Le rapport de cette commission d'enquête est téléchargeable gratuitement à partir de la page :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/manquements_ase_protection2
Vers le bas de la page, cliquer sur "Voir les documents liés (2)".
Je publie ici quelques citations de ce rapport, avec le numéro de la page. Les personnes intéressées par un point en particulier pourront ainsi facilement retrouver le paragraphe en question. Ceci est le second post à ce sujet.
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Les enfants subissent des violences systémiques liées aux dysfonctionnements de l’ASE dans son ensemble
Les enfants subissent des violences liées aux défaillances du système de la protection de l’enfance. Elles peuvent, pour certaines d’entre elles, être moins évidentes de prime abord ; elles n’en sont pas moins extrêmement sérieuses, car elles conduisent à un cumul des violences et à des violences systémiques. Elles peuvent avoir des répercussions sur toutes les facettes de la vie de l’enfant.
Les ruptures de placement sont des sources de telles violences. Plusieurs témoignages ont évoqué des enfants ayant connu de multiples lieux de placement en très peu de temps. Par exemple, M. Olivier Treneul, membre du bureau fédéral de SUD Collectivités territoriales et travailleur social à l’ASE, a évoqué en audition un garçon de quatre ans à Valenciennes qui a connu douze lieux de placement en six mois. La sortie du dispositif de l’ASE lorsque les enfants atteignent la majorité peut également être violente.
Les modalités de placement et les conditions d’accueil en elles-mêmes peuvent être violentes. En particulier, la vie en collectivité est souvent synonyme d’environnement bruyant, de cris, d’une architecture pas toujours adaptée et ne favorisant pas le respect de l’intimité. M. Mads Suaibu Jalo, président de Repairs75, a témoigné de sa visite dans un foyer : « Je vous assure que l’environnement à l’intérieur du foyer (disposition des tables, des lits, organisation des repas et activités, etc.) y est violent. Après ces deux heures, j’ai réalisé que je préférerais vivre n’importe où ailleurs que dans un foyer. »
La surmédicamentation des enfants est une autre de ces formes de violence. La professeure Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, cheffe de service de la Maison de Solenn, a souligné que « les soins pédopsychiatriques sont complexes et le médicament peut parfois être utilisé comme une sorte de petite camisole ».
Elle a également évoqué, de manière plus spécifique, le cas des enfants qui n’ont pas pour langue maternelle le français. Sans prise en compte de cet enjeu par la structure d’accueil, cela peut contribuer à augmenter la violence du placement.
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La rapporteure constate que le système de la protection de l’enfance n’est pas encore suffisamment capable d’accueillir la parole de l’enfant victime de violences liées à sa prise en charge par l’ASE et d’y répondre. L’article d’Isabelle Lacroix et al. abonde en ce sens : « Les violences subies par [les jeunes], qu’elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles, restent encore minimisées et invisibilisées. L’absence de reconnaissance des violences émanant des institutions et de leurs représentants entretient le continuum de la violence. »
La prostitution, une violence particulière face à laquelle les professionnels sont trop souvent démunis
La loi Taquet de 2022 a complété les missions de l’ASE, énumérées à l’article L. 221-1 du CASF, par celle d’« apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique au mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement, réputé en danger ». La réalité est cependant bien éloignée de cet objectif, les enfants confiés à l’ASE demeurant une cible de choix pour les réseaux prostitutionnels. Les professionnels ne sont pas toujours outillés pour enrayer le phénomène.
Les enfants de l’ASE sont des proies bien identifiées des réseaux de proxénétisme
Le phénomène de prostitution chez les enfants et jeunes de la protection de l’enfance est connu mais difficile à chiffrer. Le Dr Aziz Essadek, maître de conférences en psychologie clinique et sociale à l’Université de Lorraine, a estimé à 15 000 le nombre de mineurs victimes de prostitution au sein de l’ASE (1). Il existe également certaines données locales démontrant l’ampleur du phénomène. Ainsi :
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La CNPR a évoqué le diagnostic effectué par l’association « Agir pour le lien social et la citoyenneté » dans les Alpes-Maritimes, qui a permis de montrer que « dans 80 % des situations détectées, les activités prostitutionnelles ont débuté au cours de la mesure de protection. Précisément, pour 75 % des mineurs, il s’agissait d’un placement dans un foyer de l’enfance » ;
L’association Nos Ados oubliés, présente principalement à Marseille et à Toulouse, a indiqué en audition que les trois quarts des filles qu’elle accompagne viennent de l’ASE. Cette association lutte contre la prostitution des mineurs, en offrant notamment un soutien aux victimes et à leurs proches.
