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Billet de blog 25 mai 2024

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Après la passerelle rouge du Millénaire

Je suis conseillère municipale. Je vis avec les habitants nouveaux ou anciens, de souche ou de passage. J'ai peu de pouvoir. Comment faire quand l'administration territoriale et celle de l'Etat alourdissent les procédures ? Il reste cette bouteille lancée dans le canal d'Aubervilliers, pas très loin d'Icade.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les JO 2024 à Aubervilliers c'est des travaux à perte de vue qui n'en finissent pas. Des zones de non droit ont tout loisir de prendre forme. Le retard accumulé depuis 20ans autour de la ligne 12 laissent entrevoir des craintes avec la ligne 15. Autant dire que la végétation, la déminéralisation peuvent attendre.  Attendre quoi d'ailleurs ? Une crise de nerf générale ? Il faut attendre la fin des jeux ne cesse-t-on de dire. Soit.  La facture des Jeux sera lourde. Pour voir passer la flamme dans un convoi qui ressemble au Tour de France, la ville paiera la sécurité et la décoration des rues. Les travaux resteront en suspens. De quoi satisfaire les commerces à la sauvette qui ne cessent de sauter de quartiers en quartiers dans un jeu de tectonique des plaques.

Et il y a les habitants dont on ne mesure pas assez la lassitude, la peur et la colère. Ceux que j'ai rencontrés du côté  du métro Aimé Césaire, ce côté qui n'intéresse pas ICADE*, l'aménageur qui aime jongler avec les mots, les mots de la culture et de la philosophie. La philosophie d'Icade c'est le luxe, le beau. Il aime dire qu'il a supprimé les octrois de la ville pour ouvrir la route de la liberté.  A la ceinture rouge, il préfère ce qu'il nomme la "synergie" et entreprend un peuplement des portes des villes.  Avec quelques ratés. Le Millénaire par exemple. C'était l'époque où il croyait aux cubes, cette architecture qu'il revend par morceaux à Paris. Reste le cube d'Aubervilliers pas loin d'une passerelle  rouge. Alors le vide ne restant pas longtemps vide, les toxicomanes sans cesse déplacés pour ne pas nuire aux intérêt marchands, ont trouvé dans ce lieu un espace. 

La question devient alors pour le coup philosophique. Jusqu'où va la responsabilité du concepteur d'un espace dont l'échec commercial et l'abandon consécutif au départ de presque tous les commerces rend possible l'installation de comportements non seulement illégaux mais dangereux.

Les habitants du quartier du métro Aimé Césaire voient en eux s'installer la peur. Et la colère.

Ils sont propriétaires depuis une quinzaine d'années pour certains, moins pour d'autres. Acheter n'est pas  un choix pour les classes moyennes chassées de Paris. Depuis le démantèlement du camp sous la passerelle rouge à côté du Millénaire, les toxicomanes se sont installés avec le camp de migrants.  Sans rien leur demander. Qui s'intéresse encore à ces hommes, ces femmes et ces enfants exilés ? Ils ont investi aussi les copropriétés pour y satisfaire la nécessité de leurs besoins. Sous le regard de tous.

Ils ont investi les lieux sans aucune considération pour les règles de la pudeur, ces règles qui tracent la ligne de démarcation entre l'humain et le non humain. Il ne s'agit pas d'opposer la morale à ce comportement mais la loi et son application.

Le passage Moglia est devenu un lieu inhabitable. A la fin des années 2000, c'est la construction d'une grande copropriété. Ils sont nombreux à acheter. Ils font connaissance. N'attendent pas la fête des voisins pour partager le repas.

Le repas on ne peut pas le partager avec des hommes et des femmes rongés par le silence de la drogue. 

On ne peut pas parler avec des hommes et des femmes qui perdent les mots, poussent des cris de terreur... ne distinguent plus le jour de la nuit.

On ne peut qu'attendre la sirène des voitures de police

*Icade est un groupe immobilier français, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, créé en 1954 sous le nom de Société Centrale Immobilière de la Caisse des dépôts et consignations (SCIC) par François Bloch-Lainé, afin de faire face aux besoins de logements en France.

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