Il y a peu de temps c'était une phrase en l'air que des personnes peu satisfaites de la politique en général et des politiciens aux affaires en particulier prononçaient comme une sorte de solution simple et de pure forme à opposer à la complexité croissante du monde. Aussitôt après, ils se rendaient compte le plus souvent du caractère incongru voire dangereux d'une telle éventualité et reprenaient en maugréant à chaque élection le chemin des urnes comme une charrette guidée par d'anciennes ornières. Mais ça c'était avant ! Avant la crise, avant un modèle social français soit arrivé à bout de souffle, avant une dette à son niveau critique et avant le pari insensé du sarkozysme buissonnant prêt à tout pour conserver le pouvoir. Aujourd'hui cette phrase a vraiment changé de sens ; on voit dans les élections récentes que sa portée pratique n'est plus la même … Et si nous étions dans l'ordre du possible ?

Une posture logique
Cela tombe sous le sens : quand rien n'a marché de tout ce que l'on a pu essayer, plusieurs fois, en allant au bout de sa patience et qu'il reste encore une éventualité pourquoi ne pas l'essayer ? D'autant plus qu'elle se présente en opposition à toutes celles qui auraient fait la preuve de leur inefficacité et qu'à ce titre elle porte la promesse radicale du "contrepied". On est dans l'ordre de la logique formelle celle qui impose a priori une conclusion sans examen de ses conséquences prévisibles. On retrouve exactement la même logique dans la situation suivante : je suis en panne sèche dans un coin perdu la nuit ; je n'arrive pas à ouvrir mon bidon d'essence de secours ; le bouchon est coincé, rouillé … je n'ai rien d'autre sous la main que mon briquer … Et si j'essayais de chauffer un peu le bouchon afin de le dilater ?
Les conséquences prévisibles (directes)
Quand on met un parti au pouvoir, il est réputé appliquer son programme … En général il le fait très partiellement car les programmes sont nécessairement des vues de l'esprit gouvernées par les habiletés communicationnelles de la conquête. Ils nourrissent fatalement des fantasmes de changements positifsdans le corps social et se disloquent inévitablement au contact des réalités qu'ils prétendent réformer. La société subit alors les effets de cette dislocation dans toutes ses dimensions. Essayer le Front National c'est tenter une expérience du même type. Avec beaucoup plus d'incertitude puisque elle serait totalement inédite. Le programme* annoncé par le FN donne la dimension des chocs prévisibles : à elle seule la sortie de l'euro serait un cataclysme majeur, la retraite à 60 ans un contresens historique et dans le flot de banalités destiné à couvrir toutes les rubriques avec des promesses en forme d'arbres de Noël, il y a pléthore de bombes à retardement …
Les conséquences prévisibles (indirectes)
Mais le FN a une histoire … Une longue histoire même et des racines bien connues qui en font l'héritier de toutes les extrême-droites … Derrière une façade plus ou moins bien dédiabolisée il y a des arrière-boutiques qui sont autant de strates des organisations fascistes principalement Ordre Nouveau**. Des affleurements d'un nationalisme exacerbé subsistent dans ce programme comme par exemple celui-ci : " L’Ecole Nationale d’Administration (ENA) veillera en particulier à recruter des hauts fonctionnaires patriotes." Autrement dit, l'ENA deviendrait l'école des cadres du FN … Il est plus que certain qu'avec l'arrivée au pouvoir du FN ils tiendraient désormais le haut du pavé, débordant des "essayeurs" bien naïfs avec leurs excès, leurs nervis au crâne rasé et surtout leurs traditions antirépublicaines.
Essayer le FN ce serait donc prendre un très gros risque, entamer une plongée désespérée dans un chaos dévastateur à tous niveaux : économique, social mais aussi, inexorablement, liberticide. Nous resterons dans l'ordre du possible tant que ces conséquences resteront occultées par la frustration et la colère irrationnelles.