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Il y a dans cette ville un air printanier. Chacun vaque à ses occupations. Je suis dans un lieu où il faut demander l'autorisation pour discuter. Je discute toutefois avec de jeunes hommes affairés. L'un est accroché à son portable-prothèse de la modernité, un autre plutôt pensif et le troisième acceptant de discuter avec moi, plutôt intrigué par ma démarche. Mon style parkinsonien explique sans doute la présence d'un employé absorbé par son portable. Lit-il, enregistre-t-il? Je n'en sais rien. Une chose est sûre c'est que cela a été un grand frisson de liberté.
A un moment, surgit un boute-en train. Les mains emplies de formulaires, il attend son tour à la photocopieuse. Lance au passage une blague à l'attention de ses camarades.
Je n'irai guère plus loin ce jour-là. Pas toujours facile de faire comprendre à des structures rigides pour de multiples raisons, que la discussion n'attend pas une autorisation, mais que des attitudes fermées impliquent forcément une autre attitude fermée en retour. Discussion sous tutelle... et après on vous parle de la nécessité du dialogue, du lien social. Mot magique que le lien social. Il convient de noter que c'est en travaillant sur le suicide qu'Emile Durkheim forgea ce concept.
La parole tisse des liens. Je me suis toujours demandée si les villes qui s'en réclament ne sont pas finalement celles où la parole libre est suspectée d'être dangereuse et rarement prise. C'est en tissant la toile que Pénélope supporte le silence d'Ulysse. La toile c'est l'autre non du textile, du texte, de la parole.
Le lien social n'est pas à inventer. Seulement à déterrer. Il faut creuser pour cela. On déplore l'abstention. S'est-on seulement demandé si cette figure de la résignation, une de ses interprétations possibles, n'était pas la réponse non formulée à l'injonction à se taire ?
Il est des villes où on passe un contrat silencieux avec les habitants, réanimant ainsi les vieilles querelles rhétoriques : taisez-vous, on connaît mieux les discours que vous. Vous n'y connaissez rien.
Et si c'était faux? si les techniciens compétents dans leur domaine assez étroit, ce qui est propre à la spécialisation technicienne, n'y connaissaient rien à la réflexion politique ?
Le politique c'est réfléchir l'organisation des hommes. Pourquoi certains auraient le droit de dire et d'autres non ? Le discours est propre à tout homme. L'homme est un animal politique disait Aristote C'est pourquoi il est doté de parole. Pour énoncer les mots de la justice, sans quoi le silence les recouvrirait. Le lien social c'est cela : cette libre parole qui circule entre...
Alors j'écris ces portraits... en contemplant le phoque de mon enfance.