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Billet de blog 13 avril 2023

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Les luttes au temps des crises multiples

L’accroissement de la distribution inégale des risques et bénéfices socio-politico-écologiques de nos sociétés ne va qu’exacerber les luttes pour une plus grande justice.

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Les luttes dont la France sont le théâtre depuis des mois, voire des années ne sont pas des avatars dus à des quelconques esprits échauffés ou – terroristes intellectuels, mais bien un avant-gout de ce qui va se passer dans les décennies à venir. L’accumulation et l’intensification des crises – économiques, financières, sanitaires, du care, environnementales – vont de façon accrue faire l’objet de confrontations entre différentes positions idéologiques et propositions de ce que chacun envisage pour l’avenir pour diminuer l’impact négatif des crises.

Comme bien des théoristes de l’économie libérale l’ont montré, les crises sont la partie intégrale du capitalisme puisque celui-ci n’est basé que sur des contradictions insurmontables. La course à la croissance sans limite pour alimenter des profits exponentiels dans un monde limité est insoutenable donc moteur de crises. La ponction des profits se fait par l’extraction totale. L’extraction se fait  à travers l’externalisation des coûts sociaux au détriment du bien être des plus pauvres. Ainsi, l’éducation, la santé et le manque de travail pour tout le monde sont supportés par les plus pauvres à travers des décennies de baisse de budget.  L’éducation, qui a souffert de baisse de budget, met en péril la possibilité pour les plus pauvres d’utiliser une éducation de qualité pour accéder à l’ascenseur social. Le taux bas du chômage n’est pas dû à la création d’emploi mais bien à des décennies de vagues de radiations, sans parler de ceux et celles qui sont dans un emploi partiel imposé. L’annulation des impôts locaux par exemple met en péril la capacité, au niveau local, d’offrir des infrastructures à ceux qui en ont le plus besoin, telles que des transports publiques verts. Les coupes budgétaires dans les hôpitaux et les privatisations de masse des EHPAD mettent la priorité sur les profits au détriment des patients.

 Quant aux forces dominantes qui possèdent les moyens de production, elles sont de moins en moins sollicitées dans le contrat social dont elles bénéficient à travers les infrastructures, une population bien éduquées et en bonne santé  et ce, pour faciliter l’accumulation. C’est bien cette contradiction, c’est-à-dire l’accroissement des inégalités, qui est et va être de plus en plus sources de conflits, du fait que l’on ne renonce pas à ces politiques mortifères.

L’extraction totale se fait aussi sur l’environnement qui est et sera une source de tensions. Les choix politiques inadéquats sur le climat vont aggraver les inégalités. L’accroissement des profits se fait au détriment du vivant. Par exemple, l’agriculture productiviste extrait des profits des terres en déversant de plus en plus d’intrants nocifs pour des rentabilités de plus en plus réduites, tuant ainsi les conditions de notre survie car détruisant encore plus les écosystèmes. La construction des bassines représente l’absurdité de notre modèle économique. Pour pouvoir, sur le très court terme, offrir plus d’eau à un petit nombre d’exploitants agricoles, nous dépensons des millions d’Euros, nous détruisons des écosystèmes, émet du carbone pour creuser des trous et pour mettre des bâches en plastique pour un résultat moindre car l’eau dans ces trous sera plus polluée et objet d’évaporation (30-40%). En effet, les exemples étrangers comme en Californie, au Chili et en Australie nous ont déjà montré les désastres écologiques des bassines. L’absurdité c’est qu’il existe déjà des nappes phréatiques naturelles où, depuis la nuit des temps, l’eau s’écoule et jusqu’à maintenant peut aussi être filtrée naturellement (E. Haziza). Les bassines vont mener à une distribution inégale de l’eau. C’est bien cette inégalité et l’absurdité de ses projets qui sont contestées.

L’externalisation des couts sociaux et des couts environnementaux, pour extraire des profits, se rejoignent et s’amplifient et vont exacerber les conflits. La confrontation entre les demandes pour une plus grande justice environnementale et sociale et la violence des politiques néolibérales ne peuvent pas être plus flagrantes que lorsque l’on parle de nitrites dans le jambon. D’un côté, nous avons un gouvernement qui au nom de son idéologie néolibérale met la priorité sur l’accroissement des profits en mettant en avant l’impossibilité de trouver des alternatives aux nitrites (alors qu’elles existent). De l’autre, les scientifiques disent que la consommation du nitrite provoque entre 4 et 5 000 morts par an. Ces morts sont, en majorité, parmi les plus pauvres du fait d’une double peine : Il leur est plus difficile d’ acheter des produits sans nitrite du fait de leur coût. La deuxième peine est due aux déserts médicaux créés par le gouvernement néolibéral. Pour augmenter les chances de guérir d’un cancer, il faut que celui-ci soit détecté tôt. Or si les malades n’ont pas accès à des docteurs, la maladie ne pourra pas pas être décelée prématurément. La même dynamique mortifère se reproduit pour le partage de l’eau et des pesticides.

