Alors que la droite au pouvoir n’a cessé d’en appeler à la déréglementation dans de nombreux domaines, elle semble soudain prise d’effroi devant le fait que des choix économiques décisifs puissent être laissés à la décision du gouvernement et du Parlement et souhaite ardemment qu’une « règle d’or » impose constitutionnellement le retour à l’équilibre budgétaire. Les mêmes qui ont voulu « assouplir » les 35 heures comme la carte scolaire, l’ouverture dominicale des magasins comme la loi SRU et n’ont pas hésité, au nom d’un prétendu « pragmatisme », à remettre en question bien des acquis sociaux, se transmutent sous nos yeux en défenseurs acharnés d’une rigidité économique à faire pâlir tout planificateur dogmatique. Cap sur l’équilibre budgétaire, coûte que coûte !
Mais c’est précisément ce « coûte que coûte » qui pose problème tout en rendant, simultanément, visible la logique politique de cette démarche à l’esprit bien éloigné de celui de la constitution.
La fonction de la cette dernière n’est, en effet, pas de déterminer une fois pour toutes la politique économique. Portant sur des principes généraux qui organisent les pouvoirs publics, elle ne vise pas à ôter aux citoyens leur capacité de décision et leur responsabilité face à un contexte fluctuant mais, au contraire, à les garantir comme des principes fondamentaux, intangibles. La déclaration des droits de l’homme par laquelle débute notre constitution rappelle ainsi le droit de tout être humain de participer aux lois, d’être des citoyens qui, directement ou indirectement, prennent les décisions qu’ils considèrent comme les plus pertinentes en fonction d’un contexte toujours changeant. Prescrire le contenu de ces lois dans la constitution et aller ainsi au-delà du respect des normes fondamentales universelles, reviendrait à nier le sens même de la citoyenneté en empêchant toute évolution dans les choix politiques fondamentaux et en réduisant, par avance, au silence la communauté citoyenne, présente comme future. Or, en matière de politique économique, des choix différents sont possibles : celui de l’austérité comme celui de politiques « contra-cycliques », s’adaptant aux données du moment et pouvant donc privilégier des dépenses d’investissement. Rien ne justifie au regard des principes fondamentaux, universellement valides, que l’on renonce à la discussion démocratique sur la politique économique à conduire.
A cette remise en cause de la liberté formelle des citoyens s’ajoute la menace possible sur leurs droits sociaux, également reconnus par la constitution, sans lesquels l’accès à l’autonomie véritable est très inégalitairement réparti. Au nom du « coûte que coûte » de l’équilibre présenté comme la finalité de l’action politique, il n’en sera que plus facile de justifier les dérèglementations dont la droite est si friande et de remettre en cause les protections sociales et les services publics. Que deviendront alors les devoirs constitutionnels de la nation d’assurer « à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », de garantir à tous « la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », d’apporter « des moyens convenables d'existence » à « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler » ? Le doublement de la taxe sur les mutuelles préfigure la variable d’ajustement que deviennent les protections sociales au nom d’un équilibre budgétaire, veau d’or de libéraux en mal de solutions à une crise à laquelle ils ont tant contribué. La création de la CMU suivait, elle, une autre boussole…
Alors, même si nous savons que la droite fait le grand écart entre ce qu’elle défend maintenant avec la radicalité des néo-convertis et ce qu’elle a pratiqué depuis tant années, ne perdons pas l’occasion de rappeler ce qui, sur le fond, ne peut mener la gauche à souscrire à cette démarche quel que soit le moment ou l’année : l’idéal démocratique que l’on occulterait en transformant des choix économiques, éminemment discutables, en normes intangibles.