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Billet de blog 25 avril 2021

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La trainée toxique de notre dépendance au pétrole

Les leçons de la marée noire de l’Amoco Cadiz nous apprennent les enjeux de nettoyage vains des dégâts causés par les marées noires autour du monde.

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Au cours des dernières décennies, les acteurs de la société civile dans de nombreux pays produisant du pétrole ont poussé les compagnies pétrolières à interrompre leurs activités et à nettoyer le gâchis qu’elles ont causé. Au Pérou, en Équateur et au Nigéria, des communautés autochtones ont poursuivi des sociétés pétrolières pour tenter de les forcer à nettoyer les déversements d'hydrocarbures ou à indemniser les dommages causés sur leur territoire. Les leçons à long terme tirées du nettoyage de la marée noire de 1978 en Bretagne, en France, peuvent nous aider une idée les défis qui nous attendent alors que le nombre d'incidents et d’accident dans les zones d’exploitation du pétrole augmente. Comme le montre la marée noire qui a eu lieu en Bretagne il y a plus de 40 ans, il est pratiquement impossible de ramener un environnement détruit par le pétrole à son état d'origine. Des alternatives devraient donc être trouvées pour indemniser les communautés qui ont été sacrifiées par notre dépendance au pétrole, et la réhabilitation à long terme des zones touchées devrait être une priorité absolue.

On estime qu'au cours des cinq dernières décennies, environ 9 à 13 millions de barils de pétrole ont été déversés dans la région du delta du Niger au Nigéria. Rien que pour le nord-est de l'Amazonie équatorienne, entre 2011 et 2014, il y a eu 464 accidents qui ont déversé l'équivalent d'environ sept millions de barils de pétrole brut. Et dans un rapport d'Oxfam et de Coordinadora Nacional de Derechos Humanos, publié l'année dernière, il a été estimé qu’entre 2019 et 2020, le long de l'oléoduc Norperuano au Pérou, il y a eu 474 accidents pendant lesquels des hydrocarbures ont été déversé. Il a également été estimé qu'en huit ans, entre 1972 et 2017, environ trois milliards de barils de déchets toxiques associés à la production pétrolière ont été déversés en Amazonie au nord du Pérou.