La crise écologique va s’accélérer. Pour l’instant, non seulement les pays ne remplissent aucunement leurs obligations de maitrise des émissions de carbone (c’est la moindre des exigences pour nous offrir une porte de sortie de la crise ecologique). De plus, ne nous laissons pas attirer par les dogmes de la technologie salvatrice car il y a de plus en plus de recherches scientifiques qui montrent que les outils technologiques pour répondre à la crise climatique sont inadéquates. Rien de plus flagrant que la politique absurde sur les mini centrales nucléaires. Pour limiter le réchauffement à 1.5 dégrés, il faut une réduction des émissions de 43% avant 2030. Or selon EDF, il faut entre 15 et 20 ans pour construire un réacteur. Un enfant de 8 ans comprendrait le dilemme. Quand à la raison pour laquelle les citoyens européens peuvent installer des panneaux solaires sur leur toit, c’est parce que le cout social et écologique des panneaux est externalisé vers les pays producteurs, la Chine pour la production, la RDC pour le cobalt, le Chili pour le lithium. Tant que l’on maintiendra le modèle de développement qui nous a mené à cette catastrophe, on ne commencera pas à résoudre le problème environnemental.

Les conflits dus à la redistribution inégale des risques et bénéfices du modèle néolibéral exacerbés par la crise climatique ne sont pas le fait de la France. Les exemples abondent : les luttes contre l’extension des extractions de pétrole en Amérique du Sud, la résistance contre l’appropriation des terres pour des énergies renouvelables en Norvège, la résistance contre l’extension de la mine de charbon en Allemagne. Avec un emballement des effets négatifs de notre modèle néolibéral de développement et une planète plus chaude, l’accès aux ressources sera plus difficile car plus rares. De plus en plus, le modèle économique en place va être remis en cause, du fait de son iniquité, menant à des confrontations de plus en plus violentes.

Mais d’une certaine façon, la France est particulière pour l’instant dans sa réponse. Le gouvernement a décidé d’utiliser la violence et la répression contre toute personne qui remet en cause l’impératif néolibéral. Dans cette configuration, on peut dire que Macron est en train d’avoir son moment ‘Thatcher’ pour faire référence à la violente répression contre les mineurs de charbon dans les années 80 au Royaume Uni. Et il ne faut pas s’étonner que le gouvernement s’en prend uniquement à la gauche. L’extrême droite ne veut pas remettre en cause les structures économiques en place. Elle veut conserver ses privilèges mais veut faire croire, à tort, que l’ensemble des inégalités sont dues à l’immigration.

La volonté du gouvernement français de s’en prendre à la ligue des droits de l’homme reflète la volonté de museler toute opposition. La France n’est pas la seule. D’autres pays illibéraux procèdent de la même façon en menaçant les organisations qui défendent les droits humains de leur couper les vivres. Sur la liste, il y a la Hongrie, la Pologne, mais aussi d’autre pays comme la Russie, la Chine. Il y a quelques années, j’enseignait le concept de pouvoir et violence théoriser par Hannah Arendt et certains devraient bien la relire.

Mon propos n’est pas naïf. Nous n’assistons pas à des affrontements entre le bien et le mal, où ce dernier serait le gouvernement. Le gouvernement va de plus en plus devoir se positionner face à ceux qui veulent défendre d’autres statu quo comme les privilèges patriarchaux, hétéronormatifs et raciaux. On peut voir la réaction violente que Sandrine Rousseau a suscité quand elle a suggéré de ne plus manger de viande et que la consommation était genrée.

La presse mondiale et le monde académique s’émeuvent de la résurgence de conflits géopolitiques : La Russie qui tente d’envahir l’Ukraine, mais aussi le sort de Taiwan, le conflit entre la Chine et l’inde pour en nommer quelques-uns. Mais les tensions ne vont pas être uniquement géopolitiques, mais aussi internes. Des années de politiques néolibérales qui ont laminé les infrastructures qui maintenaient un semblant d’égalité d’opportunité entre les différentes couches de la société vont être exacerbées par les impacts de la crise environnementale. L’incapacité des gouvernements de s’extraire du dogmatisme techno-économique les empêchent de proposer des solutions plus justes pour lutter contre les effets négatifs des crises multiples. C’est de cette injustice que les conflits émergent.

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