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Billet de blog 12 août 2018

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Vivre à Aubervilliers et Pantin à l'ombre du projet parisien de Crématorium

En langage numérique, Paris, a sa réalité augmentée. C’est le Grand Paris, à l’urbanisme triomphant et aux décisions indiscutées, indiscutables.

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La parole est aux spécialistes, perdus un moment dans les limons de la ligne 12 au cœur de la ville d’Aubervilliers. Le métro est en retard, faute de maîtrise technique du terrain. On cherche et les gravats sont une installation permanente. La ville est une déchirure béante. Grabats, poussières, trottoirs défoncés, des rats, l’imagerie de l’Apocalypse a sa matière. On cherche le beau. Des marchés parallèles, des mendiants, des cris, du désespoir, des violences au quotidien… le beau n’est pas au rendez-vous. Et à la ligne 12 s’ajoutent les prochains travaux de la 15. La réalité ajoutée qu’est cette ville limitrophe de Paris, est comme prisonnière de son histoire. Il y eut un temps où les abattoirs de la Villette faisaient dire aux passants que le quartier sentait la mort. Les boyauderies utilisaient des femmes, aux vêtements mouillés en permanence, les mains gelées d’être dans l’eau toute la journée, au milieu des boyaux et du sang. Aubervilliers est au nord-est de la Capitale. Ce n’est pas un hasard si les activités économiques dites sales s’y développent après les travaux d’Haussmann. Haussmann sépare les pauvres des riches. Les règles d’hygiène et le beau ne s’appliquent pas au Nord-Est. L’industrie lourde s’y installa, sans tenir compte de ses conséquences sur la santé. . On ne parlait pas du temps du Baron de réchauffement climatique et de pollution. Les fumées toxiques suivaient le sens du vent, d’ouest en est. Le nord-est était prédisposé par sa situation géographique à récupérer les vents pestilentiels. La mort était sans cesse présente dans les représentations de l’ouvrier, du fait des conditions difficiles de travail, mais aussi de la symbolique des lieux. 
Est-ce un hasard si depuis peu la Capitale a imposé à la ville de Pantin, un crématorium ? La question de la mort est une question sacrée d’ordre symbolique. Si pendant des siècles les cimetières étaient au cœur de la ville, le grand ménage haussmannien, les règles d’hygiènes naissantes, repoussèrent les cimetières à la sortie des villes. Sortir d’un lieu implique d’entrer dans un autre lieu. Si les habitants de la ville de Pantin sont furieux, ce n’est pas tant parce qu’ils sont opposés à un crématorium, que pour le poids symbolique que cela réveille. Donner une expression à la mort, c’est sortir de sa virtualité, pour lui donner corps. Le crématorium en ce sens donne à la mort son espace. Mettre la mort à l’écart – sauf dans le cas du Père Lachaise dont la célébrité de ses hôtes en fait un lieu quasi touristique- est un choix du politique. La « Cité » est, métaphoriquement un organisme vivant : la Cité croît, a ses artères, ses canaux. Elle se compose d’habitants, de membres lui donnant forme et équilibre. Organisme vivant elle rejette hors d’elle ce qu’elle produit comme déchets. L’image de la déchetterie est morbide. Rares sont les villes qui souhaitent les accueillir. Le déchet est dans l’ordre du discours cette démesure, ce trop plein dont il faut se débarrasser, pour cause de pollution, mais aussi pour des raisons plus symboliques : il rappelle l’excès, l’excédent, le gaspillage. C’est pourquoi, comme le montre cette lexicologie, la ville expulse la mort comme incompatible avec elle. Les habitants de Pantin éprouvent de l’agacement aussi par leur expulsion de toute discussion. Paris choisit, Paris impose. Ce qu’ils contestent c’est l’incurie de l’information. Pourquoi de tous les candidats éligibles au crématorium, la plupart était du nord de la Capitale, et pourquoi le choix s’est-il reporté sur Pantin ? 
