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Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains depuis le 1er mai 2020

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Tribune 18 septembre 2025

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Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains depuis le 1er mai 2020

« Nous sommes toutes et tous condamnés à mort » : entendre les défenseurs et défenseuses des droits humains à Gaza

« Hier, j’ai parlé à la mère d’un enfant né et mort pendant la guerre. » Le travail des défenseur·euses des droits humains palestiniens (DDH) à Gaza est essentiel. Je transmets leurs témoignages dans l’espoir qu’ils seront entendus par les Français. Cette folie doit prendre fin. Par Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains.

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Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains depuis le 1er mai 2020

« Hier, j’ai parlé à la mère d’un enfant né et mort pendant la guerre. »

« Chaque jour, je vois mon enfant partir chercher de l’eau au lieu d’aller à l’école, ou traîner dans des quartiers où gisent des cadavres au lieu de jouer au ballon. »

 « À Gaza, en ce moment, nous sommes toutes et tous condamnés à mort. »

Voilà quelques-uns des témoignages douloureux que j’ai pu entendre lors d’une réunion en ligne avec dix défenseurs et défenseuses des droits humains palestiniens (DDH) à Gaza.

Leur travail est essentiel : les preuves qu’ils recueillent servent de base aux recours déposés auprès de l’ONU, les données qu’ils rassemblent étayent les reportages des médias internationaux.

Si Israël est un jour tenu pour responsable des atrocités commises à Gaza au cours des 22 derniers mois, ce sera grâce au travail accompli par ces défenseurs et défenseuses des droits humains, malgré le massacre et la famine provoqués par Israël et ses alliés, dont la France et l’Union européenne.

Ils travaillent et vivent dans des tentes, comme la plupart des habitants de Gaza. Une défenseuse, mère de famille, m’a confié avoir été déplacée à cinq reprises.

Comme le reste de la population, ils risquent d’être victimes d’assassinats aléatoires ou ciblés perpétrés par les Forces de défense israéliennes. Beaucoup ont déjà été tués.

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Le site d'une frappe aérienne israélienne à Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, le 4 octobre 2024. © Photo Majdi Fathi / NurPhoto via AFP

Chaque jour, ils commencent par chercher de la nourriture et de l’eau pour eux-mêmes et leur famille, la peur au ventre de ne plus jamais revoir leurs enfants. Rien ne garantit qu’ils auront des vivres avec eux s’ils reviennent. « Aujourd’hui, quand je me suis réveillée, il n’y avait pas d’eau », rapporte une femme en milieu d’après-midi. « Que puis-je faire pour vivre et travailler ? Je ne peux même pas me laver le visage. »

Ils partent ensuite, pendant des heures, à pied ou à dos d’âne, en direction des hôpitaux et des camps, afin de recueillir les témoignages des victimes de ce que de nombreux experts, dont la commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, considèrent comme un génocide.

Leurs questions font d’eux des cibles. L’un des défenseurs souligne d’ailleurs : « Je passe régulièrement à la télévision... Même si je ne suis pas la cible, le journaliste ou le caméraman pourraient l’être. » Depuis le 7 octobre 2023, Israël a tué au moins 247 journalistes palestiniens à Gaza.

Il faut prendre des risques pour trouver de l’électricité. Souvent, ils doivent se rendre à l’hôpital le plus proche pour accéder à Internet, sauvegarder des données ou recharger leurs appareils. L’OMS a recensé au moins 697 attaques menées par Israël contre des centres de soins et des hôpitaux à Gaza depuis le début de la guerre.

Le financement de leur travail est extrêmement limité et ne couvre pas leurs besoins de base. Par exemple, une ONG basée à Gaza dont le nom était similaire à celui d’une organisation sanctionnée sans fondement par le département du Trésor américain a vu ses avoirs gelés par Bank of Palestine. « Nous essayons d’obtenir la levée de cette mesure, mais l’un de nos donateurs a retiré son soutien ces derniers jours », déclare Alaa Skafi, directeur de l’association Al Dameer pour les droits humains à Gaza. Plusieurs organisations palestiniennes renommées de défense des droits humains,  toutes membres de la Fédération internationale pour les droits humains basée à Paris, ont récemment été sanctionnées par les États-Unis en raison de leur coopération avec la CPI.

Les défenseurs et défenseuses des droits humains me disent qu’ils sentent la mort approcher, mais qu’ils ne peuvent pas s’arrêter. « Mon frère est mort alors même que je participais à une réunion », m’a confié une défenseuse. « J’ai pleuré un peu, mais j’ai continué », m’a-t-elle dit. Une autre défenseuse m’a raconté qu’elle recensait les meurtres d’enfants nés et tués pendant la guerre, et qui n’ont donc laissé aucune trace officielle.

Les défenseurs évoquent le chaos qui règne à Gaza en raison de la mainmise d’Israël. « Le système de valeurs est complètement bouleversé », me confie un défenseur. « Il y a ceux qui ont la force et le pouvoir de se procurer leur pain quotidien. Et ceux qui n’en ont pas et qui meurent de faim, tout simplement. »

« On ne trouve rien, parce qu’il n’y a rien », explique un membre de la Commission indépendante pour les droits de l’homme. Mme Amal Syam, du Women’s Affairs Centre, m’a confié qu’elle avait tellement maigri qu’elle craignait de se regarder dans la glace. « Je ne me reconnaissais pas », dit-elle. 

J’ai entendu parler d’une organisation qui tente de faire en sorte que les personnes handicapées soient prises en compte dans la planification de l’aide humanitaire, qui ne leur parvient pas. « Parfois, nous avons l’impression que les gens qui organisent ces programmes vivent sur une autre planète, alors que nous, nous sommes bien ici, sur Terre », m’expliquent-ils.

Les défenseurs notent que les droits humains en général ont perdu de leur crédibilité. « On nous a dit que le droit international était le bouclier qui protège les civils pendant la guerre », raconte un défenseur des droits humains. « Mais aujourd’hui, nous sommes massacrés sous les yeux du monde entier. »

Quand je leur demande ce que je peux faire, ils me répondent qu’il faut mettre fin au génocide et à la guerre, à la famine, à la soif et aux déplacements forcés.

Ils estiment que les agissements d’Israël risquent de créer un précédent pour d’autres dictatures, que les repères moraux sont ébranlés et qu’il est nécessaire de rassembler des preuves pour garantir que les responsables de ces crimes rendent des comptes.

Ils me disent de ne pas attendre qu’ils soient tués pour consigner leurs témoignages.

Je transmets ici leurs propos dans l’espoir qu’ils seront entendus par les Français et que ceux-ci feront pression sur leurs représentants pour qu’ils utilisent leur pouvoir afin de mettre fin à ces atrocités. Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne peuvent rester impunis.

Cette folie doit prendre fin.