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Billet de blog 11 janvier 2025

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Les Afghans réfugiés au Pakistan face aux craintes de renvois forcés à la frontière

Dans la queue devant nous, une femme dont le long foulard turquoise traîne au sol nous raconte qu’elle vient tous les jours demander des nouvelles de son dossier. Au Pakistan, ceux qui croyaient avoir échappé aux menaces des taliban font face à l’angoisse d’une arrestation sommaire et d’un renvoi vers la frontière.

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Illustration 1
Dans la file d'attente de l'organisation SHARP, qui gère les dossiers des réfugiés afghans à Islamabad © Mathilde Weibel

6 janvier 2025, Islamabad. Dans la cour des bureaux de l’organisation SHARP (Society for Human Rights and Prisoners), une ONG mandatée par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) pour gérer les dossiers des réfugiés afghans, dans la banlieue d’Islamabad, une femme fond en sanglots. Le mois dernier, la police pakistanaise a arrêté son fils de seize ans en pleine rue et l’a retenu huit jours en détention.

Elle a reçu un appel trois jours après sa disparition : au bout du fil, une personne lui a demandé d’apporter à Ali de quoi manger. Depuis, Ali est traumatisé et de peur d’une nouvelle arrestation, il dort sur le toit de leur immeuble, dans le froid. « Il va tomber malade, il est terrorisé, répondez-moi, nous n’avons rien fait de mal ».

Comme tous les autres Afghans venus demander des nouvelles de leur dossier ce matin, elle ne trouvera pas d’interlocuteur aujourd’hui. Malgré un dossier validé par le HCR et une promesse de relocalisation vers l’Europe, ils sont aujourd’hui des milliers à végéter au Pakistan, sans aucun soutien financier ni social. Et à raser les murs, de peur d’être inquiétés par la police, alors même qu’ils ont des documents attestant de leur statut légal.

Depuis début janvier, plusieurs sources dénoncent une augmentation des arrestations de réfugiés afghans au Pakistan. La chaîne de télévision afghane Tolo News rapporte les inquiétudes de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) et d’Amnesty International concernant les arrestations d’Afghans au Pakistan, y compris de ceux qui sont en possession de cartes d’enregistrement auprès du HCR et qui attendent d’être relocalisés dans un pays tiers.

Avand Azeez Agha, officier de communication de l’OIM, déclare : « Nous sommes inquiets de l’augmentation des arrestations d’Afghans au Pakistan, affectant des Afghans enregistrés dont la procédure de relocalisation vers un pays tiers est en cours, ainsi que des femmes et des enfants. Nous recommandons que les Afghans, indépendamment de leur statut légal, ne soient pas déportés sans la procédure légale requise ».

La chaîne de télévision afghane basée aux Etats-Unis Amu rapporte les propos de Babu Ram Pant, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour l’Asie du Sud-Est, pour qui « les raids de police nocturne, le harcèlement et les détentions arbitraires de centaines de réfugiés afghans, y compris des femmes et des enfants, dans la capitale, font partie d’une politique plus large de discrimination envers les Afghans dans le pays ».

Selon l’ambassade d’Afghanistan au Pakistan, plus de mille Afghans auraient été arrêtés par la police pakistanaise depuis le 1er janvier 2025 et 142 auraient été déportés vers l’Afghanistan.

Ces arrestations ont lieu dans un climat de tensions entre les deux pays et d’affrontements à la frontière. Le 24 décembre 2024, l’armée pakistanaise a bombardé la province afghane de Paktika, tuant 46 personnes, principalement des femmes et des enfants. En réponse, les taliban afghans ont attaqué plusieurs lieux « au-delà de la ligne fictive », c’est-à-dire du côté pakistanais de la ligne Durand, une frontière disputée et qu’ils ne reconnaissent pas.

Selon le site d’information afghan KabulNow, l’armée pakistanaise aurait lancé cinquante missiles sur la province frontalière de Kunar ce vendredi 10 janvier. Les affrontements sont toujours en cours.

Dans la queue devant nous, une femme dont le long foulard turquoise traîne au sol nous raconte qu’elle vient tous les jours demander des nouvelles de son dossier. Elle arrive à neuf heures, fait la queue, et repart à quatorze heures sans avoir pu parler à personne. Au mieux, on lui répond d’attendre. Alors elle revient le lendemain.

Au Pakistan, ceux qui croyaient avoir échappé aux menaces des taliban font face à l’angoisse d’une arrestation sommaire et d’un renvoi vers la frontière. Sans parler des conditions de vie indignes dans lesquelles ils vivent, puisqu’ils ne peuvent pas travailler sur place et doivent compter pour survivre sur la solidarité de leurs familles et connaissances à l’étranger, s’ils en ont.

Des Afghanes et des Afghans qui ont échappé à la prison risquent un retour forcé dans le pays qu’ils ont quitté de haute lutte, au prix d’un voyage dur, cher et éprouvant. Une fois au Pakistan, ils attendent des mois que leurs dossiers soient traités. Dans l’intervalle, ceux qui disposent de contacts à l’étranger se font envoyer de l’argent pour payer leur loyer, se nourrir, se chauffer. Madina (prénom fictif) me raconte que plusieurs de ses voisines sont obligées de se prostituer pour nourrir leur famille.

Les Afghans rencontrés sur place parlent d’un état d’angoisse permanent. Tous ceux qui vivent à Islamabad racontent la même histoire : les policiers débarquent en pleine nuit, vers deux-trois heures du matin, quand ils sont sûrs que tout le monde dort. Ils demandent les papiers, les visas, les passeports. Et ils embarquent ceux qui n’en ont pas, et parfois aussi ceux qui en ont. Sur WhatsApp, les Afghans du Pakistan partagent des vidéos d’arrestations prises depuis un balcon, en pleine nuit. Les images sont floues, sombres, mais on distingue bien les femmes forcées de monter dans une fourgonnette de police.

Sur X, Bushra Gohar, une ancienne députée pakistanaise, dénonce le traitement « inhumain » réservé aux réfugiés afghans, et traite le HCR de « témoin silencieux » face à ces violations intolérables des droits humains. Le soir du lundi 6 janvier, elle tweete : « Des femmes et des enfants afghans sont arrêtés dans le quartier de B17 à Islamabad et emmené au Haji Camp. Apparemment, ce traitement inhumain des familles afghanes a été ordonné par le ministre de l’Intérieur Mohsin Naqvi. Le UNHCR est un spectateur silencieux ».

Une femme commente : « c’était l’anniversaire de ma petite-fille aujourd’hui. Mais nous n’avons pas pu chanter ni mettre de musique, de peur que la police nous repère. Quel est son crime ? Elle a deux ans. Nous lui avons souhaité joyeux anniversaire en silence ».

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