Du côté d’Aubervilliers, pendant ce temps, à la fin du marché d’Aubervilliers au centre-ville, ils s’affairent et ramassent ce que les autres ne veulent pas manger. La ville a un cœur devenu ventre. Les besoins élémentaires se manifestent avec ostentation. Ramasser la nourriture à même le sol, coucher sur l’asphalte, l’hygiène impossible, renvoient à une réalité animale insupportable. La vie fait place à la survie. Ainsi peuvent s’expliquer les multiples projets culturels d’une partie de la population, cherchant là un remède ou un voile, à l’évocation de la mort, de l’animalité jamais bien loin. L’histoire des villes montre ces stratégies accompagnées par le pouvoir pour cacher la misère. La pensée fonctionne spontanément par des associations libres, des représentations. Qu’elles soient justes ou fausses, ce n’est pas le lieu pour en discuter. Ce qui importe ici c’est de comprendre pourquoi elles sont là. D’abord, la réalité de la mort n’est jamais bien loin dans les banlieues du nord qui voient affluer des réfugiés de pays en guerre, des sans-papiers en état précaire, des sans domiciles. Les campements de fortune sont à peine invisibles. Les deux villes, Aubervilliers et Pantin, absorbent les misères diverses qui finissent par se mesurer entre elles. Une femme chinoise se voit reprocher par une magrébine d’être une étrangère « ici ». 
Notre rapport à la mort devrait être plus serein, déclara un élu parisien défendant le projet du crématorium, tout en reconnaissant l’absence de justifications à propos des choix de la Ville de Paris. Celui qui n’a pas à lutter pour survivre peut se permettre de tenir ce genre de discours. Quand l’insécurité du corps s’installe, l’imagination se transforme en folle du logis.
A Aubervilliers il y a dans une rue en apparence paisible, un petit immeuble. Dehors les poubelles sont envahissantes. Des encombrants gisent. Rattaché à l’OPH, l’immeuble a la porte toujours ouverte. Pour le digicode, il va falloir attendre. Des femmes, des hommes se plaignent. On ne les écoute pas. L’insécurité s’installe dans les têtes. Les élus municipaux parlent dans leurs projets d’embellir la ville en plantant des arbres. Ici, il y a une mauvaise herbe qui se déploie pour survivre. Les entrepôts de tissus ne sont pas loin. Des entrepôts Aubervilliers en est saturé. Dans cet immeuble on a choisi d’entreposer des locataires. Tel un jeu de lego, les cubes s’empilent dans cette ville surplombée par des sacs en plastique volants. 
Madame la Maire d’Aubervilliers a décidé de rencontrer les habitants. Pour leur dire quoi ? Qu’il n’y a qu’à se résigner ? On peut renoncer à des projets aberrants, mais faut-il renoncer, au sens de se résigner à subir ? Il y a un devoir politique qui consiste à être vigilant. Tout accepter, c’est renoncer à la démocratie. Celle-ci n’est pas un régime mais une condition nécessaire à l’exercice effectif de notre liberté, au sens de « démocratie délibérative ». Les élus ne doivent pas être omnipotents. Des espaces sans obstacles écrivait Montesquieu deviennent très vite désertiques. Le despotisme c’est le visage de ce renoncement auquel conduit bien souvent la prise de décision arbitraire du pouvoir en place. Le dialogue avec les élus ne protège pas contre, car il joue sur l’individualisme, en établissant un entretien à deux par le jeu des questions-réponses. Dès lors le commun se dissout dans des particularismes. 
Une ville est inachevée par essence, dès que l’on considère que c’est l’humain qui lui donne vie. Le Grand Paris semble l’avoir oublié. Il bricole quand il a négligé des problèmes. Il cherche la place qui lui reste compte-tenu de la rapacité des promoteurs. A l’invention collective de réponses, il répond mécaniquement et paresseusement. Sa logique demeure individualiste, une collection de points de vue, sans autre horizon que de conserver le pouvoir de décision. Il y a une pathologie de ce désir de pouvoir : c’est la misère qui ronge les habitants et prend de plus en plus d’ampleur.

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