A valoriser la misère, le PCF à Aubervilliers montre une inculture totale et sa non lecture de Marx. En même temps que certains petits bourgeois s'installent sur le territoire de la commune, tels les nouveaux aventuriers d'une capitale perdue trop chère pour leurs finances, la misère résiste et s'accroît. Il fut un temps où le PCF revendiquait cette culture de la misère, la confondant avec celle du prolétaire. Aujourd'hui il se laisse guider par le Grand Paris et contribue aux constructions urbaines plus par accumulation des habitats qu'en pensant l'humain. On cherche vainement le brassage social annoncé. On voit au contraire des communautés qui ne se confondent pas, tant par leur habillement que leur consommation. Diverses les communautés : religieuses en grande partie, elles sont avant tout culturelles et identitaires. La misère quant à elle est là et s'affiche au centre-ville. Connus des habitants, vivant de la manche, des aides sociales, les miséreux ne revendiquent rien si ce n'est de l'argent, sous les yeux d'une municipalité qui reste dans une attitude ambiguë.
Définissant la misère, Pascal y voit une question sans solution : Car c’est être malheureux que de vouloir et ne pouvoir, écrit-il dans un fragment des Pensées (24). Douleur et souffrance accompagnent un état d'une telle indétermination que le misérable se retrouve victime d'un ballottement sans fin. Ce vacillement permanent se traduit par sa soumission à tous les discours qui s'imposent par la force de la séduction ou de la terreur. Il suit à défaut de réfléchir. On pense pour lui. La pitié qu'il provoque n''est pas plus réfléchie. Elle renvoie à l'effet produit par le corps nu du nourrisson exposant aux yeux de tous sa fragilité. Elle joue sur les affects en nous renvoyant à notre impuissance originaire.
Le miséreux n'est jamais bien loin du misérable. Rappelons-nous Les Misérables de Victor Hugo. Les personnages y symbolisent tous une figure de la misère : Fantine ou la déchéance, Les Thénardier ou la méchanceté, Cosette la malheureuse qui suscite la pitié, Jean Valjean ou la misère transformée en sainteté. Il y a donc plusieurs figures de la misère. Leur point commun est la morale qui s'en dégage.
C'est en nous renvoyant à la trace du péché originel, à notre abandon fondamental que la misère nous attire. A moins que cette rencontre ne soit celle d'une trace sur un visage, nous renvoyant à un indéfinissable et infini commandement . Lévinas écrivait : « Le visage s’impose à moi sans que je puisse rester sourd à son appel, ni l’oublier, je veux dire sans que je puisse cesser d’être responsable de sa misère ». Par son lien avec une morale de la nudité la misère devient valeur et a un prix : la rencontre avec autrui, dans son altérité et sa ressemblance.
Il y a une misère qui relève de l'indécence. Si on considère que le politique n'est pas là pour faire oeuvre de morale, se pose nécessairement la question des raisons qui conduisent une municipalité à exhiber la misère, au-delà du classique déni qui consiste à dire : ce n'est pas de notre responsabilité, c'est une fatalité dans cette ville. Ce serait les "moyens" insuffisants qui créeraient la situation. A chaque fois qu'une institution est en panne, l'école par exemple, on invoque les moyens. Il suffirait d'avoir plus de dotations budgétaires pour résoudre les difficultés. Au regard cependant de la réunion publique tenue au cours d'un conseil municipal extraordinaire où était présenté le projet urbain d'Aubervilliers, on a pu constater la faiblesse voire la faillite d'une réelle réflexion sur le sens de la ville. Les moyens ne peuvent être mis en oeuvre que s'il y a un objectif, une pensée du sens. Or, à la surprise générale on annonça la plantation d'arbres pour enjoliver la ville. De la misère ambiante il ne fut pas question. Indépendamment des "stars" de la misère qui siègent à côté de la Mairie, symbole de la justice et du droit, il y a les pauvres qui sombrent de plus en plus dans la misère. et ceux-là ne sont pas des stars.
L'Observatoire des inégalités produisait le bilan suivant :
Les vingt communes où le taux de pauvreté est le plus élevé :
Taux de pauvreté
Grigny 44,8
Clichy-sous-Bois 44,5
Roubaix 42,3
Aubervilliers 41,9
La Courneuve 41,7
Garges-lès-Gonesse 41,0
Creil 37,2
Saint-Denis 36,7
Villiers-le-Bel 36,6
Bobigny 36,4
Pierrefitte-sur-Seine 36,1
Stains 35,0
Maubeuge 33,9
Sarcelles 33,9
Béziers 33,2
Pantin 33,0
Villeneuve-Saint-Georges 32,3
Vaulx-en-Velin 31,9
Lens 31,8
Mulhouse 31,6
France métropolitaine 14,
Seuil à 60% du niveau de vie médian. Communes de plus de 20 000 habitants.
