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Billet de blog 3 mai 2020

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Autonomie et santé publique

L'article 6 du projet de loi prévoit de déroger aux deux principes que sont le consentement du patient et le secret médical, fondements de la relation médicale. Le regard d'un médecin sur cette dérogation potentielle.

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Georges Canguilhem décrivait la santé comme la capacité d’un organisme à guérir après avoir été malade. Être en bonne santé, c’est pouvoir tomber malade et s’en sortir, ce n’est pas cette illusion de ne pas tomber malade. Ainsi, la maladie fait partie de la santé, puisqu’elle est ce qui lui permet de s’actualiser.

Si la plupart de nous n’ont pas été confronté à, ou sont sortis fatigués mais guéris de, cette épidémie, que pouvons-nous actuellement dire de la santé de notre si chère démocratie ? Nous avons pour le moment assisté à l’absence de débat publique, sensé en être le socle, nous avons constaté plus ou moins docilement la restriction de certaines libertés, en particulier celle d’aller et venir, ce qui est de façon plausible un moyen de ralentir l’épidémie en particulier dans les territoires particulièrement denses.

Hannah Arendt écrivait dans la crise de la culture qu’on ne peut confondre autorité, tyrannie et totalitarisme et que cette distinction est fondamentale. L’autorité cadre nos libertés pour mieux les garantir. La seconde vise à entretenir et préserver des intérêts personnels en limitant l’espace publique politique. Le troisième vise à abolir de façon totale les libertés dans chaque aspect de nos vies privées et instille la peur jusque dans les pensées, en dépersonnalisant et rendant superflu chacun au service d’une idéologie. Cette lecture très personnelle ne satisfera probablement pas les puristes, mais elle sera ici instrumentale. L’autorité, donc, est ce qui paradoxalement garantit nos libertés, en les limitant. Elle ne repose ni sur des fondements pédagogiques égalitaires, ni sur des mesures coercitives reposant sur la force.

L’autorité est donc une verticalité hiérarchique et légitimée par autre chose que la force et la peur. Elle est donc ce qui fonde notre rapport à la loi au quotidien, dont la légitimité nous apparaît évidente, bien au-delà de la peur du gendarme en général, parce que nous avons confiance en la capacité de notre dispositif législatif à fabriquer de bonnes lois, justes.

La relation médicale en revanche n’est pas de ce type. Depuis la loi de 2002, dite loi Kouchner, l’Article 1110-4 prévoit :

Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.

« Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tout professionnel de santé, ainsi qu'à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.

« Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d'assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible.

La relation médicale n’est plus une relation verticale. Elle est désormais fondée non plus sur l’autorité, mais sur la pédagogie, la capacité d’autonomie décisionnelle du patient, et non plus une verticalité du savoir et une décision imposée. La société, puis la loi imposent à juste titre que

Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé.

« Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables.

« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.

Ainsi, la relation médicale est une relation horizontale et non une relation d’autorité, fondée sur ces deux piliers que sont le secret médical et l’autonomie décisionnelle, qui se matérialise par la nécessité du consentement. Cette relation médicale est la seule à même de bénéficier à chacun des deux alliés dans la maladie que sont le médecin et le malade. Être médecin, ce n’est pas guérir contre son gré un malade infantilisé et incapable et comprendre. Être médecin c’est savoir que la personne qui nous fait face est capable de comprendre, de raisonner su la base d’information que je lui apporte, et qu’ensemble, en fonction de ces données médicales et du projet de vie que nous construisons, nous parviendrons à prendre les bonnes décisions. Un malade n’est pas un objet scientifique. C’est un être biographique, raisonnant, inséré dans une existence. Être médecin ce n’est pas faire appliquer une loi. C’est être au service de cet être qui nous fait face, pour l’aider à mener au mieux l’existence qui est la sienne, traversée par ces aléas que sont les maladies.

Et maintenant que prévoit le projet de loi ?

l’article  6  du  projet  de  loi  détaille  les intentions  du  gouvernement  en  matière  de  suivi numérique  de  l’épidémie,  notamment  dans  le  cadre des  enquêtes  épidémiologiques.  Il  acte  la  création« d’un système d’information aux seules fins de lutter contre  l’épidémie  de  Covid-19  ».  Par  dérogation  à l’article  L.  1110-4  du  code  de  la  santé  publique, qui  pose  le  principe  du  respect  de  la  vie  privée  en matière  de  santé  et  du  secret  médical,  les  autorités pourront collecter et partager des données relatives aux personnes infectées mais également « aux personnes ayant été en contact avec elles ». Cette collecte pourra être faite « le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées ». Source Médiapart, article publié par Jérôme Hourdeaux le samedi 2 mai

Il est donc question ici d’abroger à la fois le secret médical, sur lequel repose la relation thérapeutique depuis Hippocrate, et le consentement, qui même à l’époque du SIDA n’a pas été remis en question, puisqu’il fonde le respect de l’autonomie du patient c’est-à-dire sa capacité à prendre lui-même les décisions concernant sa santé.

Ce qui me trouble, ce n’est pas qu’une telle décision soit prise. Ce qui me questionne, c’est qu’elle soit prise sans aucun débat publique, sans concertation des médecins ni des patients. Jusqu’à présent, et notamment dans la recherche médicale, nous avions (nous étant à la fois les médecins, le législateur et la société), fait primer le bien de la personne particulière sur le bien collectif, en d’autres termes, la santé d’un patient primait jusqu’à présent sur la santé publique. De fait, je ne peux pas expérimenter, même au bénéfice de la science, sur un patient qui n’y consent pas. Même si ce que je ferais, bénéficierait peut-être à l’ensemble des humains dans le futur. Nous n’avons jamais été jusqu’à présent dans une logique utilitariste, dans laquelle un bénéfice comptable, chiffré primait sur le respect de la personne.

Je ne sais pas si cette logique est la bonne. Mais ce dont je suis certaine, c’est qu’un changement de paradigme d’une telle ampleur doit être discuté publiquement, doit être interrogé dans chacun de ses recoins. Sommes nous prêts à sacrifier ces droits que sont le consentement et le secret médical ? Dans quel but ? Quid des discriminations, de l’altération de la relation médicale déjà si vacillante ? Comment des patients accepteront-ils de se faire soigner s’ils savent qu’ils risquent d’être dénoncés ? Ne va-t-on pas vers un délitement dangereux à la fois de la relation thérapeutique, et des principes qui fondent notre médecine et notre appréhension de la personne humaine comme digne de raisonner, de choisir, de comprendre ? N’a-t-on pas confondu autorité législative et autorité médicale ? Si le premier concept fonde nos relations entre citoyens, et au passage repose sur la légitimité du débat démocratique pour parvenir aux meilleures lois, la seconde n’existe plus, ne l’oublions pas.

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