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Billet de blog 9 mai 2019

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A Aubervilliers, portraits de... les massacres de Sétif

Double commémoration : Jacques Salvator, aujourd'hui disparu organise à Aubervilliers la première commémoration de Sétif

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Illustration 1

 Ce matin c'était la commémoration à Aubervilliers des massacres de Sétif en Algérie... Triste découverte, la plaque commémorative votée à l'unanimité par le conseil municipal a été retirée par des entrepreneurs peu scrupuleux.

D'abord les faits. 

Quand la victoire de la démocratie sur la barbarie nazie est apparue imminente, certains musulmans d'Algérie ont espéré que serait enfin mis en application le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. L'échec qui va suivre est le point de départ de ce que l'on nommera "la guerre d'Algérie".

Parmi eux Messali Hadj, chef du PPA (Parti Populaire Algérien), interdit depuis 1939. Mais celui-ci est jeté en prison par les autorités françaises et 20.000 de ses partisans défilent le 1er mai 1945 à Alger en sa faveur.

Le matin du 8 mai, une nouvelle manifestation survient à Sétif aux cris de «Istiqlal [Indépendance], libérez Messali». Les militants du PPA ont la consigne de ne pas porter d'armes ni d'arborer le drapeau algérien mais un scout musulman n'en tient pas compte et brandit le drapeau au coeur des quartiers européens.

La police se précipite. Le maire socialiste de la ville, un Européen, la supplie de ne pas tirer. Il est abattu de même que le scout. La foule, évaluée à 8.000 personnes se déchaîne et 27 Européens sont tués dans d'atroces conditions. L'insurrection s'étend à des villes voisines, faisant en quelques jours 103 morts dans la population européenne.

La répression est d'une extrême brutalité. L'aviation elle-même est requise pour bombarder les zones insurgées. Après la bataille, les tribunaux ordonnent 28 exécutions et une soixantaine de longues incarcérations (*).

Officiellement, les autorités françaises estiment que le drame aura fait 103 morts chez les Européens et 1.500 chez les musulmans. Les autorités algériennes parlent aujourd'hui de 45.000. Les historiens spécialistes évoquent quant à eux 2.500 à 6.000 morts. ( source : https://www.herodote.net/8_mai_1945-evenement-19450508.php )

De quand date cette commémoration ?

Réponse dans ce discours de Jacques Salvator, ancien maire PS d'Aubervilliers de 2008 à 2014 :

Discours du maire, Jacques Salvator, sur le massacre de Sétif, Guelma, Kherrata.

Madame, Monsieur,


Au lendemain de la commémoration du 63ème anniversaire de la fin des combats de la Seconde guerre mondiale, Aubervilliers a souhaité se souvenir d’une tragédie qui s’est déroulée de l’autre côté de la Méditerranée, à Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mai 1945.

C’est une première, non seulement pour la ville d’Aubervilliers mais me semble t-il pour une municipalité.

Il s’agit d’un acte fort, de la reconnaissance d’un drame longtemps passé sous silence et encore méconnu.

Permettez-moi de revenir sur les faits :

Ce jour là, alors que la France célèbre l’armistice suite à la capitulation de l’Allemagne nazie, en Algérie, sont également organisées des manifestations pacifiques, d’autant plus que nombre d’Algériens ont participé au conflit et donné leur vie pour la libération de la France.

Une foule nombreuse se réunit et défile sous les banderoles nationalistes réclamant la fin du colonialisme et le droit à la liberté conformément à la Charte de l’Atlantique du 14 août 1941 qui reconnaît déjà le droit à l’autodétermination des peuples, et aux déclarations des libérateurs durant le conflit mondial.

Mais à Sétif, Guelma et Kherrata, la manifestation tourne à l’émeute. La foule scande des slogans nationalistes et des militants du Parti du peuple algérien (PPA) réclament la libération de leur leader, Messali Hadj, toujours en prison.
La police tente de s’emparer des drapeaux algériens et pancartes nationalistes, des heurts s’engagent avec les manifestants, l’émeute éclate et des manifestants sont tués.

Cent neuf colons seront tués dans la rébellion qui suivra cette manifestation.

Dès lors, la répression sera extrêmement brutale. L’armée perpétue un massacre aux côtés de milices civiles : bombardements, mitraillages des villages, exécutions sommaires…, jusqu’au 22 mai.
Le bilan de ce déchaînement ne sera jamais connu avec exactitude mais il est estimé entre 10000 et 45000 morts selon les sources.

Le 27 février 2005, l’ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de la Verdière, en déplacement à Sétif a reconnu que le massacre était « inexcusable » : « Je me dois d’évoquer une tragédie qui a particulièrement endeuillé votre région. 
Je veux parler des massacres du 8 mai 1945, il y aura bientôt 60 ans : une tragédie inexcusable ».

C’était la première fois qu’un représentant de la République française reconnaît le drame qui s’est déroulé à Sétif lors des premiers sursauts de nationalisme d’après guerre.

Plus près de nous, Bernard BAJOLET, nouvel ambassadeur de France, a déclaré, dimanche 27 avril, à l’Université du 8 mai 45 à Guelma, que le temps de la dénégation des massacres perpétrés par la colonisation est terminé et souligne « la très lourde responsabilité des autorités françaises de l’époque dans le déchaînement de folie meurtrière »

A Aubervilliers, nous voulons également témoigner par ce geste que l’histoire collective n’est pas qu’un enchaînement de décisions justes. 
Aux périodes de ferveur et de progrès collectifs succèdent ou se côtoient des évènements malheureux, des tragédies que nous devons être en mesure de transmettre.

Illustration 2

Comme l’écrivait Edouard Glissant, immense auteur martiniquais dans le sillage d’Aimé Césaire et de Frantz Fanon, à propos de l’esclavage :
« Le travail de mémoire ne doit pas conduire au ressassement du passé. C’est à une mémoire-dépassement de ce passé qu’il faut œuvrer »

Remerciements à ceux qui ont œuvré pour la reconnaissance de ce massacre : Mouloud Aounit qui était au MRAP,  puis 93 au cœur de la République et Didier Daeninckx écrivain reconnu par ses engagements

 Aujourd'hui le Consul d'Algérie ( à droite) avec la Maire Mériem Derkaoui.

Illustration 3

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