MARYSE EMEL (avatar)

MARYSE EMEL

Abonné·e de Mediapart

172 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 novembre 2024

MARYSE EMEL (avatar)

MARYSE EMEL

Abonné·e de Mediapart

Habiter en peintre un château

C’est l’histoire d’une rencontre. Une rencontre entre l’art, un peintre, un rouleau et un château.

MARYSE EMEL (avatar)

MARYSE EMEL

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Prendre avec le sérieux de l’intention et de l’attention, le travail artistique  d’Henri Darasse au château massif d’Ahaus en Rhénanie allemande où il exposera prochainement, c'est se débarrasser de nos habitudes de penser en commençant par celle qui privilégie l’oeuvre comme récit narratif dans un ordonnancement chronologique. Il nous faut renoncer à concevoir l’art  sur le mode de la représentation. L’histoire se passe avant le travail de l’oeuvre. C’est l’arrivée au château d’Henri Darasse en ce matin de la fin du mois d’octobre 2024.

L’art ici  se dérobe aux attendus, Celui de la priorité de la forme par exemple.  Au contraire, de ce qu’on croit, il s’agit d’échapper au désir confortable de l’achèvement, sans pour autant demeurer dans une ébauche indécise, qui n’est que diversion et dispersion, Refuser le dogme c’est une attitude qui ne mène pas nécessairement à un scepticisme sans issue. Voilà toute la difficulté pour parler du travail d’un artiste dont l’oeuvre questionne et par son travail met en suspens les notions de la tradition esthétique. Il s’agit pour Henri Darasse de revenir non pas à l’être du monde mais à son flux, ce flux créatif qui fait de l’art un perpétuel recommencement.

Si, dans un travail antérieur, c’est à produire des effets de la matière que le peintre porta ses efforts, son travail actuel s’en est distancié. Plutôt que de s’attarder sur les conditions matérielles portées par  l’usage de la couleur, il a approfondi un travail sur les motifs, interrogeant  le motif comme décorum, mais faisant évoluer dans le même temps le questionnement sur les motivations (et non les raisons) de sa peinture. Comme l’écrit Maurice Merleau Ponty, la psychologie de Cézanne n’explique pas la peinture de Cézanne; Ainsi aucune psychologie n’explique le peintre Henri Darasse. Place est faite ici à la nécessité.Comme la nécessité et l’énigme expliquent l’amitié de Montaigne et La Boétie ( le fameux “parce que c’était lui, parce que c’était moi”),

Plutôt que de s’en remettre à la causalité en qui il voyait un formalisme vide, tenant à la main ’un rouleau de peinture, ce qui est la marque de son travail, sa signature, il feint de s’en remettre  au hasard, En se jouant des aléas de la forme, le geste (se) répète L’art vacille et de nouvelles expériences en montrent la singularité individuée, Parce que c’est Henri Darasse, parce que c’est ce château

Le refus de la cause c’est aussi le refus d’un quelconque artiste démiurge. L”artiste n’a pas d’idée préexistante. Pas de modèle. Il fait tout simplement.

 Pas de peinture sans ces pigments, cette macération, ce temps de la fabrication. Pas de peinture  sans métamorphose. Ainsi le discours ne fait pas le peintre. Je peins d’abord aime à dire Henri Darasse. Privilège du présent et de l’effet, au coeur d’une pensée de l’art comme effectologie – terme qu’il attribue à son expérience..

S’il y a répétition du geste dans l’oeuvre en train de se faire,  

Si le château d’Ahaus en impose sans doute par une histoire qui dépasse le présent, il revient à l’art de ne pas s’ensevelir sous le commémoratif. Ne pas s’ensevelir dans l”histoire de l’art. Ne pas se perdre dans ce risque que prend la création.

Il revient à l’art, autant qu’il est possible, de modifier ses propres habitudes de faire. Il faut rendre à l’art non pas un pouvoir mystérieux de décider des formes, mais celui de surprendre. La couleur sèche mal, constate Henri Darasse. Attendons de voir l’effet…

Le temps n’est pas le temps du souvenir enfui, dérobé - comme on parle d’une porte dérobée. Le temps de l’oeuvre n’est pas le temps du secret. Il est présence à la matière dans un “faire”  toujours en train de se refaire. Les tissus de Henri Darasse ne sont pas décoratifs au sens traditionnel. Cependant, il y a bien un éclairage qui nous vient de la tradition des nabis ou des estampes. Ce sont eux aussi des hommes de l’art, des artisans. pris dans un faire,  comme on dit que la colle a pris. 0u lorsque l’on pense à ces bâtisseurs de cathédrale dont Georges Duby nous fit le récit.une fabrication, dont le peintre n’a jamais cessé de réitérer le geste.

Regardons le château où les tissus inventent des vitraux en écho à ceux de Soulages.

L’oeuvre prolonge les effets sans s’abandonner aux souvenirs.

  Toute théorie est englobante. Elle vise la totalité, feignant l’éparpillement dans un univers où le Principe d'incertitude se déploie sur fond de prévision mathématique.  Le peintre n’est-il pas lui aussi l’effet du rouleau, ou pour le dire autrement, dans cette “décoïncidence” avec ce que les discours esthétiques nomment le “monde”, n’est-il pas un indéfinissable, un de ces nombres irrationnels qui inquiétaient tant les Grecs de l’Antiquité ? Comme la “décoïncidence” dont traite le dernier ouvrage de François Jullien, dans ce travail où le support recule sans pour autant disparaître, où la couleur dans sa trajectoire semble obéir au projet de la main, tout en s’en libérant du fait de l’intervention du  rouleau, où les ruses de la perspective sont déjouées.

C’est de la performance diraient certains critiques d’art devant le travail d’Henri Darasse en Allemagne, au Chateau d’Ahaus. Une performance qui toucherait à l’exploit… sauf qu’à la différence de Kristo, il n’y a pas emballage. La démarche est m*même inversée. Nulle prouesse. Henri Darasse tisse une gestuelle, se rapprochant ainsi de la geste héroïque du Moyen-Age.

L’oeuvre s’expose en se déposant,   Il n’y a pas l’ombre d’un exploit. pas de conquête

juste l’attente

l’oeuvre attend de sécher pour se hisser à la verticale. Est-ce sa place ?

MARYSE EMEL

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.