Les opposants à l’extension du droit au mariage aux couples homosexuels font valoir comme argument la complémentarité naturelle d’un « papa » et d’une « maman » pour le bien-être des enfants. La nature ayant fait l’homme et la femme différents biologiquement, la famille devrait refléter cette différence synonyme d’une complémentarité et d’une altérité que n’apporteraient pas les couples homosexuels. Certains font alors le parallèle avec l’exigence de parité, pointant ainsi une éventuelle contradiction chez celles et ceux qui tantôt exigeraient de passer outre la différence des sexes, tantôt s’y réfèreraient pour exiger une représentation politique plus juste.
Pour être fortement associée à notre histoire et à notre culture, cette conception de la complémentarité des sexes n’en est pas moins discutable, reflétant une vision de la « nature » et de l’être humain qui doit être doublement interrogée.
Qualifier un phénomène de « naturel » ne va, tout d’abord, nullement de soi quand on parle d’un comportement humain : le rôle de l’histoire, de l’éducation, de la culture dans ce que nous sommes ne peut être sous-estimé qu’au prix d’une vision erronée bien souvent liée à la volonté de s’exonérer de toute responsabilité et d’empêcher tout changement possible. Combien de situations inégalitaires a-t-on tenté de justifier en se référant à une explication par la nature ? Des inégalités sociales, aux inégalités femmes-hommes en passant par les inégalités scolaires : la nature a souvent eu bon dos pour maintenir figées des situations qui pouvaient évoluer et de nombreuses voix se sont élevées pour mettre en garde contre l’instrumentalisation idéologique possible de ce qui était présenté comme « naturel ».

Rousseau soulignait ainsi qu’il est aisé de prétendre décrire l’homme naturel tout en peignant, en réalité, l’homme formé par l’éducation et François Jacob, prix Nobel de physiologie et de médecine, expliquait plus récemment dans Le Jeu des Possibles que les contraintes de la biologie furent bien souvent invoquées comme garantie pseudo-scientifique imposant des limites au comportement humain afin de justifier des inégalités très…sociales.
Parler de la famille comme d’une structure naturelle, c’est ainsi passer bien rapidement du social au biologique. Il ne suffit pas d’être le géniteur d’un enfant pour jouer son rôle social de père et la diversité culturelle des formes de familles est là pour attester qu’il s’agit bien d’une institution relevant non pas de la nature mais bel et bien de la culture. Françoise Héritier, anthropologue, le souligne clairement ” Parler de l’anthropologie de la famille nous confronte immédiatement au difficile problème de sa définition, ce qui peut paraître surprenant au commun des mortels que nous sommes, car comme le temps pour Saint-Augustin ; nous croyons tous savoir, d’expérience intime, ce que c’est. Il n’a pas été possible à ce jour d’en établir une définition qui ait valeur universelle alors même que la réalité de ce que ce terme recouvre se rencontre dans toutes les sociétés présentes et passées. Il est même avéré que le mode conjugal et monogamique que nous avons en tête, dans la mesure où il correspond à l’expérience vécue des sociétés occidentales, est le plus répandu. Mais il n’est pas le seul. ” (Conférence sur l’anthropologie de la famille, http://www.canal-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/anthropologie_de_la_famille.982 ).
Mais quand bien même la nature serait l’origine de certaines situations, cela n’en fait pas pour autant le fondement que le droit devrait suivre. Au nom de quoi, une situation de fait relevant de ce qui « est » indiquerait-elle ce qui « doit être » ? L’humanité peut, au contraire, être caractérisée par une logique de la complexité qui lui permet de se détacher de données biologiques parfois profondément problématiques : critiquerait-on une découverte médicale permettant d’éviter des maladies génétiques ? Le fondement du droit ne peut être la nature, au demeurant plus souvent fantasmée que réelle mais bien plutôt l’idéal moral de l’égalité des êtres humains. C’est bien par rapport à cette exigence d’égalité que les couples homosexuels expriment leur volonté de reconnaissance et leur refus des discriminations. C’est aussi au nom de l’égalité et non d’une « complémentarité » relevant d’un essentialisme attribuant aux femmes des caractères “naturellement” différents de ceux des hommes que l’exigence de parité doit être entendue.
Aucune nature n’explique les inégalités femmes-hommes et aucune nature ne peut jamais justifier quoique ce soit … sauf peut-être aux yeux de celles et ceux qui la chargeraient d’un sens religieux mais…nous vivons en République !