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Billet de blog 20 août 2024

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JO : le voile posé sur la misère éducative

Si les Jeux olympiques de Paris ont su soulever les coeurs, suscitant un engouement peu commun pour les arts et le sport, il nous reste désormais à prolonger et traduire cet enthousiasme dans notre système scolaire pour qu’enfin, chaque enfant, indépendamment de son milieu socio-économique ou de sa capacité d’apprentissage des savoirs classiques puisse éclairer le monde de sa propre flamme.

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Le 26 juillet dernier était une première. Celle de la tenue d’une cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris hors d’un stade. Et qu'elle fut belle cette cérémonie ! Au point que le spectacle offert sur la Seine et à ses abords a ressemblé trois-cent-vingt-mille personnes et vingt-trois millions de téléspectateurs. Une fierté pour la nation française qui n’a pas manqué d’éblouir sur son territoire comme à l’étranger. Comme bien souvent toutefois, le revers de la médaille est un peu plus âpre… Une note du Canard enchaîné divulguait un montant abyssal dépensé pour ce seul évènement, entre cent-vingt et cent-trente millions d’euros. Le budget total des JO étant évalué à presque neuf milliards d’euros.

Du côté des athlètes français ayant gravi les marches du podium olympique, en plus de leur médaille sertie d’un petit fragment de la tour Eiffel, ces derniers repartent avec de jolies primes dans leurs valises. Quatre vingt mille euros pour une médaille d’or, quarante pour une médaille d’argent et vingt pour une de bronze (arrêté du Journal officiel, 30 janvier 2024). Des montants supérieurs à ceux des JO de Tokyo pour lesquels les champions tricolores se sont vus attribuer respectivement, soixante cinq mille euros pour l’or, vingt cinq mille pour l’argent et quinze mille pour le bronze. Cette année, et pour exemple, Léon Marchand, titulaire de quatre titres en individuel et d’une médaille de bronze en équipe empoche trois cent quarante mille euros à la fin de cette compétition.

Du moins en théorie… Parce qu’en pratique, le jeune prodige aura bien du mal à barboter dans une piscine de billets violets. En effet, à ce jour, les primes versées aux sportifs demeurent imposables. Un rapt aux yeux de David Douillet, champion olympique de judo (1996, 2000), contre lequel il s’insurge à grands cris: « Pour certains athlètes c’est de l’argent de poche, et pour d’autres, dans des petits sports, c’est immense. Fiscaliser ça? Je trouve que c’est une honte! » La personnalité politique rappelle également que ces hommes et femmes obtiennent une médaille après dix voire quinze ans d’un entraînement intensif. En réponse à ce cri du coeur, Olivier Marleix (LR) proposait récemment de légiférer en faveur d’une exonération d’impôts de ces gratifications. Résolution à laquelle Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, s’est dit favorable. L’homme politique annonçait dans la foulée soutenir cette proposition pour le budget 2025 précisant toutefois, qu’il appartiendrait au futur gouvernement de la voter.

Dans ce court préambule se loge l’ambiguÏté savamment entretenue par nos gouvernants, tous bords confondus, vis-à-vis du sport et de son prestige. D’une part, ils divertissent à grands frais, de l’autre, ils méprisent discrètement. Il y a chez eux, un peu du poète Juvénal et de son « Panem et circenses ». « Du pain et des jeux » pour séduire le peuple. Une stratégie certes éculée, mais qui a largement fait ses preuves parmi les monarques ayant marqué leur époque. Louis XIV ou Catherine de Médicis -pour ne citer qu’eux- en étaient friands. Cette dernière notamment, soucieuse de préserver l’unité d’un royaume en proie à de fortes agitations religieuses, s’est imposée comme maitresse en la matière.

Pour préserver l’unité du peuple français durant son règne, l’italienne à la légende noire a usé et abusé, et ce avec une grande habilité, de l’organisation de fêtes somptueuses en tant qu’outils de diplomatie et d’apaisement. Des divertissements certes coûteux, mais nettement moins onéreux qu’une guerre civile et le financement d’une armée pour la mater. Une fois n’est pas coutume… Nos chefs d’Etat se plaisent à enfiler les habits neufs de l’empereur. C’est pourquoi, il est récurrent d’observer sous nos latitudes républicaines quelques relents monarchistes. Si nos dirigeants se réclament -pour la plupart- du camp Gaulliste, le sommet de leurs crânes est définitivement Bonapartiste.

