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Billet de blog 5 mai 2025

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Sans soft power, la lumière des États-Unis va s’éteindre

Alors que les penseurs du mouvement MAGA s'inscrivent dans une volonté d'étendre leur influence, l'incapacité de comprendre comment le hard power ne peut s'articuler sans le soft power rend cette volonté vaine. Les élections nationales au Canada et en Australie montrent toutes les limites du hard power sans le soft power.

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Dans une interview à l’Atlantic et pour couronner ses 100 jours au pouvoir, Trump a déclaré diriger les États-Unis et le monde. À Munich, JD Vance a tancé les Européens en déroulant un discours populiste au vitriol sur la liberté d’expression et autre érosion des libertés en Europe. Entre les deux, Zelensky s’est fait humilier, sur sa tenue vestimentaire et sur son manque de reconnaissance de l’aide des États-Unis en Ukraine, dans le bureau ovale de la Maison-Blanche. Ces démonstrations de force pour que l’impérialisme américain reprenne des forces ne sont pas très appréciées dans le reste du monde.

Pour preuve, les premiers résultats électoraux dans les États alliés très proches des États-Unis – le Canada et l’Australie. Les candidats qui s’avéraient proches des idées de Trump ont subi une lourde défaite alors que lors de l’inauguration de Trump au pouvoir, trois mois plutôt les élections leur semblaient faciles à gagner. Dans la poursuite de la puissance et pour abouter les mots de Joseph Nye, un État doit savoir comprendre et bien articuler les deux axes de cette puissance : le hard et le soft power. L’incapacité de l’administration Trump de comprendre l’arme du soft power sape les deux axes de puissance dans sa totalité et risque de sacrifier l’influence américaine dans le monde à jamais.

Le concept de puissance d’un Etat est enseigné aux étudiants de première année qui poursuivent des études en relations internationales à l’Université. Ce concept a été développé par Joseph Nye, ancien conseiller de Bill Clinton, qui reconnait que pour qu’un état soit puissant et dominateur, il doit s’articuler autour de deux axes : le hard power and le soft power. Le hard power renvoie à la capacité coercitive, voire oppressive de la puissance alors que le soft power désigne la capacité à attirer, séduire et persuader. Les guerres qu’ont mené les Etats-unis sont la preuve de la capacité coercive des états unis. Le pouvoir culturel que les états unis dégagent à travers la diffusion de ces modes de vie reflète le soft power. L’illusion donnée de la force démocratique des états unis et de l’opportunité économique que le système économique américain semble offrir font aussi partie du pouvoir de séduction, donc du soft power, des états Unis.

Les premiers pas du deuxième mandat de Trump s'insèrent entièrement dans le hard power et ignorent le soft power. La menace de prendre le Groenland, la menace d’intégrer de force le Canada comme le 51ᵉ État des États-Unis, la menace de prendre d’assaut le canal de Panama, la décision unilatérale de renommer le golfe du Mexique le golfe des Amériques, l’abandon de l’aide à l’internationale américaine. Puis les tarifs appliqués aveuglément à des pays qui sont en déficit commercial, comme l’Australie avec les USA, ou à des îles uniquement occupées par des pingouins.

Les élections au pouvoir au Canada et en Australie de candidats qui ne s’alignaient pas avec Trump montrent toutes les limites de l’utilisation de la capacité coercitive de Trump sans le soft power. Non seulement, les partis qui semblaient proches de Trump ont subi une lourde défaite, les candidats qui portaient ces partis ont aussi perdu leurs circonscriptions respectives.

Au Canada, en janvier 2025, la démission de Trudeau n’a surpris que peu de monde. Au pouvoir depuis 2015, 2025 était considéré comme l’aboutissement de la déchéance de Trudeau. Dans cette descente, Trudeau entrainait aussi son parti. Au moment de sa démission, les sondages ne donnaient que 1% de chance au Parti libéral de Trudeau de gagner les élections. C’était Pierre Poilievre, le leader du parti conservateur qui était désigné le gagnant potentiel.

De même en Australie, en Janvier 2025, les sondages donnaient 3 % de chance au parti travailliste d’Anthony Albanese (surnom : Albo) de gagner le droit de diriger le pays trois ans de plus. En Janvier, les sondages prévoyaient la victoire de Peter Dutton, leader de l’opposition de la coalition Libérale Nationale.

