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Billet de blog 15 juin 2025

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Rapport d'enquête parlementaire sur l'ASE (2)

Violence des placements à l'ASE, camisole chimique, prostitution de jeunes mineures et racisme institutionnel de l'ASE.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le rapport de cette commission d'enquête est téléchargeable gratuitement à partir de la page :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/manquements_ase_protection2
Vers le bas de la page, cliquer sur "Voir les documents liés (2)".

Je publie ici quelques citations de ce rapport, avec le numéro de la page. Les personnes intéressées par un point en particulier pourront ainsi facilement retrouver le paragraphe en question. Ceci est le second post à ce sujet.

Début page 223

Les  enfants  subissent  des  violences  systémiques liées  aux dysfonctionnements de l’ASE dans son ensemble

Les enfants subissent des violences liées aux défaillances du système de la protection  de  l’enfance.  Elles  peuvent,  pour  certaines  d’entre  elles,  être  moins évidentes  de  prime  abord ;  elles  n’en  sont  pas  moins  extrêmement  sérieuses, car elles  conduisent  à  un  cumul  des  violences  et  à  des  violences  systémiques.  Elles  peuvent avoir des répercussions sur toutes les facettes de la vie de l’enfant.

Les ruptures de placement sont des sources de telles violences. Plusieurs témoignages ont évoqué des enfants ayant connu de multiples lieux de placement en très peu de temps. Par exemple, M. Olivier Treneul, membre du bureau fédéral de SUD Collectivités territoriales et travailleur social à l’ASE, a évoqué en audition un garçon de quatre ans à Valenciennes qui a connu douze lieux de placement en six  mois.  La  sortie  du  dispositif  de  l’ASE  lorsque  les  enfants  atteignent  la majorité peut également être violente.

Les  modalités  de  placement  et  les  conditions  d’accueil  en  elles-mêmes peuvent être violentes. En particulier, la vie en collectivité est souvent synonyme d’environnement  bruyant,  de  cris,  d’une  architecture  pas  toujours  adaptée  et  ne favorisant pas le respect de l’intimité. M. Mads Suaibu Jalo, président de Repairs75, a  témoigné  de  sa  visite  dans  un  foyer :  « Je  vous  assure  que  l’environnement  à l’intérieur  du  foyer  (disposition  des  tables,  des  lits,  organisation  des  repas  et activités, etc.) y est violent. Après ces deux heures, j’ai réalisé que je préférerais vivre n’importe où ailleurs que dans un foyer. »

La surmédicamentation des enfants est une autre de ces formes de violence. La professeure Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, cheffe de service de la Maison de  Solenn,  a  souligné  que  « les  soins  pédopsychiatriques  sont  complexes  et  le médicament peut parfois être utilisé comme une sorte de petite camisole ».

Elle a également évoqué, de manière plus spécifique, le cas des enfants qui n’ont pas pour langue maternelle le français. Sans prise en compte de cet enjeu par la structure d’accueil, cela peut contribuer à augmenter la violence du placement.

Page 224

La  rapporteure  constate  que  le  système  de  la  protection  de  l’enfance n’est pas encore suffisamment capable d’accueillir la parole de l’enfant victime de violences liées à sa prise en charge par l’ASE et d’y répondre. L’article d’Isabelle Lacroix et al. abonde en ce sens : « Les violences subies par [les jeunes], qu’elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles, restent encore minimisées et invisibilisées. L’absence de reconnaissance des violences émanant des institutions et de  leurs  représentants  entretient  le  continuum  de  la  violence. »

La  prostitution,  une  violence  particulière face  à laquelle les professionnels sont trop souvent démunis

La  loi  Taquet  de  2022  a  complété  les  missions  de  l’ASE,  énumérées  à l’article L. 221-1 du CASF, par celle d’« apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique au mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement, réputé en danger ». La réalité est cependant bien éloignée de cet objectif, les enfants confiés à l’ASE demeurant une cible de choix pour les réseaux prostitutionnels. Les professionnels ne sont pas toujours outillés pour enrayer le phénomène.

Les  enfants  de  l’ASE  sont  des  proies  bien  identifiées  des  réseaux  de proxénétisme

Le phénomène de prostitution chez les enfants et jeunes de la protection de l’enfance  est  connu  mais  difficile  à  chiffrer.  Le  Dr Aziz  Essadek,  maître  de conférences en psychologie clinique et sociale à l’Université de Lorraine, a estimé à 15 000 le nombre de mineurs victimes de prostitution au sein de l’ASE (1). Il existe également certaines données locales démontrant l’ampleur du phénomène. Ainsi :

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La CNPR a évoqué le diagnostic effectué par l’association « Agir pour le lien social et la citoyenneté » dans les Alpes-Maritimes, qui a permis de montrer que « dans 80 % des situations détectées, les activités prostitutionnelles ont débuté au  cours  de  la  mesure  de  protection.  Précisément,  pour  75 %  des  mineurs,  il s’agissait d’un placement dans un foyer de l’enfance » ;

L’association Nos Ados oubliés, présente principalement à Marseille et à Toulouse, a indiqué en audition que les trois quarts des filles qu’elle accompagne viennent  de  l’ASE.  Cette  association  lutte  contre  la  prostitution  des  mineurs,  en offrant notamment un soutien aux victimes et à leurs proches.

