Les députés ont voté à l'unanimité la création d'une commission d'enquête parlementaire sur l'ASE. Unanimité surprenante de la part de personnes qui ne sont pas connues pour être d'accord les unes avec les autres? Quelque soit leur étiquette politique, ils ont tous reçu des lettres d'appel au secours de la part d'enfants ou de parents victimes de l'ASE. On dirait qu'ils ont voulu en avoir le coeur net.
Le rapport de cette commission d'enquête a été rendu le 1er avril 2025. Il est téléchargeable gratuitement à partir de la page :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/manquements_ase_protection2
Vers le bas de la page, cliquer sur "Voir les documents liés (2)".
Il y a en effet deux tomes, le premier de 523 pages, le second de 827 pages, soit 1350 pages en tout. J'en suis à la page 224 (la suite viendra plus tard). On ne peut pas trouver plus sérieux qu'un rapport d'enquête parlementaire, personne ne saurait le taxer de complotisme. Alors, quand ce rapport dénonce les intérêts privés en jeu et les conflits d'intérêts, ça conforte l'hypothèse selon laquelle ma fille aurait été placée parce que son placement rapporte à l'ASE dans les 300 euros par jour (moyenne dans les Yvelines). La situation n'est cependant pas aussi simple, il s'agit de montages financiers complexes, de sociétés privées à but lucratif ayant une branche soi-disant associative, ce genre de choses.
Je publie ici quelques citations de ce rapport, avec le numéro de la page. Les personnes intéressées par un point en particulier pourront ainsi facilement retrouver le paragraphe en question.
Page 60
La France est est le premier pays d'Europe en termes de placements en institution. On compte deux fois plus de placements d'enfants en France qu'en Allemagne. Surtout, la France se distingue par l'importance du placement en établissement.
Page 62
Un point de vigilance particulièrement important pour la rapporteure est la forte surreprésentation des enfants en situation de handicap parmi les enfants concernés par une mesure ASE.
Page 66
(Les) problèmes touchant à la santé physique et mentale des enfants peuvent s'aggraver en raison de la mauvaise prise en charge de la santé des enfants faisant l'objet d'une mesure de protection de l'enfance. La pédiatre Nathalie Vabre rappelle que les enfants confiés à la protection de l'enfance "ont à la fois plus de besoins et sont moins bien soignés, ce qui constitue une iniquité de traitement et d'accès aux soins et à la prévention".
Surreprésentation des troubles du langage : 2 enfants sur 5. (Plus loin, une partie du rapport est focalisée sur les enfants autistes).
Page 68
Les enfants de la protection de l'enfance sont davantage exposés au chômage et à la pauvreté et ont un moindre accès aux études secondaires et supérieures. Ils sont également beaucoup plus nombreux à faire face au risque de sans-abrisme.
Parmi les adultes nés en France et hébergés par un service d'aide ou fréquentant un lieu de distribution de repas, 23% ont été placés dans leur enfance. Le taux atteint 46% pour ceux qui ont entre dix-huit et vingt et un ans. L'absence ou la moindre place des relations familiales, les difficultés très tôt rencontrées, l'absence de formation qui se traduit par des emplois précaires, le manque d'accompagnement vers l'autonomie, sont autant de facteurs qui conduisent à ces chiffres extrêmement préoccupants.
Page 74
La santé des enfants protégés est une préoccupation de premier ordre mais récente dans le débat autour de la protection de l'enfance. Ceux-ci sont généralement moins bien suivis, davantage sujets à certaines pathologies et souffrent particulièrement du manque de professionnels de santé et des délais d'attente en structure spécialisée.
Page 122
La question de la réparation due aux enfants de l'ASE victimes de maltraitances
Page 123
L'Assemblée parlementaire du conseil de l'Europe appelle (...) l'ensemble des état membres
A analyser les circonstances propices à ces actes de maltraitance : placements (...) séparation des enfants de leurs parents (...)
A présenter des excuses officielles et formelles aux victimes d'hier et d'aujourd'hui.
A poursuivre et à sanctionner les auteurs de ces actes en justice sans délai de prescription
Page 156
Etat condamné pour déni de justice et faute lourde
Page 178
Il est essentiel de veiller à la meilleure prise en compte de la parole de l'enfant dans le cadre de la procédure judiciaire, en lui attribuant un avocat systématiquement. (...) Préoccupation de la défenseure des droits qui estime nécessaire que les rapports transmis au juge des enfants relatent systématiquement le point de vue de l'enfant - y compris lorsque ce point de vue n'est pas conforme à celui défendu par les services.
Page 208
L'affaire dite "de Châteauroux" a mis en exergue de très graves manquements en matière de contrôle des antécédents judiciaires. Le département du Nord a ainsi confié des enfants à des structures non autorisées situées dans d'autres départements, dont l'une fut créée par une ancienne assistante familiale à qui l'agrément avait été retiré, comme le montre le rapport de l'inspection générale des services (IGS) du département du Nord que la rapporteure a pu consulter dans le cadre de son contrôle sur pièce. Cette affaire, qui montre de nombreux dysfonctionnements à chaque étape du parcours des enfants, illustre aussi l'insuffisance des contrôles et le défaut de communication entre départements. Selon la journaliste Romane Brisard auditionnée par la commission d'enquête, "à l'époque des faits, lorsque l'aide sociale à l'enfance du Nord confie ces enfants à ces individus, deux des accueillants avaient déjà un casier judiciaire pour violences sexuelles sur mineur." Le rapport de l'IGS montre que des enfants ont été confiés par l'intermédiaire d'une association à une personne déjà condamnée pour des faits d'agression sexuelle sur mineur, ce qui est évidemment intolérable.