Dans les deux pays, c’est pour une grande partie les coups de butoir (hard power) de Trump qui ont mené à la défaite ces partis de la droite dure. Au Canada, la tâche pour le successeur de Trudeau, Mark Carney, a même été facilitée par les déclarations unilatérales d’annexion de Trump. Jouer sur le sentiment nationaliste a permis à Mark Carney de l’emporter haut la main. Selon un sondage de YouGov, 48  % de la population canadienne a admis changer de vote vers Carney à cause de Donald Trump.

En Australie, le Parti travailliste a orienté sa campagne vers les similitudes et les alignements idéologiques entre Peter Dutton et Trump, l’accusant d’être fainéant et d’avoir simplement fait un copier-coller de la plateforme politique de Trump.

Dans les deux pays, les partis perdants portaient des politiques similaires à Trump. En Australie, Peter Dutton a promis de virer 40 000 bureaucrates et de forcer tous les bureaucrates à abandonner le télétravail. Ces deux politiques dignes de la politique de la tronçonneuse d'Elon Musk ont été très impopulaires.

Au Canada, Pierre Poilievre aussi proposait des politiques similaires à Trump, comme réduire l’aide étrangère canadienne.

Dans les deux pays, la responsabilité humaine du changement climatique a été admise du bout des lèvres. Peter Dutton a dû revenir devant les journalistes quelques heures après le second débat contre Albanese pour se reprendre et dire que oui, le changement climatique induit par l’activité des humains était une réalité.

Au Canada comme en Australie, les conservateurs ont subi une lourde défaite. Et cette défaite est surtout lourde, puisque quelques mois auparavant, ils avaient été déclarés gagnants dans les sondages. Anthony Albanese a même conforté son avance et gagné des sièges au parlement (du jamais vu en Australie pour un deuxième mandat), passant de 76 à 86 sièges. Cela lui donne une majorité confortable pour diriger le pays pour les trois ans à venir.

Au Canada, la victoire est plus en demi-teinte, car les libéraux vont devoir former un gouvernement minoritaire.

En janvier 2025, Steve Bannon, l’un des plus fervents soutiens de Trump, voyait dans l’accession au pouvoir de Trump et les milliards disponibles d'Elon Musk les instruments pour étendre le populisme MAGA en Europe et empêcher l’accession au pouvoir de gouvernements qui ne s’alignent pas avec Trump. Mais pour pouvoir étendre son influence, les attaques verbales et les diatribes, seules, ne fonctionneront pas. Elles doivent être accompagnées par le soft power.  Et pendant la campagne électorale en Australie, répondant à une question sur les tarifs imposés par Trump, Anthony Albanese l’a bien noté que ‘les tarifs n’étaient pas un acte d’amitié’.

La puissance des États-Unis s’est fondée sur cette amitié, sur la collaboration, sur sa séduction. De cette amitié sont venus des soutiens. L’Australie a mené la guerre du Vietnam avec les États-Unis. L’Australie a été le premier soutien des États-Unis pour la guerre en Irak. Enfin, l’Australie a abandonné l’achat de sous-marins en France au nom de la longue amitié avec les États-Unis et même si ces sous-marins seraient livrés plus tard (ou jamais) et à un coût beaucoup plus important. Quant au Canada, la proximité des deux pays leur a permis de forger une amitié et des liens économiques, politiques et militaires.

La volonté de l’administration Trump de tyranniser les autres pays est non seulement vaine, mais risque bien de détruire à jamais la puissance que les États-Unis revendiquent au moment où ils en ont le plus besoin. Tyranniser ne fait qu’antagoniser et créer de l’animosité, ce qui, à court et à long terme, détruit la volonté des partis victimes de collaborer, d’être persuadés ou d’être séduits. Dans la rivalité avec la Chine, et pour s’affirmer comme puissance incontournable, les États-Unis ont tort de s’antagoniser des amis de longue date. Ils devraient plutôt jouer sur l’union fait la force. Face au chaos et à la coercition, les pays jusqu’alors amis vont se détacher et abandonner les États-Unis à leur propre sort pour de nouvelles alliances. Au lieu de l’amitié, il y aura la déférence. Car la puissance des États-Unis n’existe que du fait de l’articulation du soft et hard power. Sans l’un de ses éléments, la puissance tombe.

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