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Billet de blog 5 janvier 2023

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Non, le conjoint violent n'est pas un bon père

[Rediffusion] 40% des enfants français vivent avec des traumatismes d'intensité équivalente à une exposition à des scènes de guerre ou de terrorisme. Chez nous, cela s'appelle violences intrafamiliales et autorité parentale conjointe.

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En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups d’un homme, généralement conjoint ou ex-conjoint.

Des crimes vertement dénoncés par de nombreuses associations féministes; mouvement aujourd’hui encore, bien trop souvent mal reçu. Pourtant, la revendication de l’égalité entre hommes et femmes n’est ni une chimère, ni le combat égoïste de quelques chiennes de garde. Bien au contraire, le féminisme est une substance vive, ambitieuse et inclusive à la croisée des chemins et souffrances. L’Histoire nous apprend que la reconnaissance des femmes en tant que sujets de droit a charrié dans son sillage progrès et avancements quant à la considération, au respect et à la protection de l’enfance. C’est grâce à la bascule d’un pouvoir quasi hégémonique du père et époux à un partage équitable de l’autorité parentale, que l’enfant s’est enfin vu doté de droits. Dès lors, prétendre que des attaques violentes, répétitives et polymorphes sur la femme également mère n’ont pas ou peu d’incidence sur l’enfant est mensonger. Ces situations de maltraitance induisent de facto des problématiques conjugales, familiales, émotionnelles, affectives, physiques et judiciaires nuisibles au bon développement de ce dernier. C’est pourquoi, penser et traiter violences dans le couple et violences intrafamiliales de concert est un impératif.

Hommes lacunaires, mères en danger

Les paroles des suppliciées permettent de noter une infiltration pernicieuse de la violence dès le début du couple. Le premier passage à l’acte brutal est donc particulièrement désarçonnant pour les victimes. Elles sont ainsi nombreuses à témoigner, sans toutefois complètement les appréhender, des manipulations dont elles sont les objets. Jalousie maladive, besoin de contrôle, incapacité à déceler, nommer et gérer les émotions incitent le conjoint maltraitant à déplacer les fruits véreux de ses carences et responsabilités de façon systématique et sans vergogne sur celles qui partagent leur vie. Les proies deviennent alors bourreaux et les bourreaux martyrs.

Dans son livre Je voulais juste que ça s’arrête (Fayard, 2017), Jacqueline Sauvage se remémore le premier coup infligé par son mari. « Un soir, nous faisons garder les enfants pour aller dîner chez des amis. C’est rare qu’il nous accorde des soirées en amoureux, je suis ravie. J’ai enfilé une belle robe. Je ne cesse de sourire, je vais sortir avec mon homme. Je suis fière. Durant tout le repas, il me regarde avec des yeux d’amant des premiers jours. Et lorsque nos amis me complimentent sur ma tenue, il m’embrasse sur la joue pour marquer sa fierté. (…) Sur le chemin du retour, il ne décroche pas un mot. En pénétrant dans la maison, il n’ouvre pas la bouche non plus. Je lui demande alors s’il est en colère contre moi, peut-être ai-je dit quelque chose de mal; peut-être ai-je fait un faux pas devant ses amis - j’ai l’impression d’être si maladroite. C’est alors que, au lieu de ses bras qu’il m’a tendus toute la soirée, il me noie sous une pluie d’injures. Je ne suis plus sa princesse, je suis une pute qui a fait de l’oeil à untel, une traînée qui se pavane dans sa belle robe. Et lorsque je lui réponds que je n’ai fait ça que pour lui, il m’envoie une énorme gifle en plein visage. Un coup sur moi. Le premier. Je suis abasourdie (…) J’ai mal, je lui en veux d’avoir levé la main sur moi. Mais en même temps, je le crois et m’en veux de m’être mal comportée. S’il est allé jusqu’à me frapper, sans doute ai-je fait la pute ce soir. Surement ressemblais-je à ces femmes vulgaires qu’on aperçoit au bord des gares. Je m’en veux de l’avoir rendu jaloux et de lui avoir fait honte. »

Un schéma tant usé que Cindy Bruna, célèbre mannequin auteure de Le jour où j’ai arrêté d’avoir peur (HarperCollins, 2022) atteste de faits sensiblement similaires concernant sa mère. Une sortie de couple, un ami, une crise de jalousie, le premier coup… Pour l’une comme pour l’autre, éclats de rire, fierté, ravissement, et tendresse cèdent bientôt place aux injures, à la honte et aux coups. Quatre protagonistes différents, quatre conjonctures de vie dissemblables et pourtant, les même caractéristiques emblématiques d’une situation d’emprise: isolement, dévalorisation, culpabilité, terreur et garantie d’impunité pour l’agresseur. Une dynamique implacable qui peu à peu coupe de tous ses repères (géographiques, professionnels, familiaux, amicaux) la victime. Toutefois, la mise à distance du monde extérieur n’exclue pas l’ébauche d’un portait dévoyé d’une épouse-mère dysfonctionnelle au sein du foyer et auprès de l’enfant par l’assaillant. Jacqueline Sauvage en donne une image frappante: « Alors, il se met à hurler très fort. Il dit que je dilapide l’argent qu’il gagne, qu’il faut que les enfants entendent combien leur mère fait n’importe quoi, combien elle devrait avoir honte. »