Il faut reconnaître qu’ils la méritent leur couronne. De diamants ou d’épines, au fond peu importe, tant qu’il leur est possible d’en revendiquer une. La « France championne » voilà un slogan qui sonne bien. Et tant pis, si ceux qui la conduisent s’illusionnent… Le programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), étude analysant les compétences des jeunes étudiants de quinze ans en lecture, mathématiques, sciences et menée au niveau international par l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) dans le but de mesurer l’efficacité des systèmes éducatifs dans le monde en témoigne. Sur quatre-vingt-cinq pays évalués, l’hexagone se classe avec difficultés à la vingt sixième place en 2022. Vingt sixième en mathématiques et en sciences, vingt neuvième en lecture. Evaluation qui vaudrait sur un bulletin scolaire un maigre « Manque de travail, de rigueur et d’investissement. Peut mieux faire. »

Ce déclassement, qui ne cesse d’alerter et de mettre en émois nos ministres successifs à l’Education, laisse pourtant Matthieu Pigasse froid. Au contraire, selon lui, nous sommes « prisonniers de résultats qui ne mesurent par ailleurs qu’une infinie partie de nos aptitudes : les moins nobles, les moins riches, qui consistent à savoir apprendre par coeur et à reproduire à l’infini des raisonnements, des gestes ou des attitudes. » Il souligne par ailleurs combien l’intelligence humaine est protéiforme, multiple et diverse. L’entrepreneur à succès conclut : « elle (l’intelligence) ne se laisse pas emprisonner et ne peut se mesurer par des tests qui ne reflètent en réalité que la pensée et les raisonnements dominants. » L'homme d'affaires décrit avec finesse, les rouages d’un schéma volontairement excluant créant de fait, du décrochage scolaire à la pelle.

Un choix d’appréciation de la réussite -scolaire puis professionnelle- lourd de conséquences pour ceux incapables de se fondre dans son moule. Calcul visant surtout, à la perpétuation d’un système qui abrité derrière le très pratique paravent de l’égalité des chances, se veut plus que jamais élitiste. La première marche des apprentissages sur laquelle les enfants les moins favorisés trébuchent est bien souvent la plus fondamentale, l’entrée dans la lecture. Or, lorsque la lecture n’est que partiellement maitrisée, le reste des apprentissages -y compris scientifiques- est compromis. En France, selon les chiffres officiels de la DEPP 21% des jeunes (16-25 ans) sont en souffrance vis-à-vis de la lecture, dont 10% sont en situation de quasi illettrisme. Un pourcentage qui s’envole jusqu’à atteindre 44% chez les collégiens ayant quitté l’école au terme de leur scolarité obligatoire (16 ans révolus). Pour la plupart, des adolescents issus des « territoires perdus de la République » et de l’outre-mer.

C'est l'un de ces anciens bannis qui nous renseigne le mieux sur les mises en orbite avortées de tous ces gamins pris en étau par la précarité. L’ancien rappeur Sinik rend compte avec une grande acuité de l'impossibilité pour les enfants ne s’accoutumant pas à l’apprentissage traditionnel de développer talents et compétences annexes en milieu scolaire. Désormais converti à l’entreprenariat, il écrit dans son autobiographie Une époque formidable : « Très bon en EPS et en dessin, les « matières de cancre » diront certains, mais les seuls domaines que je trouvais intéressant. Deux matières peu reconnues que pensait-on ne servaient pas à grand-chose dans la quête d’un avenir meilleur. Etre bon en sport et dans les arts plastiques ne suffisait donc pas à arracher cet éternel bonnet d’âne solidement posé sur ma tête. » Vérité impossible à réfuter, tant elle fut et reste éprouvée par tous ceux qui viennent grossir les rangs des petits écoliers français. Une note de vingt sur vingt dans ces deux disciplines ne sert strictement à rien dans une trajectoire scolaire. L’éducation nationale se permet donc de grappiller des créneaux horaires et de transmettre des savoirs qu’elle juge paradoxalement indignes et inutiles… Voilà ce qu’est aujourd’hui l’égalité des chances tant vantée, une vaste tartufferie. L

’école accueille certes tout le monde, brasse toutes les disciplines mais n’accorde du crédit qu’à une petite partie de cet ensemble cosmopolite. La farce s’accentue quelques années plus tard, lorsque surgit l’obligation pour les lycéens d’effectuer le choix de leur cursus post-bac. En effet, et comme le signale Olivier Babeau, la sélection à l’oeuvre dès les petites classes se poursuit même après le secondaire. Cette fois, le regard des sélectionneurs se pose moins sur les savoirs académiques -qui valent peu- que sur les activités extracurriculaires : emplois occupés en parallèle des études, engagements pris en milieu associatif, centres d’intérêts développés et surprise… activités sportives pratiquées. Ce qui ne comptait pas lorsque tout le monde était dans le bateau devient fondamental lorsque les noyés flottent en mer…Des naufragés auxquels s’applique l’une des célèbres sentences de l’écrivain Robert Grenne : « Au bout du compte, le temps que vous n’avez pas consacré à l’apprentissage de connaissances vous rattrape et le réveil est douloureux. » Un éveil autrement appelé désoeuvrement pour certains.

Il est d’ailleurs, un mot qui résonne étrangement bien avec désoeuvrement, « ensauvagement ». Terme ou plutôt véritable leitmotiv dans la bouche de nombre de nos politiques depuis quelques années. Jean-Pierre Chevènement l’employait en 1998. Bernard Cazeneuve se l’appropriait à sa suite. Plus récemment, c’est Gérald Darmanin qui, dans une interview accordée au Figaro, le revendiquait. A la racine du mot, l’idée évidente du « sauvage ». Issu du latin « silvaticus », il renvoie à ce « qui est fait de bois ». De fil en aiguille, et comme le rapporte Le Robert historique, son cousin « sylvestre » s’invite dans le langage usuel pour désigner les ermites ou brigands vivant en autarcie au milieu des bois. Selon les preuves avancées par la spécialiste de l’histoire de la langue française Zsofia Vörös, c’est à partir du XIIè siècle que la formule sera réservée aux étrangers.

