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Billet de blog 19 mars 2019

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A Aubervilliers, portraits de... Bruno Brette

Un luthier dans l'intimité silencieuse de la matière.

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Illustration 1


Il est breton. C'est peut-être de là que lui vient son caractère bien trempé. Il est assez direct, trop parfois. Les convenances, les compromis, sont loin d'être sa tasse de thé, comme on dit, d'autant plus qu'il préfère le bon vin, celui qui s'est bonifié au cours des ans. Il s'est sans doute lui aussi policé au fil du temps, comme ses contrebasses si féminines. "On dit une contrebasse... un violoncelle" dit-il en souriant. Quant au violon, "je le mets sur mes genoux quand il faut le réparer. Comme un enfant. On n'a pas le même geste avec cet instrument fragile. La contrebasse au contraire c'est une autre histoire." 

Je passe souvent le voir dans son atelier. C'est vrai, avec la contrebasse le geste est caressant, amoureux, aux prises avec les formes féminines. Il ne se confond pas avec mais part à la rencontre. Le bois d'érable est un bois noble et à la sonorité profonde. Les racines se cachent dans le sol, résistantes, portant la mémoire de l'origine. 

Ni artisan, ni artiste, ou les deux à la fois. Bruno Brette n'apprécie pas les catégories. Elles enferment. Son travail dépasse le cadre étroit de la recette qu'il suffirait d'appliquer. La matière est singulière, vivante. Elle porte la mémoire de ses origines. Comme lui. Il tient à ses racines, seules capables de donner un élan au futur. 

Il se souvient de sa formation en ébénisterie et surtout de celui qui l'a initié à la lutherie. L'humilité c'est cela dit-il. Apprendre d'abord. Puis transformer ce savoir... le transmettre à son tour. Cela prend du temps. 

La musique n'est-elle pas d'ailleurs cette durée, éloignée du plaisir fugace de l'instant ?

Il fait vibrer la contrebasse. "C'est cela le silence", dit-il. Un son, des sons. Le silence s'écoute.

Je me dis que cela n'est pas donné à tout le monde. Il n'aime pas les bavardages inutiles, au risque de passer pour un rustre. Son silence répond au silence de la contrebasse. L'indicible ce sont ces mots trop pauvres qui luttent avec eux-mêmes, pour n'atteindre que la surface des choses. Il y a cependant dans le silence quelque chose à entendre. A condition de ne pas réduire le silence au mutisme. 

L'atelier est retrait, mise à l'écart des bruits et de la foule. Il est le moment de la rencontre avec la contrebasse.

Quand le musicien arrive, une autre histoire commence. 

La contrebasse part continuer sa vie ailleurs, avec un droit de visite toutefois pour Bruno.

Il regarde son jardin. Une autre planche d'érable attend.

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