Mathieu Bellahsen et Pierre Dardot

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 septembre 2021

Mathieu Bellahsen et Pierre Dardot

Abonné·e de Mediapart

La psychiatrie refoulée des Assises de la santé mentale

Dans les prochains jours se tiendront les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Or, la psychiatrie est la grande absente de ces Assises. Refoulée à l’arrière-plan, ses problématiques seront reléguées dans l’opacité des cabinets ministériels. Il est de notre devoir de citoyen de remettre au centre de la psychiatrie l’accueil de la personne souffrante, sa famille, ses rêves, ses petites et ses grandes histoires.

Mathieu Bellahsen et Pierre Dardot

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans les prochains jours se tiendront les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Si cette dernière est reléguée au deuxième plan de l’intitulé, cela correspond à vingt ans d’un travail acharné pour aller « de la psychiatrie vers la santé mentale »i et faire « de la santé mentale l’affaire de tous »ii.

Santé mentale qui n’a désormais que peu à voir avec les souffrances et les soins car elle se concentre désormais sur « le bien-être » et « la qualité de la vie ».

Si la santé mentale est en apparence liée à la santé, en réalité elle s’est instituée depuis le milieu des années 2000 comme une des pièces maîtresses du dispositif économique : « avoir une population en bonne santé mentale pour remplir les objectifs stratégiques de l’Union Européenne »iii expliquait le Livre Vert de 2005. Faire de « la santé mentale positive » un enjeu rappelait le commissariat d’état à l’économie numérique en 2009iv.

Depuis, cette poussée s’est accentuée. Le covid aura permis de renforcer le brouillage des pistes en parlant de la « mauvaise santé mentale » des français, des étudiants et d’autres populations fragilisées. La société s’est remise à croire en une santé mentale liée aux soins à laquelle il faudrait son lot de dispositif d’accompagnements, de soins, de numéros verts et de télé-consultations.

Or, mieux vaut parler de souffrances psychiques ou de santé psychique que de santé mentale car la santé mentale induit deux processus.

Le premier est d’identifier les souffrances à un problème mental ce qui correspond dans l’imaginaire de l’époque à un problème cérébral. Le cerveau est devenu le lieu privilégié d’intervention transformant la psychiatrie en cérébrologie. L’effet sur les pratiques est le délaissement progressif et de plus en plus violent des personnes malades, de l’écoute nécessaire et du temps jamais prévu par avance qu’il s’agit de leur accorder.

La conclusion qu’en tirent les cérébrologues est toujours la même : demander un financement accru de la recherche sur le cerveau en espérant que les découvertes de laboratoire se transposeront sur le terrain. Cet engloutissement de l’argent public ne peut que nourrir de faux espoirs car il part d’un postulat oubliant que les troubles psychiatriques sont aussi une affaire humaine, existentielle. Le lien de l’individu avec son milieu, la société dans laquelle il vit, sont tout aussi importants, voire plus surdéterminant que les potentiels marqueurs cérébraux des troubles individuels.

Le deuxième processus est d’articuler la santé mentale aux coûts pour la société, ce qui est entretenu en permanence par les tenants du santé-mentalismev : « la santé mentale coûte chère », « 3 à 4 % du PIB »vi.

Le coeur du problème est de réduire ces coûts (pour la société et pour l’économie) tout en créant des dispositifs lucratifs.

Nous assistons à l’essor d’un marché de la santé mentale par le biais d’applications numériques, de plateformes et de « dispositifs innovants », marché qui, s’il est réservé au plus grand nombre, exclut les plus en souffrance et en marge. Ce sont précisément ces deux processus qui sous-tendent les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Les thématiques et les intervenants sont identiques aux grands congrès de psychiatrie organisés par les laboratoires pharmaceutiques depuis quinze ans avec le même flou entretenu sur les liens entre santé mentale et psychiatrie.

Or, la psychiatrie est la grande absente de ces Assises. Refoulée à l’arrière-plan, ses problématiques seront reléguées dans l’opacité des cabinets ministériels.

L’arrivée de l’équivalent de la tarification à l’acte en psychiatrie et la gestion pénurique de ses finances ne seront pas abordées. Idem pour la réforme du contrôle judiciaire des contentions et des isolements psychiatriques, taxés par deux fois d’inconstitutionnalité. Idem pour la réforme de l’irresponsabilité pénale qui est l’une des constructions apportée par les Lumières et qui aurait pu avoir le droit à un minimum de débat sur les liens entre troubles psychiatriques et citoyenneté… Idem pour la désertion de la psychiatrie publique par les médecins et les infirmiers ne pouvant plus accueillir et soigner correctement les personnes malades.

Encouragée par les autorités de tutelles par l’application méthodique d’un plan de non-attractivité, cette désertion des professionnels est encouragée par l’étouffement des réalités de terrain et par la répression des lanceurs d’alerte qui mettent en lumière l’indignité des conditions d’accueil et de soins des patients, les privations de liberté indues, l’infantilisation des professionnels et des usagers.

À cette désertion des professionnels répond l’abandon des patients et des familles. Antonin Artaud rappelait : « Toutes nos idées sur la vie sont à reprendre à une époque où rien n’adhère plus à la vie. Et cette pénible scission est cause que les choses se vengent, et la poésie qui n’est plus en nous et que nous ne parvenons plus à retrouver dans les choses ressort, tout à coup, par le mauvais côté des choses ; et jamais on n’aura vu tant de crimes, dont la bizarrerie gratuite ne s’explique que par notre impuissance à posséder la vie »vii.

Si ces Assises de la Santé Mentale font scission avec la psychiatrie, il est de notre devoir de citoyen de remettre au centre de la psychiatrie l’accueil de la personne souffrante, sa famille, ses rêves, son milieu, ses petites et ses grandes histoires.

Dr Mathieu Bellahsen (psychiatre et auteur)

Pierre Dardot (philosophe et auteur)

ihttps://www.vie-publique.fr/rapport/24799-de-la-psychiatrie-vers-la-sante-mentale

iihttp://archives.strategie.gouv.fr/cas/system/files/rapport_sante_mentale_version_18nov09validdqs2.pdf

iiihttps://ec.europa.eu/health/archive/ph_determinants/life_style/mental/green_paper/mental_gp_fr.pdf

ivhttp://archives.strategie.gouv.fr/cas/system/files/rapport_sante_mentale_version_18nov09validdqs2.pdf

vM. Bellahsen, La santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle, La Fabrique, 2014.

viM. Leboyer et P.M Llorca, Psychiatrie : état d’urgence, Odile Jacob, 2018.

viiA. Artaud, Le théâtre et son double, Gallimard, 1938.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.