Dans un environnement où elles sont sans cesse humiliées, emprisonnées, traquées, frappées comment serait-il possible à ces femmes d’exercer leurs fonctions maternelles? Comment pourraient-elles adopter et incarner une posture sécurisante pour leur(s) enfant(s), lorsqu’elles-mêmes sont ou se sentent perpétuellement en danger?

Le conjoint violent un bon père ?

L'ouvrage Violence conjugale, un défi pour la parentalité (Seuil, 2022) s’emploie à souligner la complète incompatibilité entre violences dans le couple et exercice de l’autorité parentale.  « La co-parentalité est fondée sur un paradigme démocratique: l’égalité de droits, la capacité de négociation et l’objectif commun d’une co-construction d’un projet, projet éducatif pour l’enfant dans ce cas. La co-parentalité nécessite la capacité à vivre-ensemble, comme équipiers pour la socialisation et le bien-être de l’enfant. Dans cette optique, les parents composent une feuille de route comme fondées sur des valeurs éducatives partagées. » Lorsque cette feuille de route est déniée, que le paradigme démocratique est démenti, que la conjointe est soumise à des violences, la femme est en danger et la mère incapable de faire barrage aux passages à l’acte brutaux du partenaire sur l’enfant. Halimata Fofana le confirme dans son roman partiellement autobiographique A l’ombre de la cité Rimbaud : « Michèle, Haroun, Umar, Rahamne et moi devons faire tout ce que nos parents nous demandent. Et ma mère obéit à mon père. Papa est aussi le grand chef. Si on ne l’écoute pas, on a droit à la chicote mes frères, ma soeur et moi. Et ma maman aussi. »

Favoriser le départ des femmes battues du domicile familial est une mesure fondamentale. Cependant, les chiffres partagés par le juge et président de la Ciivise Edouard Durand dans son livre Défendre les enfants (Seuil, 2022) laissent à comprendre combien cette mesure seule est lacunaire.

Les violences conjugales sont à l’origine de violences psychologiques chez l’enfant (100% d’entre eux), psychotraumatiques (80%), physiques (40 à 60%) et le risque de violences sexuelles est six fois supérieur à celui de la population générale.

L’enquête Genese, Panorama des violences en France métropolitaine, conduite en 2021 apporte également un éclairage précieux: « Les personnes ayant été témoins d’un climat de violences parentales dans l’enfance ont également été plus souvent elles-mêmes victimes de violences physiques parentales pendant leur enfance. Ainsi, 51% des personnes témoins d’humiliations répétées entre leurs parents et 43% de celles ayant vu des violences physiques répétées par leurs parents dans leur enfance contre 8% des personnes ayant déclaré ne pas avoir été témoins d’humiliations répétées ni de violences physiques entre leurs parents. » Le risque de reproduction d’un schéma violent et de cumul des risques est donc bien réel. A la lecture de ces données, la question se pose : pourquoi sous couvert d’autorité parentale conjointe, et ce même après la mise à l’abri de la mère et de l’enfant, ce dernier demeure-t-il l’otage du parent tyrannique?

L’article 31.2 de la Convention d’Istanbul stipule pourtant que « Les parties prennent les mesures législatives ou autres, nécessaires pour que l’exercice de tout droit de visite ou de garde ne compromette pas les droits et la sécurité de la victime ou des enfants. »

Si la fin de la vie commune marque pour la femme-mère l’opportunité de renouer avec son autonomie et d’exercer avec discernement ses compétences parentales, elle ne garantit nullement à l’enfant jusque-là covictime de violences intrafamiliales, celle d’un développement épanouissant.

Le droit français peine à reconnaitre que la filiation ne peut ni ne doit primer ou se substituer à la protection et à la réponse aux besoins particuliers liés à l’enfance. En lui refusant la possibilité d’une coupure avec son parent agresseur, la législation fait vivre et revivre chez l’enfant la peur et les réminiscences « (d’)attaques assimilables, en intensité, à une scène de guerre ou de terrorisme. » (Edouard Durand, Défendre les enfants).

Protéger la mère c’est donc protéger l’enfant. Protéger l’enfant c’est donc protéger la mère.

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