L’âge  moyen  d’entrée  dans  la  prostitution  est  estimé  autour  de  onze  à quatorze ans.

https://www.enfancejeunesseinfos.fr/interview-15-000-mineurs-au-sein-de-laide-sociale-a-lenfance-seraient-victimes-de-prostitution-en-france/

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Les réseaux de prostitution recrutent au sein même des structures d’accueil. Les interlocuteurs auditionnés par la commission d’enquête n’ont pas mâché leurs mots pour qualifier le phénomène, à l’image de Mme Jennifer Pailhé, présidente de Nos Ados oubliés, qui a qualifié les foyers de « viviers à prostitution », ou encore du  Défenseur  des  enfants,  M. Éric  Delemar :  « Des  Audi A8  noires  sont  garées devant les établissements de la protection de l’enfance : on est dans le domaine du grand  banditisme. »

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Les mineurs non accompagnés : les oubliés des oubliés

La Défenseure des droits, dans la synthèse de son rapport de 2022 sur les mineurs non accompagnés (MNA), dénonçait déjà leur « relégation aux frontières de  la  protection  de  l’enfance,  discriminante  par  rapport  aux  autres  enfants  en danger,  alimentant  l’idée  d’un  droit  d’exception  qui  leur  serait  applicable ».  Les MNA sont avant tout des enfants protégés et devraient être traités comme tels, sans discrimination. Pourtant, une suspicion est entretenue à leur encontre. Ils subissent trop souvent une prise en charge low cost. L’État et les départements se renvoient trop fréquemment  la  balle  sur  leurs  responsabilités  en  la  matière.  Il  est  nécessaire  de renforcer  la  protection  de  ces  mineurs  en  leur  garantissant  un  traitement  de  droit commun, sans renier les difficultés propres à leurs parcours.

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La France a été condamnée à de multiples reprises en raison de carences dans sa procédure de mise à l’abri et d’évaluation des MNA. L’article 20 de la CIDE dispose  que  « tout  enfant  temporairement  ou  définitivement  privé  de  son  milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’État ».

La France a été condamnée par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU en  janvier 2023 (2).  Les  observations  finales  du  comité  des  droits  de  l’enfant  des Nations unies de mai 2023 dressent un constat très critique à l’encontre de la France, notamment  concernant  sa  procédure  d’évaluation.  En  mai 2024,  vingt-sept organisations ont saisi le Conseil d’État pour demander la mise en conformité du dispositif d’évaluation et de mise à l’abri des MNA avec le droit international sur divers  points.  En  janvier 2025,  la  France  a  de  nouveau  été  condamnée  par  la CEDH pour des carences dans son dispositif de protection d’un MNA. L’absence de  protection  de  la  personne  dans  l’intervalle  se  déroulant  entre  la  décision  du département  sur  sa  minorité  et  la  décision  finale  rendue  par  le  juge  en  cas  de contestation est régulièrement dénoncée.

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Les MNA, victimes d’une protection de l’enfance à deux vitesses

Les départements sont plus ou moins enclins à prendre en charge les MNA, ce qui conduit à des inégalités de traitement entre départements. Mais globalement, les MNA bénéficient souvent de conditions de prise en charge dégradées par rapport aux  autres  enfants  et  jeunes  bénéficiaires  de  l’ASE.

Les  conditions  d’hébergement  des  MNA  sont  souvent  parmi  les  plus précaires qui existent en protection de l’enfance.

Dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance, la Défenseure des droits évoque des prix de journée parfois inférieurs à 50 euros pour ces jeunes, ce  qui  ne  peut  en  aucun  cas  permettre  un  accueil  de  qualité.  Les  départements invoquent  un  besoin  d’accompagnement  qui  serait  moindre,  selon  cette  même décision. Or la Défenseure des droits rappelle à juste titre que « le choix de la prise en  charge  d’un  adolescent  au  titre  de  l’ASE  doit  être  dicté  par  son  seul  intérêt supérieur, et non du seul fait de son statut de mineur non accompagné. »

Lorsque ce type d’hébergement était encore autorisé par la loi, les MNA étaient  surreprésentés  parmi  les  jeunes  placés  à  l’hôtel.  Certains  départements continuent d’ailleurs à les y héberger, en toute illégalité.

Non seulement les MNA se retrouvent dans les pires hôtels qui soient, mais ils y sont victimes des réseaux de délinquance : « Les enfants étant tenus de libérer leurs chambres durant la  journée -  soi-disant  pour  y  faire  le ménage,  même  s’il  est  en  réalité  des plus sommaires -, ils se retrouvent à la rue, désœuvrés, livrés à eux-mêmes, et tombent sous la coupe d’autres, plus aguerris. C’est ainsi qu’ils deviennent vulnérables, se transforment en petites frappes et finissent par consommer des produits addictifs qui les conduisent à chaparder mais aussi, de plus en plus souvent, à commettre des actes de délinquance plus graves.

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Les besoins en santé et en éducation des MNA sont souvent négligés.

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Aucune discrimination ne doit être opérée par les départements pour l’octroi d’un « contrat jeune majeur » ou sur le contenu de celui-ci entre les MNA et les autres jeunes majeurs.

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