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Billet de blog 15 août 2025

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L'été grec

Manifestants anti-tourisme israélien victimes de violences policières, incendies partout dans le pays, consumérisme sans limites dans les îles, exploitation des travailleurs et travailleuses du secteur du tourisme... En Grèce, en été, les inégalités sont omniprésentes.

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A Mykonos, des touristes saoudiennes en voile intégral, avec masque et gants noirs, côtoient des Italiennes aux lèvres botoxées et en robe-filet sur un string à paillettes à la terrasse du salon de thé Ladurée. Au large, le bateau de croisière « Yalla Greece Saudi Arabia » attend le retour de ses passagers partis faire la fête dans les boîtes de l’île. Un bateau de croisière vient de débarquer 1'600 touristes israéliens sur le port et les forces policières ont été redoublées pour les protéger.

A Volos, après avoir été chargés par la police, des manifestants ont repoussé de trois heures le débarquement de touristes israéliens en scandant « Free Palestine » et « IDF go home ». Au Pirée, le 14 août, une manifestation massive organisée par différents groupes et syndicats a tenté de bloquer l’arrivée du bateau de croisière « Crown Iris », qui transporte notamment des soldats de l’armée israélienne « venus se reposer en Grèce, loin du génocide effectué par l’Etat d’Israël contre le peuple palestinien ». Les manifestants sont arrivés jusqu’à la porte E12 avant d’être repoussés par les MAT – les CRS grecs. Une série de manifestations dans toute la Grèce a eu lieu le 10 août, y compris dans les îles touristiques, pour la liberté en Palestine et contre le tourisme des Israéliens en Grèce.

A Mykonos, Daniel travaille dix heures par jour sept jours sur sept de mai à octobre. C’est la norme pendant la saison touristique. Parfois – souvent –, on lui demande de rester deux heures de plus. 7 heures – 19 heures, sans pause, et il recommence le lendemain, et le lendemain, et le lendemain, pendant six mois. Dans les bars, les serveuses apportent dès le matin des cocktails à quinze euros à des touristes qui ne se doutent pas que leur boisson vaut trois heures de leur travail. Les employés des entreprises de tourisme (pakistanais, géorgiens, albanais, cubains) sont logés dans des sous-sols tout en haut d’une colline semée d’hôtels avec piscine et vue spectaculaire sur la mer – plutôt vides, les piscines, cette année. Maria, qui travaille dans une boutique de vêtements, espère faire un bon chiffre d'affaires demain. "Il y aura un bateau d'Américains. Ce sont ceux qui dépensent le plus, les Américains. Ils peuvent lâcher 1000 euros en une journée". Dans les rues de Mykonos, en plus des traditionnels magasins de souvenirs, on trouve des boutiques Louis Vuitton, Chopard, Dior. Chaque jour, leurs employé.e.s attendent avec impatience l'arrivée des premiers croisiéristes qui passeront la journée sur l'île à faire du shopping avant de passer la soirée dans les boîtes. 

Ici, il y a des gens qui louent des Porsche Cayenne à la journée – 500 euros – ou un tour de quatre heures en catamaran – 500 euros aussi.

Il y a aussi Fatos, serveur dans un restaurant du centre-ville, qui fait ses dix heures réglementaires pendant sept mois sans aucun jour de congé avant d’aller récolter des olives sur les terres qu’il possède dans son village natal en Albanie. Il est arrivé en Grèce à quatorze ans, « par les montagnes », après avoir terminé l’école primaire, en 2004.

Et Abas, éthiopien, qui vit en Grèce depuis treize ans et passe l’hiver à Athènes où il travaille dans un restaurant japonais.

Un homme dépose deux briquets Marlboro et un message sur la table du restaurant dans lequel Fatos et Abas travaillent :

« Please forgive me I am from Syria.

I am a teacher and I have 4 kids.

My house was destroyed and my eyes were damaged due to the war.

The difficult economic situation forced me to leave to

Sell these lighters to secure a living for my kids

Help me as you can

Thank you ».

[Pardonnez-moi s’il vous plaît, je suis syrien. Je suis enseignant et j’ai quatre enfants. Ma maison a été détruite et j’ai été blessé aux yeux pendant la guerre. La situation économique difficile m’a forcé à partir et à vendre ces briquets pour assurer la survie de mes enfants. Aidez-moi si vous le pouvez. Merci].

Il porte un t-shirt noir, un sac à dos et une barbe grise de quelques jours. Il vient d’Alep.

Régulièrement, tous les regards se tournent vers un roof-top des alentours. Quelqu’un vient de commander une énième bouteille de champagne servie avec des feux d’artifice.

Le briquet de l’homme d’Alep lui aussi fait de la lumière et surtout ses yeux bleus illuminés par son sourire.

Zante, Volos, Chios, Patras, Achaïa sont en flammes. Il n’y a pas assez de pompiers, pas assez de personnel dans les hôpitaux. Une caricature circule sur les réseaux sociaux : « mais pourquoi devrait-on protéger les forêts, sont-elles des touristes israéliens peut-être ? » Les policiers sont occupés à protéger les touristes qui dépensent et investissent en masse dans le pays, et à tirer sur les réfugiés qui tentent de traverser l’Égée en quête d’un pays sûr où ils viendront grossir les rangs des corps grecs et étrangers au service de l’argent et du pouvoir, dans les chantiers d’Athènes en hiver et sur les îles en été. Selon l’activiste Thomas Olsen, gérant de l’organisation Aegean Boat Report, le 11 août, les garde-côtes grecs ont ouvert le feu sur une embarcation transportant environ vingt réfugiés au large de l’île de Samos lors d’un pushback de plus. Nom du bateau : Lambro 57, ID LS-171, stationné à Samos.

A la cafétéria d’un camping de l’île de Naxos, l’île voisine de Mykonos, un jeune homme lit la traduction grecque de La pensée de Karl Marx d’Henri Lefebvre. Deux étudiants s’embrassent sous les étoiles.

Dans le centre d’Athènes il était écrit « να ξαναβρούμε την τρυφερότητα » [retrouver la tendresse]. Dans une rue voisine, en espagnol : « ternura = revolución » [tendresse = révolution].

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