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« Chien de la casse » se déroule au Pouget, petit village de 2000 habitants situé dans le département de l’Hérault. Cette commune fait partie de l’aire d’attraction de Montpellier bien qu’elle soit assez éloignée de la périphérie de la Métropole. Cette information est importante pour comprendre ce qui vient se jouer dans la vie des adolescents et jeunes adultes perdu dans ces bleds. Car il s’agit bien de bleds paumés dans l’entre-deux du péri-urbain et de la ruralité où les seuls services publics qui fonctionnent sont ceux qui permettent de rendre service aux dominants. Oublions d’ors et déjà les territoires culturels avec un grand « C » et les liaisons directes avec la pluralité qui risquerait d’émanciper des populations campagnardes. Les seules lignes de direction sont celles des bus qui relient les villages entre-eux ou celles de la coke consommées dans ces arrières pays Héraultais juste avant de partir en boîte avec la voiture du copain. Étant moi-même originaire de l'Hérault et ayant vécu ma jeunesse dans une petite ville côtière (Agde), je ressentais le besoin d'exposer mon point de vue sur ce long-métrage qui me parle avec profondeur.
Stéréotypes, clichés de la campagne me direz-vous ?
Et si je vous disais que ce film raconte des histoires de campagne ? Pas celle de « l’amour est dans le pré » même si l’amourette à sa place. Mais davantage de la mort qui est au plus près des personnages. La bande de copains est bien vivante tout en haut de la place centrale du village sans pour autant vivre pleinement. L’instant présent est « omniprésent » et les projets de chacun remis au lendemain font échos à la nature même du lieu qui ne fait que tourner en rond. Explorée sous un autre angle, la circulade amicale met en lumière la manière dont ces relations peuvent contribuer à la formation de liens sociaux solides et à la construction d'une communauté résistante au choc social (résiliente pour les plus érudits). En encourageant la camaraderie et l'entraide entre les jeunes hommes, cette relation favorise un environnement où l'empathie, le soutien mutuel et la compréhension des différences deviennent des valeurs importantes.
Banlieue urbaine Vs Banlieue rurale ?
Jamais. Ce long-métrage est tout sauf une opposition entre banlieue urbaine et banlieue rurale. Cette concurrence n’existe que dans la tête de ceux qui divisent la société sans apporter la nuance qui manque à notre société actuelle. Pour faire un parallèle avec la Métropole de Montpellier, le quartier populaire de la Paillade se situe en périphérie au nord de la ville avec un réseau de tramway qui dessert le centre-ville en vingt-minutes environ. Une grande Médiathèque a été construite il y a quelques années et le quartier abrite le stade historique de l’équipe de football du MHSC. Si en effet les banlieues urbaines sont des secteurs paupérisés ancrées autour de la ville majoritairement, elles ne manquent pas de moyens de transport urbains pour se rendre vers le coeur de ville. Cela dit, ce n’est pas parce que la banlieue est desservie qu’elle trouve l’accès. Comme le décrit parfaitement le film de Mathieu Kassovitz « La haine », le banlieusard est enfermé dehors. Cet accès aux savoirs et le capital que la ville offre sont difficilement palpables quand on ne détient pas les moyens pour s’en emparer. Entrer dans une médiathèque reste difficile malgré la proximité, les musées n’en parlons pas. Seuls les lieux de consommation sont identifiés et les codes connus de cette jeunesse populaire qui se voit très souvent accompagnée par les structures associatives mises en concurrence les unes avec les autres à défaut d’être dans le « faire avec » que prône l’éducation populaire. Cette digression vers les banlieues urbaines est volontaire tant elle montre aussi bien les différences de vécu que les similitudes entre un jeune de la Paillade et un jeune du Pouget. Jean-Baptiste Durand nous laisse maître de l’interprétation malgré la puissance de certaines scènes qui mettent en évidence le manque de moyens pour aller vers l’extérieur, pour sortir du cercle vicieux de l’entre-soi rural. Cette absence de mobilité des personnages qui est caractérisée au travers de la barrière psychologique et matérielle trouve un équilibre dans cette relation d’amitié à la fois nécessaire pour rester vivant et source d’entraves quand il s’agit de provoquer le détachement. La fin d’une amitié d’enfance amenant souvent à une transition inconfortable dans laquelle les protagonistes tentent tant bien que mal de retrouver un équilibre ensemble ou bien d’accepter de faire le deuil d’un vécu singulier.
L'amitié, la fraternité, l'affinité, la camaraderie: une affaire de classe sociale
Ces amitiés peuvent également servir de base pour promouvoir l'égalité des sexes en remettant en question les stéréotypes de genre toxiques et en encourageant des relations égalitaires. Cet amour fraternel entre deux amis qui résonne peut être un levier pour remettre en question les normes sociales restrictives qui peuvent affecter la façon dont les hommes interagissent et expriment leurs émotions. En mettant en scène ces amitiés, Jean- Baptiste Durand amène les spectateurs à s’interroger sur le caractère systémique des relations amicales. Sans mettre en évidence une vérité générale, il décrit le portrait de 90 % de la jeunesse en France trop souvent dépeinte comme une masse informe sans nuances.
« Chien de la casse » vient chasser le mépris de classe avec humour et s’empêche de nourrir les personnages principaux de sentiments inutiles. Il met en lumière des scènes de vies ancrées socialement dans le réel. Et cela fait du bien au jeune héraultais que j’étais de pouvoir me projeter dans tous les personnages sans jamais aller dans les stéréotypes de la ruralité et avec une absence de romantisme déconnecté. Seul des films comme ceux de Ken Loach ou Sean Baker avaient réussi à me toucher autant. Jean-Baptiste Durand n’a pas l’air d’avoir oublié d’où il vient malgré son ascension professionnelle et culturelle et le retranscrit parfaitement sans conformisme. Un parti pris artistique qui selon moi est insaisissable. Donnant aucune chance à quelconque récupération politique : qu’elle soit amenée par le biais des stéréotypes véhiculées sur les classes populaires par la droite ou l’extrême-droite ou encore nourrie par le regard condescendant et angélique de la bien-pensance institutionnelle de gauche.
Un film de chien de la classe populaire !