En 1950 Césaire choisit de l’adopter pour dépeindre et pourfendre le colonialisme. Toutefois, c’est à un autre auteur que revient le plaisir d’entériner définitivement le terme et sa portée péjorative. Il l'installera dans le paysage d’extrême droite. En 2013, Laurent Obertone publie La France Orange mécanique, ouvrage au sein duquel il fait se rejoindre les concepts d’ultra-violence, de laxisme judiciaire et d’immigration massive. La messe est dite ! Marine Le Pen la prêchera avec fougue dès l’année de la parution du manuscrit et jusqu’à ce jour. Ensauvagement… Mais que peut-il rester, si ce n’est de la colère, lorsque savoirs académiques et savoirs pratiques nous sont refusés ? N’est-il pas légitime d’élever la voix comme jadis Phèdre, non pas contre un homme mais contre un système, pour s’écrier: « Je le vois comme un monstre effroyable à mes yeux ». 

Le monstre lui, ne se voit pas. Il repousse même avec force, les miroirs qui lui sont tendus pour s’observer. Jean-Michel Blanquer voulant sans doute tirer à son ministère le tapis à l’occasion des victoires des équipes françaises aux Jeux Olympiques de Tokyo tweete: « Vive le sport collectif ! Vive l’EPS ! Le succès de nos équipes de France de BHV [basket, handball, volley] illustre la qualité de l'enseignement de ces sports à l'école. Saluons le travail des enseignants d'EPS et la bonne collaboration avec les fédérations. » Un engouement qui tombera rapidement à plat, tant la réponse des sportifs en question est salée. Le pivot Bleus du basket, Vincent Poirier rétorque: « J'ai quand même rarement fait du basket à l'école, mais tranquille ». Son coéquipier Evan Fournier va plus loin: « Au contraire Monsieur le Ministre @jmblanquer, notre culture sportive à l’école est désastreuse. Si mes coéquipiers et moi-même sommes arrivés à l’élite de notre sport c’est grâce aux associations sportives, aux clubs, aux bénévoles, mais en aucun cas grâce à l’école. » Les langues se délient et s’affutent. A la même période, le gardien de but de l’équipe de France de handball Vincent Gérard aiguise encore un peu plus la lame de la guillotine : « Heureux de voir que l’EPS est considéré sur les réseaux sociaux. Parce que dans la réalité…Comme le reste de l’enseignement d’ailleurs, les moyens ne sont pas là. »

A cette quête d’excellence sportive laissée en friche s’ajoute en prime, l’abandon sanitaire des plus précaires. Il est un fait indéniable: les enfants d’ouvriers ont dix fois plus de chances d’être obèses que les enfants de cadres. Les états de santé différenciés selon les classes font l’objet d’un large consensus en épidémiologie comme en sciences sociales depuis le XIXe siècle. Néanmoins, là encore, l’Education nationale de la jeunesse et des Sports dédaigne ce facteur, pourtant crucial, dans le développement et l’enrichissement de ses programmes de pratiques sportives en milieu scolaire. 

Les plus curieux sont invités à se rendre sur la page du ministère des armées pour y dénicher des pépites. Ces quelques fureteurs y découvriront des mots qui ne manqueront pas de les laisser songeurs: « L’armée de Terre entretient un lien spécifique avec la jeunesse puisqu’elle y puise la ressource indispensable pour mener les missions qui lui sont confiées. En retour, elle contribue à l’éducation de cette même jeunesse, contribuant ainsi au renforcement de la résilience de la Nation. » Quelle honte! Le lien spécifique que la France se doit d’entretenir avec sa jeunesse est avant tout, et surtout, à tisser à l’école. C’est sur les bancs des établissements scolaires, dans les stades mis à disposition par les municipalités ou dans les cours de récréations que la dite jeunesse devrait être éduquée. Eduquée non pas seulement aux lettres et aux sciences, mais à tous les domaines susceptibles d’élargir ses compétences, de développer son goût de l’excellence, son humanité, son sentiment d’appartenance et sa capacité de résilience. Le sport et les arts font parties intégrantes de ce panel d'outils vers l’élévation. L’armée ou même le service civique -mesure chaudement défendue par François Hollande- sont des palliatifs indignes pour ces jeunes gens en formation à qui, rien n’est proposé par un corps élitiste de dirigeants terrorisés à l’idée de perdre les privilèges sur lesquels ils sont confortablement assis.

Si les Jeux Olympiques de Paris ont su soulever les coeurs, suscitant un engouement peu commun pour les arts et le sport, il nous reste désormais à prolonger et traduire cet enthousiasme dans notre système scolaire pour qu’enfin, chaque enfant, indépendamment de son milieu socio-économique ou de sa capacité d’apprentissage des savoirs classiques puisse éclairer le monde de sa propre flamme.

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