L’âge moyen d’entrée dans la prostitution est estimé autour de onze à quatorze ans.
https://www.enfancejeunesseinfos.fr/interview-15-000-mineurs-au-sein-de-laide-sociale-a-lenfance-seraient-victimes-de-prostitution-en-france/
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Les réseaux de prostitution recrutent au sein même des structures d’accueil. Les interlocuteurs auditionnés par la commission d’enquête n’ont pas mâché leurs mots pour qualifier le phénomène, à l’image de Mme Jennifer Pailhé, présidente de Nos Ados oubliés, qui a qualifié les foyers de « viviers à prostitution », ou encore du Défenseur des enfants, M. Éric Delemar : « Des Audi A8 noires sont garées devant les établissements de la protection de l’enfance : on est dans le domaine du grand banditisme. »
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Les mineurs non accompagnés : les oubliés des oubliés
La Défenseure des droits, dans la synthèse de son rapport de 2022 sur les mineurs non accompagnés (MNA), dénonçait déjà leur « relégation aux frontières de la protection de l’enfance, discriminante par rapport aux autres enfants en danger, alimentant l’idée d’un droit d’exception qui leur serait applicable ». Les MNA sont avant tout des enfants protégés et devraient être traités comme tels, sans discrimination. Pourtant, une suspicion est entretenue à leur encontre. Ils subissent trop souvent une prise en charge low cost. L’État et les départements se renvoient trop fréquemment la balle sur leurs responsabilités en la matière. Il est nécessaire de renforcer la protection de ces mineurs en leur garantissant un traitement de droit commun, sans renier les difficultés propres à leurs parcours.
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La France a été condamnée à de multiples reprises en raison de carences dans sa procédure de mise à l’abri et d’évaluation des MNA. L’article 20 de la CIDE dispose que « tout enfant temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’État ».
La France a été condamnée par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU en janvier 2023 (2). Les observations finales du comité des droits de l’enfant des Nations unies de mai 2023 dressent un constat très critique à l’encontre de la France, notamment concernant sa procédure d’évaluation. En mai 2024, vingt-sept organisations ont saisi le Conseil d’État pour demander la mise en conformité du dispositif d’évaluation et de mise à l’abri des MNA avec le droit international sur divers points. En janvier 2025, la France a de nouveau été condamnée par la CEDH pour des carences dans son dispositif de protection d’un MNA. L’absence de protection de la personne dans l’intervalle se déroulant entre la décision du département sur sa minorité et la décision finale rendue par le juge en cas de contestation est régulièrement dénoncée.
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Les MNA, victimes d’une protection de l’enfance à deux vitesses
Les départements sont plus ou moins enclins à prendre en charge les MNA, ce qui conduit à des inégalités de traitement entre départements. Mais globalement, les MNA bénéficient souvent de conditions de prise en charge dégradées par rapport aux autres enfants et jeunes bénéficiaires de l’ASE.
Les conditions d’hébergement des MNA sont souvent parmi les plus précaires qui existent en protection de l’enfance.
Dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance, la Défenseure des droits évoque des prix de journée parfois inférieurs à 50 euros pour ces jeunes, ce qui ne peut en aucun cas permettre un accueil de qualité. Les départements invoquent un besoin d’accompagnement qui serait moindre, selon cette même décision. Or la Défenseure des droits rappelle à juste titre que « le choix de la prise en charge d’un adolescent au titre de l’ASE doit être dicté par son seul intérêt supérieur, et non du seul fait de son statut de mineur non accompagné. »
Lorsque ce type d’hébergement était encore autorisé par la loi, les MNA étaient surreprésentés parmi les jeunes placés à l’hôtel. Certains départements continuent d’ailleurs à les y héberger, en toute illégalité.
Non seulement les MNA se retrouvent dans les pires hôtels qui soient, mais ils y sont victimes des réseaux de délinquance : « Les enfants étant tenus de libérer leurs chambres durant la journée - soi-disant pour y faire le ménage, même s’il est en réalité des plus sommaires -, ils se retrouvent à la rue, désœuvrés, livrés à eux-mêmes, et tombent sous la coupe d’autres, plus aguerris. C’est ainsi qu’ils deviennent vulnérables, se transforment en petites frappes et finissent par consommer des produits addictifs qui les conduisent à chaparder mais aussi, de plus en plus souvent, à commettre des actes de délinquance plus graves.
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Les besoins en santé et en éducation des MNA sont souvent négligés.
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Aucune discrimination ne doit être opérée par les départements pour l’octroi d’un « contrat jeune majeur » ou sur le contenu de celui-ci entre les MNA et les autres jeunes majeurs.