« J’ai touché un tabou français », « j’assume » : sans surprise Christelle Morançais reprend la rhétorique classique du tabou et du courage pour tenter de justifier les annonces de coupes massives et brutales dans les subventions régionales pour la culture, le sport, l’égalité femmes-hommes (CIDFF, Planning Familial, Solidarité Femmes), les missions locales…
Sans surprise et sans originalité aucune parce qu’on ne compte plus les déclarations libérales qui ont recours à la rhétorique si pratique du « tabou brisé ». L’emploi de ce terme vise, en effet, d’abord à délégitimer ce dont on parle, en le renvoyant au domaine de l’irrationnel. Comme l’expliquait Freud, ce qui caractérise en effet les « prohibitions tabou ,c’est qu’elles ne se fondent sur aucune raison ; leur origine est inconnue ». Faire entrer ainsi le financement public à la culture, au sport, aux missions locales et aux associations pour l’égalité femmes-hommes dans la catégorie des « tabous », c’est le renvoyer à une genèse mystérieuse, à une absence de fondement rationnel, loin d’un principe ou d’un acquis historique que l’on voudrait préserver parce qu’on en mesure la nécessité, la vertu progressiste et émancipatrice. Belle formule magique du tabou qui entend transformer des acquis sociaux et la boussole rationnelle du progrès en interdits mystérieux, infondés.
Double effet « kiss cool », la même formule magique permet aussi de s’auto-désigner comme celle ou celui qui ose, avec courage et raison, s’interroger sur ce que par tradition, habitude, facilité intellectuelle ou crainte de représailles sociales, on n’osait pas remettre en question.
Le manque d’originalité de la formule du « tabou à briser » devrait pourtant alerter toutes celles et tous ceux qui ne souhaitent pas, en réalité, n’être que des transmetteurs de formules creuses et d'expressions toutes faites.
Dans un essai de 1946 intitulé La politique et la langue anglaise, Orwell expliquait qu’au lieu de réfléchir méticuleusement aux mots que l’on emploie, il est toujours possible de s’épargner cette peine et de laisser notre esprit « envahir par les expressions toutes faites. Elles construiront- expliquait-il ainsi- des phrases pour vous, elles penseront même à votre place, dans une certaine mesure et au besoin elles vous rendront un grand service en dissimulant partiellement, y compris à vous-même, ce que vous voulez dire ». Tout responsable politique qui ne prend pas la peine de réfléchir au sens des mots est ainsi « en voie de faire de lui-même une machine. Les bruits appropriés sortent de son larynx, mais son cerveau n'est pas impliqué comme il le serait s'il choisissait ses mots lui-même. Si le discours qu'il fait est quelque chose dont il est habitué à parler encore et toujours, il est probablement presque inconscient de ce qu'il dit, comme quand on dit les répons à l'église. Et cet état réduit de conscience, sinon indispensable, est en tout cas favorable à la conformité politique ».
Si Madame Morançais veut vraiment « assumer » quelque chose, qu’elle assume le mépris idéologique pour les secteurs qu’elle prive de moyens nécessaires, le peu de cas qu’elle fait de la jeunesse qui se voit privée de dispositifs culturels, comme de formation à l’égalité Femmes-hommes, ou même de biens de première nécessité car elle a également brisé le tabou du financement d’une épicerie solidaire étudiante.
Mais qu’elle prévienne alors les électrices et les électeurs avant son élection. Il n' y a vraiment aucune trace de courage à le faire après...