, Eva Son-Forget a de nouveau fait parler d’elle en volant des robes à la députée Manon Bouquin dans un bâtiment de la chambre basse ; nous y reviendrons.
Il/elle brandit sa cocarde tricolore pour se soustraire à l’arrestation
Le dossier examiné est simple.
Ce samedi de juin, alors que les trottoirs de Paris sont particulièrement fréquentés, la Mercedes que conduit Joachim-Eva déboule devant le Palais Bourbon à grand renfort d’accélérations.
Des fonctionnaires de police en voiture banalisée s’engagent à sa suite. Aucune équivoque possible : la sirène deux-tons et le gyrophare indiquent au fou du volant la qualité des poursuivants.
Boulevards Saint-Germain, Raspail, le pilote est pied au plancher. Alors que les forces de l’ordre se portent au niveau de sa vitre, il/elle brandit sa cocarde tricolore de parlementaire.
Un sentiment de toute-puissance, a fortiori lorsque l’on sait que ladite cocarde est périmée depuis son échec aux législatives de 2022 (4,48 % des suffrages dans la 6e circonscription des Français du Lichtenstein et de Suisse).
Les agents n’ont que faire du symbole de la République, la loi est la même pour tous. Demi-tour raté devant Le Lutetia, luxueux hôtel Art nouveau, choc contre la voiture d’un employé – « elle a bondi », dit-il au tribunal –, poursuite de la course effrénée entre les cyclistes jusqu’au Quai d’Orsay.
Terminus du refus d’obtempérer avec défaut de maîtrise du véhicule, délit de fuite, mise en danger de la vie d’autrui.
Joachim-Eva Son-Forget sort de sa Mercedes ; à bord, un sachet de poudre blanche. « De la ritaline pilée », tente le chauffard.
L’expertise établit qu’il s’agit de 0,7 gramme de cocaïne. Il/elle en avait préalablement sniffée, ainsi que le démontrent ses analyses.
Aux préventions déjà citées, s’ajoute la conduite avec usage de drogue. La peine encourue s’élève à cinq ans de prison et 75 000 € d’amende.
D’un hôpital psychiatrique à l’autre à cause de son « identité »
À l’époque, Joachim-Eva Son-Forget avait déclaré vouloir s’expliquer avec la justice, « honnêtement, en temps voulu ». Sans nier les faits, difficiles à réfuter, elle entendait plaider « la panique » à cause de « la grosse voix » des policiers, et démentait toute prise de coke.
Pourtant, ce 1er octobre, elle fuit l’audience, laissant Me Sipan Ohanians argumenter.
Son avocat plaide « le parcours remarquable » d’une primo-délinquante « attachante », que sa quête d’identité incite à « la fuite en avant ».
À nos confrères suisses l’an dernier, Joachim-Eva avait évoqué ce point en guise d’explications, pointant son « hospitalisation de force » avant son échappée parisienne, sa « fuite du canton » de Genève en raison de « deux nouvelles mesures d’internement ordonnées par des psychiatres » : « J’ai entamé une réflexion sur mon identité sexuelle », expliquait-il alors, ce qui a provoqué « l’ire de mon entourage », lequel a engagé « un processus de psychiatrisation sous des prétextes fallacieux ».
Aujourd’hui, la situation d’Eva Son-Forget semble avoir empiré.
Son état, « physique et mental », ne lui a pas permis de comparaître.
Son conseil le dit « SDF » depuis plusieurs mois, en proie à « un trouble du genre ».
Mais « en sa qualité d’ancienne élue » de la nation, le procureur et la présidente ont considéré que son attitude devait être « exemplaire ».
Tenant compte du casier judiciaire vierge de la prévenue, le parquet a requis dix mois de prison avec sursis et 6 000 € d’amende.
Il devra indemniser le propriétaire de la voiture défoncée. Le jugement sera rendu le 8 octobre.
Du Parti socialiste à LREM pour finir avec Reconquête
Au-delà de cette décision, Eva Son-Forget devra déférer pour répondre du rocambolesque fric-frac commis à l’Assemblée nationale le 25 mai dernier.
Ce dimanche, elle a utilisé le badge encore actif qu’elle n’avait pas restitué pour pénétrer dans le bureau d’une députée du Rassemblement national.
Selon Libération, elle avait vidé le mini-bar, volé deux robes, une veste. Son intrusion s’est soldée par une course-poursuite, cette fois menée à pied par des vigiles.
Le comportement erratique de la médecin a surpris durant toute sa brève carrière de politicienne.
« Encartée » au Parti socialiste, elle rejoint LREM (La République en marche, aujourd’hui Renaissance) en 2016, attirée par la personnalité d’Emmanuel Macron.
Aux législatives de 2017, elle est élue au second tour (74,9 %) et représente tant bien que mal les étrangers de la 6e circonscription.
Elle se transforme en troll sur Twitter, qualifiant Esther Benbassa (EELV) de pot de peinture (référence à son maquillage), Donald Trump de « gâteux » et « d’incontinent ».
À LREM, la coupe déborde : elle est poussée vers la sortie du groupe en décembre 2018.
Après un passage au sein de l’UDI & Indépendants, elle s’affiche avec son amie Marion Maréchal et rejoint le parti Reconquête d’Éric Zemmour pour la présidentielle de 2022.
Sur Instagram, Joachim-Eva Son-Forget se lâche : l’électron libre, qui prétend au titre de « génie », pose mitraillettes en main, en papa-gâteau de ses trois enfants, en militaire aux côtés d’Ukrainiens en guerre, en fumeur de pétard ou en blouse blanche dans son cabinet pour « une prise en charge de la douleur aiguë et chronique ».
Elle avait tout pour être heureuse.
Du passé d’étudiant et médecin brillant, il ne reste que le souvenir d’une députée fantasque à l’avenir incertain.