Page 210
A propos d'une nouvelle plateforme de contrôle des antécédents judiciaires:
Si la rapporteure salue le travail en cours, elle déplore l'inertie des pouvoirs publics qui a longtemps prévalu sur ce sujet et le retard pris pour le déploiement de la plateforme. Dans le même temps, des situations très graves continuent d'exister, exposant les enfants à des risques inadmissibles.
Page 213 et suivantes
Une dérive particulièrement inquiétante : le recours croissant à l'intérim et l'irruption de gestionnaires de structures liés à des sociétés privées lucratives
Le recours à l'intérim est une pratique en essor dans le secteur médico-social et la protection de l'enfance n'y fait pas exception. Or, par de nombreux aspects, l'intérim est incompatible avec les besoins fondamentaux de l'enfant. Il est de surcroît très préoccupant de constater que l'intérim est mobilisé pour la prise en charge d'enfants qualifiés de "cas complexes". Dans un contexte où l'intérim se normalise et prend une part croissante dans le domaine de la protection de l'enfance, de nombreux acteurs redoutent la progression insidieuse du secteur privé lucratif.
Le recours croissant à l'intérim s'accompagne d'une dégradation qualitative de l'accompagnement
Une réponse particulièrement inadaptée à l'urgence et à la prise en charge des enfants présentant des vulnérabilités multiples
L'arrivée du privé lucratif en protection de l'enfance constitue une menace inacceptable pour les droits des enfants.
L'audition du directeur général du groupe Domino RH a révélé les stratégies agressives d'un groupe privé d'intérim pour capter des financements publics dédiés à la protection de l'enfance, au total mépris des droits des enfants. Ouverture de MECS éphémères dans des gites ou des Airbnb, recrutement de professionnels non formés, accueil d'enfants d'âge très différents et relevant de prises en charge complètement différentes...
Les prix de journée pratiqués par le privé lucratif sont hallucinants : 1200 euros par jour pour une place en hôtel. Le privé lucratif a compris qu'ils pouvaient proposer une prise en charge rapide bien que de qualité médiocre pour répondre aux besoins en protection de l'enfance.
L'ANMECS dénonce "une forme de déréglementation de la question de la protection de l'enfance, et même à une forme de marchandisation". En effet, la puissance publique ferme les yeux sur l'arrivée d'acteurs privés et ne tente pas de favoriser des organisations publiques et non lucratives.
Page 218
La nécessité d'interdire le secteur privé lucratif en protection de l'enfance
Le droit n'interdit pas aujourd'hui le fait que des structures de la protection de l'enfance soient gérées par des acteurs privés à but lucratif. (...) De nombreux acteurs traditionnels craignent aujourd'hui une marchandisation du secteur et des prix tirés vers le bas, au détriment de la qualité de l'accompagnement.
Page 219
L'existence d'une violence institutionnelle au sein de l'ASE
La prise en charge des enfants confiés à l'ASE peut générer des situations de violence. C'est une défaillance profonde de ce service public, dont l'un des objectifs est précisément de protéger ces enfants de situations de violence.
Le Comité de vigilance des enfants placés a rappelé cette défaillance avec force à la commission d'enquête, à l'instar de M. Louffok : "Notre système actuel, loin de protéger ses enfants, les expose à des risques, à des abus, à des traumatismes qui marquent leur vie à jamais", de Mme Metro : "Si un parent traitait son enfant comme l'État traite les enfants de la protection de l'enfance, il lui serait retiré".
Page 223
Les enfants subissent des violences systémiques liées aux dysfonctionnements de l'ASE dans son ensemble.
En sus des violences physiques et psychologiques (...), les enfants subissent des violences liées aux défaillances du système de la protection de l'enfance.
Les modalités de placement et les conditions d'accueil en elles-mêmes peuvent être violentes. En particulier, la vie en collectivité est souvent synonyme d'environnement bruyant, de cris, d'une architecture pas toujours adaptée et ne favorisant pas le respect de l'intimité. M. Mads Suaibu Jalo, président de Repairs75, a témoigné de sa visite dans un foyer : "Je vous assure que l'environnement à l'intérieur du foyer (disposition des tables, des lits, organisation des repas et activités, etc.) y est violent. Après ces deux heures, j'ai réalisé que je préférerais vivre n'importe où ailleurs que dans un foyer."
La surmédicamentation des enfants est une autre de ces formes de violence. La professeure Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, cheffe de service de la Maison de Solenn, a souligné que "les soins pédopsychiatriques sont complexes et le médicament peut parfois être utilisé comme une sorte de petite camisole".
Elle a également évoqué, de manière plus spécifique, le cas des enfants qui n'ont pas pour langue maternelle le français. Sans prise en compte de cet enjeu par la structure d'accueil, cela peut contribuer à augmenter la violence du placement.
Page 224
La rapporteure constate que le système de la protection de l'enfance n'est pas encore suffisamment capable d'accueillir la parole de l'enfant victime de violences liées à sa prise en charge par l'ASE et d'y répondre. Les enfants de l'ASE sont des proies bien identifiées des réseaux de proxénétisme.