Salwa a déposé son tricycle qui a 12 ans en bas de chez moi. Ce tricycle est unique, comme cette vie qu'elle s'est construite. Elle circule dans la ville, comme la ville circule en elle.
J'ai mis du temps à le trouver. Je suis allée jusqu'en Hollande, dans un petit patelin. On s'est rencontré, on l'a démonté...et on ne s'est plus quitté. Deux ans après ma fille est née... et on se l'est partagé.
Aubervilliers c'est ma deuxième naissance
Je suis arrivée en 1983, à 8 ans. J'étais jusqu'alors dans une petite maison à Casablanca. J'avais une polio très sévère. On avait diagnostiqué une totale absence de mobilité. En bref j'étais condamnée par la médecine à rester allongée. Mon père a refusé ce discours de la fatalité, ce faux "maktoub". Bien sûr disait-il il y a ce que Dieu a écrit, mais il nous a confié aussi la gomme. Le médecin a proposé alors à mes parents de m'envoyer en France. La France pour moi, à mon arrivée c'était le bruit, la démesure. Je ne savais pas encore que j'y resterai jusqu'à aujourd'hui
En tout cas j'ai gardé de mon père cette obstination, cette force du désir. Non seulement aujourd'hui je marche - et mon père, à l'époque ne s'en est pas laissé compter- mais j'ai aussi en moi cette force qui me pousse à aller jusqu'au bout.
Et je suis restée. Aubervilliers je m'y sens en sécurité. C'est comme un village.
J'ai intégré en 1998 la vie associative, la plus belle vitrine d'Aubervilliers. J'ai rencontré des gens, des cultures, des projets de toutes sortes.
Mais bien avant cette date, j'ai toujours été partante pour monter des projets. Mon expérience de l'hôpital,par exemple, m'a permis de collaborer avec le service orthopédique et de faire des "pitreries" auprès des enfants. Comme cela, spontanément. Le rire est une belle arme contre les larmes...
Le regard des autres est meurtrier. Contre cela une seule chose : faire ce que l'on a envie de vivre. Tu ne peux pas courir ? Pas grave. Il y a d'autres façons de faire. En revanche, la bêtise ne se guérit pas
Pour le dire autrement, ces regards te font voir ton étrangeté pour l'autre Ils insistent sur ta différence.
Je suis dans ma bulle, aveugle à ces regards. Cela ne veut pas dire que je me résigne.
Je suis quelqu'un qui a fait face depuis sa naissance à des obstacles. C'est en sautant par-dessus que l'on s'élève et construit ce que l'on est.
Je suis fière d'avoir compris le message de mon père. J'ai pris ma gomme et je la transmettrai à Inès, ma fille.