Les deux jeunes hommes sont arrivés en Grèce en mars 2020. Amir était accompagné de sa femme, alors enceinte, et de leur fille. A cette époque, en pleine pandémie, le gouvernement grec avait suspendu le droit de demander l’asile, considérant d’office toute personne entrant sur son territoire sans documents valables comme illégale, et contrevenant ainsi à la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Comme des centaines, des milliers d’autres, Amir Zahiri (25 ans) et Akif Rasuli (23 ans) avaient fui l’Afghanistan et cherchaient refuge en Europe.
Pendant la traversée, les garde-côtes grecs ont cherché à les repousser vers la Turquie en utilisant des barres de métal, effectuant un « pushback » ou refoulement, comme ils le font de plus en plus souvent. Le bateau, percé, a commencé à prendre l’eau et a fini par chavirer, et les garde-côtes ont été forcés de recueillir les naufragés à bord. Les deux hommes ont été violemment battus devant le reste du groupe, y compris la femme d’Amir et leur fille. A peine arrivés sur la terre ferme, ils ont été séparés du groupe avec lequel ils avaient voyagé. Ils ont été accusés d’être des passeurs ayant provoqué le naufrage du bateau, et ils ont été placés en détention provisoire. Le 8 septembre 2020, ils ont été condamnés à 50 ans de prison chacun.
La femme d’Amir a accouché entre-temps, alors que son mari était détenu pour avoir tenté de sauver sa vie et celle de sa famille en rejoignant l’Europe. Il a rencontré son bébé une fois, après son procès, et a pu le tenir dans ses bras pendant quelques minutes, sous les injures d’un policier qui lui hurlait de rendre le nouveau-né à sa mère.
Le procès en appel devait se tenir aujourd’hui à Mytilène, sur l’île de Lesbos, mais il a été repoussé au 7 avril. Les deux jeunes hommes devront donc retourner en prison, en attendant la prochaine date de ce rendez-vous kafkaïen avec la justice européenne.
Dans la prison de Chios, où ils sont actuellement détenus, se trouve également Hand Abdi Mohammad, 28 ans, un demandeur d’asile somalien qui a été condamné à 142 ans de prison pour avoir pris le gouvernail du bateau sur lequel il tentait de rejoindre l’île de Lesbos, comme le lui ordonnait le passeur en le menaçant d’une arme. Les prisons sont pleines de ces hommes souvent choisis au hasard, à l’arrivée de chaque bateau, et accusés à tort d’en être les capitaines.
Un autre cas semble confirmer qu’il n’existe pas de limites au cynisme des autorités qui cherchent à tout prix à criminaliser le malheur. N., un Afghan de 25 ans, qui avait pris la mer sur une embarcation pneumatique le 7 novembre 2020, tentant de fuir la Turquie avec son fils de six ans, a vécu un drame. Au large de Samos, le bateau qui transportait vingt-quatre passagers a chaviré et tous ses passagers sont tombés dans l’eau. Les garde-côtes grecs avaient été informés de leur présence, mais ils ne sont pas venus les secourir. Au petit matin, le corps sans vie du fils de N. a été retrouvé sur les côtes de Samos.
Sans aucun égard pour la douleur du père qui venait de perdre son enfant de six ans dans un naufrage, N. a alors été arrêté et accusé d’avoir mis la vie de son fils en danger en le faisant emprunter la route mortelle de l’exil. Il encourt dix ans d’emprisonnement.
Un autre jeune homme, Hasan, 23 ans, se trouvait sur cette même embarcation ce jour-là en compagnie de sa sœur, de son frère et de sa mère handicapée. Il avait dirigé le bateau en détresse, et est accusé quant à lui d’avoir transporté « 24 ressortissants de pays tiers sur le territoire grec sans autorisation » (contrebande), avec les circonstances aggravantes de « mise en danger de la vie de 23 personnes » et d’avoir « causé la mort d’une personne » (le fils de N.). Il encourt la perpétuité pour la mort du fils de N., ainsi que dix ans d’emprisonnement par personne transportée, c’est-à-dire 230 années de prison en plus de la perpétuité.
Hier, le photographe norvégien Knut Bry a été arrêté par la police à Lesbos alors qu’il photographiait le port de Mytilène, et en particulier un bateau des garde-côtes. L’artiste mondialement reconnu, qui collaborait depuis 2016 avec l’ONG Lesvos Solidarity, est accusé d’espionnage.
Pour soutenir les « Deux de Samos », N. et Hasan, vous pouvez signer la pétition :