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Billet de blog 12 février 2019

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A Aubervilliers, portraits de...

Acte 3 : Interview d'Evelyne Yonnet-Salvator, une socialiste humaniste.

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Illustration 1

M.E :Evelyne Yonnet-Salvator, vous êtes ancienne Sénatrice PS de Seine Saint Denis, Présidente du Groupe Socialiste et républicain au conseil municipal. Vous avez participé en tant que 1ère adjointe à la mandature de Jacques Salvator, Maire d’aubervilliers de 2008 à 2014, Jacques Salvator qui était aussi votre époux et avec qui vous avez partagé 40 ans de militantisme. Mais vous êtes d'abord une femme libre qui a toujours cru en la mémoire militante.
Votre habitude du terrain ne vous a pas laissée insensible aux discours des gilets jaunes. Vous qui appartenez à un parti politique, que pensez-vous de ce bouleversement des habitudes politiques, de cette mise en cause de toute forme de représentation ?

Faire table rase du passé ce n'est pas ce qui me porte. D'ailleurs qui peut avoir une identité stable si vous lui retirez son passé ? Le passé nous fonde même si nous nous en détachons. Le militantisme est une façon comme une autre de se construire une mémoire.

Après avoir parcouru l’article de Sophie Wahnich (Le fond de l’air est jaune, page 29),  je me trouve d’accord avec son analyse. Elle compare les Gilets Jaunes aux « Sans Culottes », je suis aussi d’accord avec elle sur la grande hétérogénéité politique du mouvement. Elle écrit - et nous ferions bien de nous en inspirer- qu'  « il n’y a pas de formations idéologiques discursives initiées, chacun possède sa propre grammaire »(page 32). C'est vrai que les partis politiques ont tendance à faire disparaître la diversité des points de vue, au nom de l'action et de la ligne à suivre. Les contradictions effraient.

La crise de la représentation serait aussi une critique du langage des politiques, voire un refus d'adhérer à une idéologie préétablie?

Il y a un refus des convictions émanant d'autres que soi. Adhérer à un parti, cela a toujours été Ma formation politique initiale remonte aux années 1970 où je me suis engagée au PSU et où j’ai rencontré Jacques Salvator. L’idéologie et les convictions de ce « groupuscule » bouillonnant de rêves et d’idées nouvelles m’ont inspirée beaucoup. J’aime cette phrase de William Shakespeare que j'ai fait mienne : « ils ont failli car ils n’ont pas commencé par le rêve ». Je suis restée une grande utopiste. J’aime à penser que l’humain est perfectible, c’est mon côté humaniste. Il m’arrive parfois de lire Sénèque. Définissant  la vie heureuse, il écrivait dans une Lettre à Lucilius((lettre 92)) :« c’est la sécurité et la permanence dans le calme. Ce qui donne cela c’est une âme grande, c’est la constance qui maintient ce que la justice à décidé ». mes combats m'ont donné cette constance.
Pour en revenir à votre question, je discute beaucoup avec nos concitoyens/nes. Ils portent tous leur propre histoire et une mémoire collective. Les partis politiques ne devraient pas le négliger. Un parti ne doit pas être monolithique mais faire entendre les divergences car du conflit des discours naîtra un consensus ou pas. S'il y a quelque chose à diviser, ce serait plutôt l’ordonnancement méthodique du traitement des difficultés sociales et économiques. 

M.E :Vous considérez les partis politiques comme nécessaires ?

Oui, je ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. les acquis de 1936, la résistance aux fascismes, les 35 heures, la retraite à 60 ans – sur laquelle l'Etat est revenu - les RTT, l’égalité hommes/femmes, le RMI, le mariage pour tous, autant d’avancées que l’éparpillement citoyen n’aurait pas pu mettre en place efficacement. Je suis frappée par l’exigence de justice fiscale dans le discours des Gilets Jaunes. Dans les années 1970 considérées comme le début de la crise économique, nous ne parlions pas de justice fiscale mais de justice sociale


M.E : Dans Le fond de l'air est jaune, Thomas Piketti explique en effet que la suppression de l'ISF est une catastrophe sociale mais aussi écologique. Une perte pour l'Etat de 5 milliards par an. S'est développé le sentiment d'abandon des classes populaires et le renoncement à une régulation du capitalisme. En ce moment les Gilets jaunes occupent un espace, celui des ronds-points, priorité à gauche selon le code de la route. Les péages aussi font partie de leurs lieux d'occupation, comme une menace à la circulation, toutes les circulations y compris celles des devises.

On parle de nouvelles expériences démocratiques. N'y-a-t-il pas là aussi une forme de désespoir tragique.

Les pauvres deviennent de plus en plus pauvres, les classes moyennes s'appauvrissent à leur tour. Les riches sont de plus en riches. L'évasion fiscale n'est pas contrariée par la suppression de l'ISF.

M.E : Vous êtes une femme de terrain à Aubervilliers. Dans les années 80 vous adhérez au Parti Socialiste et vous y êtes encore à ce jour, reconnue à ce titre puisque présidente du groupe Socialiste et Républicain depuis 2014.

Effectivement je suis dans la ligne d'Olivier Faure, secrétaire national du PS. Je ne suis pas dans la dissidence Je suis socialiste reconnue par le parti depuis mes débuts et toujours aujourd'hui. Et par-delà les reconnaissances officielles, les citoyens- ennes me reconnaissent comme tel. J'avoue ne pas avoir lésiné ces dernières années. Comme sénatrice j'ai beaucoup oeuvré, en collaboration avec les élus du Département sur les difficultés sociales des habitants du 93.

Aujourd'hui certains socialistes attirés par des discours libéraux me reprochent mon engagement aux côtés des habitants. Mais je ne suis pas ailleurs que dans un département qui rassemble toutes les conséquences de la pauvreté. Dans socialisme, il y a le mot « social ».

Je suis une femme que la lutte a formé. J'ai aimé les causes que j'ai menées au côté d'un homme que j'ai aimé, comme un amant, un mari, un ami, un militant. Je garde en ma mémoire, cette mémoire qui fut la nôtre.

Il y a un livre qui vient de sortir. Il a pour titre : Sorcières. Il me vient parfois à l'esprit que ce temps où les femmes étaient accusées et mise au bûcher pour sorcellerie, a des relents encore aujourd'hui. Je suis femme et porterait mes combats pour un socialisme humaniste jusqu'au bout !

à toi Jacques Salvator .

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