Martine Chantecaille
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Billet de blog 29 août 2012

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Lettre ouverte à François-Régis Hutin suite à son éditorial " prière, mariage homosexuel, euthanasie"

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Monsieur,

Dans votre éditorial en date du 11 août intitulé « Prière, mariage homosexuel, euthanasie » qui débute par la référence à la prière du cardinal Vingt-Trois lue dans les diocèses le 15 aoûtespace public, après avoir défendu la liberté d’expression et la laïcité qui la garantit, vous invitez les parlementaires à éviter la « fracture du haut niveau des consciences » que pourrait provoquer l’évolution de la législation sur deux questions de société : le droit au mariage pour tous et la fin de vie, devenus respectivement dans votre titre – et cela n’est pas anodin car les mots pèsent  – « mariage homosexuel » et « euthanasie ».

Qu’un directeur de publication prenne position dans un éditorial en faveur de la liberté d’opinion, d’expression et de culte et souligne que c’est la laïcité qui les garantit, qui pourrait y trouver à redire ? La « laïcité » n’est pas l’ « athéisme » car si elle distingue l’espace privé de l’espace public, elle ne prétend pas – faut-il même le préciser ? – supprimer le premier au nom du second.  Libre à chacune et chacun de croire  ou non  à ce qui dépasse les limites de la « simple raison ». Mais, en retour, telle ou telle religion, telle ou telle croyance en tel ou tel dogme ne peut se prévaloir comme référence valable pour tous dans l’espace public et vouloir ainsi guider, par exemple, le contenu des lois. Qu’une religion s’oppose ainsi au « mariage pour tous » au nom des dogmes qu’elle défend ne constitue pas en soi un problème « public » (même si cette position heurte certains de ses membres). Ce qui le deviendrait, par contre, serait que les législateurs se basent sur ce fondement religieux pour écrire et voter les lois, au mépris des autres membres de la communauté, qu’ils soient adeptes d’une autre religion, agnostiques ou athées.

Articuler la sphère privée, les valeurs des individus – éventuellement fondées sur des croyances religieuses – et la sphère publique qui, pour reconnaître la pluralité indépassable des croyances, doit tout de même se référer à des normes communes pour orienter les lois n’est nullement évident. Y parvenir est pourtant décisif et conditionne le bien vivre ensemble en démocratie. Cela suppose de reconnaître que c’est par le moyen de notre réflexion collective (qui se doit d’être la plus informée et la plus éclairée possible) que nous pouvons déterminer ce que nous considérons comme acceptable ou non pour tous. Certes, il faut alors admettre une certaine modestie dans ce cadre humain, seulement humain, et ne pas prétendre que les problèmes de société reçoivent, dogmatiquement, une réponse législative définitive. Que les lois évoluent au terme de discussions associant les membres de la communauté démocratique ou leurs représentants et prennent en compte l’évolution du monde comme les progrès des connaissances est la conséquence logique du choix de la démocratie, le signe de la vitalité de ce vous nommez le « pacte social qui règle de fait et de droit les rapports  entre ses membres ». Dans un tel processus démocratique de réflexion et de délibération, la presse a d’ailleurs un rôle de tout premier plan à jouer, comme le soulignait le philosophe allemand J.Habermas dans une tribune au Monde en 2007[1].

Or, loin de tout relativisme, le pacte social qui fonde la démocratie présuppose, pour être conclu, l’égalité de ceux qui le contractent.

Et c’est au nom de cette norme morale démocratique fondamentale que la proposition du « mariage pour tous » sera examinée au Parlement. Le PACS existe, soulignez-vous en écrivant qu’« on ne voit pas bien ce que le mariage apporterait en plus ». Beaucoup le voient, au contraire, très clairement et si d’ailleurs cela n’apportait vraiment rien…pourquoi alors ne proposez-vous pas de supprimer tout simplement le mariage en le remplaçant pour tous par le PACS ? Mais cela reviendrait à oublier ce que vous présentez comme « le sens  profond  du mariage » - « la prolongation de la vie de la société et une garantie de sécurité pour les femmes et enfants que l’homme ne peut alors « abandonner au gré de ses désirs » -  qui serait alors « dévalué » par l’extension du droit de se marier à toutes celles et tous ceux qui le souhaitent. L’emploi de l’adjectif « profond » qualifiant votre interprétation du sens du mariage est ici habile mais…abusif car disqualifiant par avance implicitement comme « superficiel » tout autre sens que celui que vous donnez à cette institution. Au nom de quoi votre interprétation serait-elle plus « profonde » que celle qui verrait, par exemple, dans le mariage l’engagement réciproque et public de deux personnes qui s’aiment, qu’elles soient hétérosexuelles, homosexuelles, en âge et animées de la volonté de procréer ou pas ? Au nom de quoi sinon, probablement, d’un point de vue « religieux » ou « traditionnel » comme celui par lequel vous débutez votre éditorial ? Or, si une religion peut refuser l’extension d’une cérémonie en son sein, son point de vue ne peut se prévaloir comme source de légitimité pour décider qui peut ou non légalement contracter un mariage civil et l’on ne peut non plus se baser sur le fait d’une tradition pour élaborer le droit.

Partageant votre souci de la préservation du lien social, je considère donc, contrairement à vous, que c’est assurément la liberté, la laïcité et le haut niveau de la conscience démocratique qui subiraient une fracture si on légiférait au nom d’un dogme ou d’une tradition et non de la raison.

Je vous prie, Monsieur, de bien vouloir agréer l’expression de mes sincères salutations républicaines.

Martine Chantecaille

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