Source : Insee - Données 2013 – © Observatoire des inégalités
La situation sociale de ces communes est dégradée, notamment dans certains quartiers où le taux de pauvreté (de l’ordre de 60 à 70 %) dépasse de loin les moyennes affichées ici. L’insécurité économique dans laquelle vivent les habitants, et en particulier les jeunes adultes, rejaillit logiquement dans la vie quotidienne. Pour autant, la lecture de ces données doit être faite avec précaution. Tout d’abord, le seuil de pauvreté utilisé ici est fixé à 60 % du niveau de vie médian, environ 1 000 euros par mois pour une personne seule ou 2 500 euros pour un couple avec deux adolescents. On rassemble des populations qui vivent dans le plus grand dénuement et des familles modestes dont la situation économique est très différente. Ensuite, comme pour le chômage, un niveau élevé de pauvreté peut se combiner avec un certain dynamisme économique : les créations d’emplois attirent de nouvelles populations. À l’inverse, dans certaines villes le taux de pauvreté peut être inférieur parce qu’une partie de la population est partie chercher meilleure fortune ailleurs. Source : https://www.inegalites.fr/Les-communes-les-plus-touchees-par-la-pauvrete-2086
Il est clair que les chiffres sont à interpréter. Les statistiques ne sont pas de pures données. Elles présentent une dimension idéologique indéniable. Mais on peut y lire une tendance confirmée par une promenade dans les villes.
Nous disions en introduction que le PCF n'a jamais véritablement mesuré ce qu'est la misère. Laissons la parole à Marx afin de comprendre pourquoi entretenir la misère, en la gardant ou en la renvoyant vers d'autres territoires , ce n'est rien d'autre qu'entretenir le capitalisme :
Enfin, le dernier résidu de la surpopulation relative habite l'enfer du paupérisme.
Abstraction faite des vagabonds, des criminels, des prostituées, des mendiants, et de tout ce monde qu'on appelle les classes dangereuses, cette couche sociale se compose de trois catégories.
[A] La première comprend des ouvriers capables de travailler. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les listes statistiques du paupérisme anglais pour s'apercevoir que sa masse, grossissant à chaque crise et dans la phase de stagnation, diminue à chaque reprise des affaires.
[B] La seconde catégorie comprend les enfants des pauvres assistés et des orphelins. Ce sont autant de candidats de la réserve industrielle qui, aux époques de haute prospérité, entrent en masse dans le service actif, comme, par exemple, en 1860.
[C] La troisième catégorie embrasse les misérables, d'abord les ouvriers et ouvrières que le développement social a, pour ainsi dire, démonétisés, en supprimant l’œuvre de détail dont la division du travail avait fait leur seule ressource puis ceux qui par malheur ont dépassé l'âge normal du salarié; enfin les victimes directes de l'industrie - malades, estropiés, veuves, etc., dont le nombre s'accroît avec celui des machines dangereuses, des mines, des manufactures chimiques, etc.
Le paupérisme est l'hôtel des Invalides de l'armée active du travail et le poids mort de sa réserve. Sa production est comprise dans celle de la surpopulation relative, sa nécessité dans la nécessité de celle-ci, il forme avec elle une condition d'existence de la richesse capitaliste.
Il entre dans les faux frais de la production capitaliste, frais dont le capital sait fort bien, d'ailleurs, rejeter la plus grande partie sur les épaules de la classe ouvrière et de la petite classe moyenne.
La réserve industrielle est d'autant plus nombreuse que la richesse sociale, le capital en fonction, l'étendue et l'énergie de son accumulation, partant aussi le nombre absolu de la classe ouvrière et la puissance productive de son travail, sont plus considérables.
Les mêmes causes qui développent la force expansive du capital amenant la mise en disponibilité de la force ouvrière, la réserve industrielle doit augmenter avec les ressorts de la richesse.
Mais plus la réserve grossit, comparativement à l'armée active du travail, plus grossit aussi la surpopulation consolidée dont la misère est en raison directe du labeur imposé.
Plus s'accroît enfin cette couche des Lazare de la classe salariée, plus s'accroît aussi le paupérisme officiel.
Voilà la loi générale, absolue, de l'accumulation capitaliste. »
Le Capital - Livre premier Le développement de la production capitaliste Karl MARX VII° section : Accumulation du capital Chapitre XXV : Loi générale de l’accumulation capitaliste
Marx est toujours d'actualité...