Les communautés pétrolières touchées n’ont cessé de demander soit des compensations ou le nettoyage des dommages causés à leur environnement lors de l'extraction ou le transport du pétrole. En 2012, dans le delta du Niger, la communauté Bodo a intenté une action en justice contre Shell devant un tribunal de grande instance de Londres. À la suite de ce procès, en 2015, Shell a accepté un règlement de 55 millions de livres sterling pour indemniser la communauté pour le préjudice subi. De même, en 2008, trois villages nigérians ont poursuivi Shell en tant que société néerlandaise devant un tribunal néerlandais, tandis qu'en 2014, le gouvernement péruvien a été contraint par un tribunal péruvien de répondre à la crise sanitaire liée une marée noire. En Équateur, au début de l’année dernière, des populations autochtones vivant le long du oléoduc du nord de l’Équateur en Amazonie ont intenté une action en justice contre le gouvernement équatorien et les sociétés pétrolières privées et publiques opérant dans la région, pour obtenir des compensations. Cette augmentation des poursuites intentées par les communautés autochtones contre de grandes entreprises qui extraient du pétrole dans les pays du Sud est une première étape bienvenue. Pourtant, les compensations sont toujours trop faibles si comparées à la réalité des dommages causées et trop tardive. En fait, une fois contaminée, la destruction est quasiment irréversible. Marcher le long des côtes nord de la Bretagne me rappelle l'impossibilité de toujours nettoyer complètement les marées noires. Une histoire est racontée dans la famille de mon oncle et de ma tante ouvrant les volets de leur maison à Portsall en Bretagne tôt le matin du 17 mars 1978 lorsque l'odeur d'huile les a frappés, se disant immédiatement que ce qu'ils avaient craint pendant des décennies était arrivé. L'Amoco Cadiz, en route pour Rotterdam, s'était échoué la veille. Dans les jours suivants, le bateau a déversé 223 000 litres de pétrole brut léger et 4 000 litres supplémentaires de fioul sur un tronçon de côte de plus de 300 kilomètres. À ce jour, il s'agit du cinquième accident de pétrolier le plus important de l'histoire. La tragédie aurait pu être évitée ! Lors de sa construction, on savait que le pétrolier avait un problème de fuite, mais la réparation a été reportée à plusieurs reprises car la priorité a été mis sur la livraison du pétrole au détriment des coûts de réparation. La tempête sur la Manche le 16 mars 1978 a eu raison du bateau, et la destruction de l'environnement s'en est suivie.Dans les jours qui ont suivi le déversement, les communautés côtières ont elles-mêmes entamé le processus ardu de nettoyage, raclant la « mousse au chocolat » que l’émulsification de l’huile et de l’eau formait sur les plages. L'ampleur de la catastrophe a obligé les autorités à mobiliser l'armée pour aider la population locale à nettoyer, et 300 étudiants se sont portés volontaires pour ramasser les oiseaux morts, qui se comptaient par milliers.Quatorze ans après le déversement, en 1992, un tribunal américain a ordonné à Amoco et Shell, responsables du déversement, de payer 200 millions de dollars américains de dommages et intérêts au gouvernement français. Les dommages ont couvert certains des coûts économiques du nettoyage, mais le tribunal a rejeté les demandes d'indemnisation pour la destruction et les pertes écologiques. Il a été estimé que ces dommages ne couvraient que 19% des coûts environnementaux et économiques totaux de la marée noire. La moitié de l'argent a simplement aidé à payer le procès aux États-Unis. Le cout des  dégâts ont été bien pires que le montant des indemnisations. Marcher le long de ces plages depuis que le déversement s'est produit il y a de nombreuses années montre que le mot « nettoyage » est un abus de langage. Dans les premières décennies, il était impossible d'aller même sur une courte distance sur les plages sans rencontrer des boules de pétrole dans le sable, des plaques de pétrole glissantes sur les rochers ou une couche de résidus huileux à trente centimètres de profondeur dans le sable sur toute la longueur de la plage. De nos jours, ces signes évidents de déversements n'ont que partiellement disparu. Le déversement a eu des conséquences à long terme. Cela a entraîné la plus grande perte de vie marine jamais enregistrée. Même aujourd'hui, la vie marine n'a pas encore entièrement récupéré des conséquences à long terme de la toxicité du pétrole, mais aussi des produits tels que les dissolvants qui étaient utilisés pour disperser et couler le pétrole pendant le processus de nettoyage. Les taches d'huile n'ont pas non plus disparu. Sur les îles les plus reculées, il y a encore des couches de résidus pétroliers sous le sable et le pétrole glisse encore les roches et les galets sur certaines plages. Le pétrole est lie à l'Amoco Cadiz grâce à des tests ADN.Le sujet le plus controversé est cependant le sort de la « mousse au chocolat ». Dans la précipitation initiale pour nettoyer la marée noire, le pétrole récupéré a été enfoui dans des décharges, en particulier dans les dunes le long de la côte. Quarante ans plus tard et avec l'érosion due au changement climatique, on craint que le pétrole ne s'échappe à nouveau de ces sites dans l'environnement côtier. Ce déversement secondaire de pétrole pourrait être tout aussi dévastateur. Le déversement d'Amoco Cadiz nous donne un aperçu à petite échelle des défis titanesques du nettoyage des déversements d'hydrocarbures. L’ampleur du déversement en Bretagne est éclipsé par l'ampleur de la pollution pétrolière dans le delta du Niger, en Équateur, au Pérou et dans de nombreux autres sites d'extraction de pétrole autour du monde. Chaque année depuis le début de l'extraction pétrolière dans le delta du Niger, une moyenne de quatre fois plus de pétrole que la marée noire bretonne a été déversée par les terminaux, les réseaux de canalisation dégradées et obsoletes, les stations de pompage et les plates-formes pétrolières de la région. Quotidiennement, les déversements d'hydrocarbures ne cessent d'augmenter et les entreprises n'assument toujours pas leurs responsabilités. Si des initiatives de nettoyage sont absolument nécessaires, elles ne parviennent pas à relever les défis de la réparation des dommages causés. Quarante ans après le « nettoyage » de la marée noire de l'Amoco Cadiz, les côtes bretonnes témoignent de notre incapacité collective à gérer les conséquences de notre dépendance au pétrole : elles restent polluées et peuvent être considérées comme endommagées à vie. Il ne fait aucun doute qu’il y a un manque de volonté mail aussi un manque de capacité, financière ou technologique, pour restaurer complètement les sites pollués. Nous devons trouver d’autres moyens pour compenser les zones qui ont été sacrifiées pendant des décennies d’exploitation pétrolière, et la compensation financière n’en est que le début.

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