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A la suite du naufrage meurtrier qui a eu lieu mercredi 14 juin au large des côtes grecques, de nouveaux éléments continuent d’accabler les autorités grecques, qui nient en bloc avoir une quelconque responsabilité dans la tragédie qui pourrait avoir coûté la vie à près de 600 personnes, dont près de 100 enfants. Pour l’instant, les 71 survivants ont été enfermés au camp de Malakasa, d’où ils n’ont aucun accès au monde extérieur. Les autorités leur ont même interdit de passer un appel téléphonique pour rassurer leurs familles. Ces miraculés, traités comme des criminels, sont donc passés des ponts d’un bateau à la dérive, où ils avaient passé cinq jours de voyage et échappé à la mort, pour se retrouver emprisonnés dans un camp sans pouvoir avertir leurs familles qu’ils étaient en vie. Huit mineurs non-accompagnés ont quant à eux été emmenés dans un centre géré par l’OIM à Athènes. Depuis plusieurs jours, les membres des familles des passagers du bateau se pressent aux portes grillagées du camp de Malakasa, brandissant une photo, criant un nom, dans l’espoir de retrouver vivant un frère, un cousin. Majoritairement syriens, ils sont venus des Pays-Bas ou d’Allemagne, espérant encore pouvoir serrer dans leurs bras un corps vivant et non un cadavre.
Dans une interview accordée à CNN, Vincent Cochetel, Envoyé Spécial du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés pour la situation en Méditerranée centrale, a évoqué une possible responsabilité des garde-côtes grecs dans le naufrage. En effet, ceux-ci auraient attaché des cordes au bateau afin de le tirer hors des eaux grecques. Vincent Cochetel a déclaré : « Concernant les circonstances du naufrage, certains témoignages suggèrent qu’il y a eu à ce moment-là une manœuvre des garde-côtes grecs destinée à faire sortir le navire de la zone grecque de Recherche et Sauvetage pour permettre à ce bateau de poursuivre sa route vers un autre pays, et c’est un peu inquiétant ». A la question de la journaliste de CNN : « pensez-vous que cette tragédie aurait pu être évitée ? », Vincent Cochetel répond : « Oui. De nombreuses tragédies que nous voyons dans la mer Méditerranée ne peuvent pas être évitées. Nous sommes témoins de naufrages chaque semaine au large des côtes tunisiennes ou libyennes. Mais concernant ce drame, si on regarde les preuves dont nous disposons, les photos disponibles, c’était un grand bateau, qui ne peut pas être passé inaperçu en quittant la Libye. […] Ce bateau aurait dû être secouru et il était possible de le faire ».
« Il n’y a pas de femmes parmi les survivants. Toutes les femmes sont mortes. Elles ont coulé en tenant leurs enfants dans leurs bras »
Les images des retrouvailles de Fadi, un Syrien installé aux Pays-Bas, et de son frère Mohammad, âgé de 18 ans, qui tentent de s’enlacer à travers les barreaux du campement de fortune installé sur le port de Kalamata, ont circulé dans de nombreux médias. Mais la plupart des espoirs resteront vains. Anwar Bakri, secrétaire général de l’association des Syriens de Grèce et interrogé par Reuters, a reçu des centaines d’appels venant d’Allemagne, de Turquie et d’ailleurs, de familles recherchant un proche qui était parti en Libye dans l’espoir d’embarquer sur un bateau à destination de l’Europe. « C’est une tragédie. J’ai des photos, au moins quinze jusqu’à présent, de personnes disparues, de jeunes enfants, des adolescents de 16 ans, des jeunes de 20 ans, 25 ans, dont les parents sont à la recherche. A ce qu’on m’a dit, il n’y a pas de femmes parmi les survivants. Toutes les femmes sont mortes. Elles ont coulé en tenant leurs enfants dans leurs bras ».
Le rôle des garde-côtes grecs
Le bateau serait parti d’Égypte et les passagers auraient embarqué à Tobruk, en Libye, le 10 juin dernier. Ils auraient payé chacun 4'500 dollars pour la traversée vers l’Italie. Certains survivants ont livré des témoignages accablants, impliquant une responsabilité claire des garde-côtes grecs dans le naufrage. Ils racontent que les garde-côtes se seraient approchés du bateau, leur auraient jeté des bouteilles d’eau et de la nourriture – mais aucun gilet de sauvetage – et qu’ils auraient ensuite tracté le bateau dans le but de le faire quitter les eaux territoriales grecques, ce qui aurait entraîné le naufrage. Cette pratique n’est pas nouvelle. Décidés à ne pas sauver les passagers d’une embarcation en détresse et à ne pas avoir à s’en occuper, les garde-côtes leur lancent quelques bouteilles d’eau pour leur permettre de continuer le voyage jusqu’en Italie. Cette fois-ci, l’opération qui aurait dû être de routine aurait mal tourné. L’absence de gilets de sauvetage à bord, sur un bateau plein à craquer, clairement inadapté pour un si grand nombre de passagers, ne semble pas avoir dérangé les garde-côtes, peu intéressés par le destin des vies humaines jetées au hasard des flots. Selon de plus en plus de témoignages, il semble qu’ils tentaient bien d’éloigner le bateau des eaux grecques et que celui-ci aurait chaviré au cours de la manœuvre. « Nous étions en mer depuis cinq jours et six nuits, le moteur ne fonctionnait pas et pourtant nous n’avions pas chaviré, pourquoi aurions-nous soudain chaviré en cinq minutes ? », demande un survivant pakistanais à travers les barreaux du camp de Malakasa, sur une vidéo partagée sur les réseaux sociaux par la chaîne « Refugees in Libya ». Un Syrien de 24 ans a également raconté que les garde-côtes avaient attaché une corde à leur bateau afin de le remorquer vers la gauche, à la suite de quoi le bateau se serait penché vers la droite et aurait coulé.
Pour finir, un extrait de Home, de la poétesse somalienne Warsan Shire, traduit de l'anglais par Paul Tanguy:
[...]
Personne ne quitte sa maison
A moins que ta maison ne te chasse vers le rivage
A moins que ta maison ne dise
A tes jambes de courir plus vite
De laisser tes habits derrière toi
De ramper à travers le désert
De traverser les océans
Noyé
Sauvé
[...]