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Les élections grecques ont eu lieu dimanche. Le parti de droite au pouvoir, Nouvelle Démocratie, a obtenu près de 41% des suffrages, mais n’ayant pas de majorité absolue, de nouvelles élections seront organisées fin juin ou début juillet.
Juste avant les élections, le Premier Ministre Kyriakos Mitsotakis a fait une visite officielle à Lesbos en compagnie de son ministre de la Migration et de l’asile, Notis Mitarakis. Ils se sont rendus sur les lieux de l’ancien camp de Moria incendié en septembre 2021. Le terrain, laissé à l’abandon depuis près de deux ans, a tout récemment été réhabilité afin d’être rendu à la municipalité.
Dans un discours symbolique, Mitarakis a annoncé que l’ancien camp de l’armée, devenu enfer pour des dizaines de milliers d’âmes entre 2013 et 2021, serait offert à la municipalité de Mytilène, qui le mettrait à son tour à la disposition de l’université de l’Égée afin qu’elle en fasse un centre de conférence, un centre d’innovation et des logements étudiants. Dans un communiqué de presse de l’université de l’Égée, on lit que « le lieu qui a représenté le symbole le plus douloureux de la crise des réfugiés et de l’immigration au niveau international sera désormais développé par la municipalité et l’université de l’Égée comme lieu d’éducation, d’innovation et de culture ».
Il s’agit, pour l’université, de « transformer l’enfer des âmes en un espace de développement, de diffusion et de promotion des connaissances scientifiques, ainsi qu’un lieu d’innovation et de promotion des collaborations et synergies avec la communauté locale et la communauté universitaire internationale, un espace qui vibre de la présence de la nouvelle génération d’étudiants et d’étudiantes ».
L’objectif est clair : montrer aux électeurs du parti de droite déjà au pouvoir depuis quatre ans que la « crise » des réfugiés est terminée et que comme le dit slogan du parti - stabilité, audace, en avant – il est temps d’aller de l’avant. Pourtant, cette « crise » qu’on s’ingénie à invisibiliser est loin d’être terminée. Si les réfugiés sont aujourd’hui moins nombreux dans les rues de Mytilène, c’est qu’ils sont enfermés dans le camp de Mavrovouni, dont ils ne sortent qu’avec autorisation et après avoir été fouillés.
Si les arrivées de bateaux sont aujourd’hui un peu moins nombreuses qu’auparavant – 33 bateaux sont tout de même arrivés sur les îles grecques en avril, selon les chiffres de l’ONG Aegean Boat Report – pas moins de 57 bateaux ont été repoussés en eaux grecques vers la Turquie (pratique illégale du pushback) et recueillis par les garde-côtes turcs, uniquement au cours du mois d’avril 2023. Ce sont 1'711 hommes, femmes et enfants à qui le droit de demander l’asile a été nié.
Le gouvernement pour lequel près de 41% de la population grecque vient de revoter continue d’effectuer régulièrement des pushbacks illégaux en mer, de nier éhontément dans les médias avoir recours à cette pratique, et même de menacer les médias étrangers qui osent mentionner le sujet (menaces contre le Spiegel en 2022).
Un des derniers pushbacks en date a pour la première fois été documenté par une vidéo publiée par le New York Times, et qui prouve ce que les ONG s’épuisent à dénoncer depuis des années. Les pushbacks sont une pratique courante, mortifère, dangereuse et inhumaine, utilisée régulièrement par les garde-côtes grecs pour repousser ceux qu’ils continuent de considérer comme des « immigrés illégaux » violant clandestinement leurs frontières, alors que ce sont en réalité des hommes, des femmes et des enfants ayant fui leur pays en guerre à la recherche de la sécurité et de la paix, et qui se retrouvent battus et dépouillés de leurs effets personnels, puisque les garde-côtes leur volent leurs téléphone, l’argent qu’ils ont sur eux, et parfois jusqu’à leurs vêtements.
Ils sont ensuite rejetés au milieu de la mer sur des radeaux en plastique, alors qu’ils avaient risqué leur vie pour traverser la mer et arriver en Europe, et qu’ils avaient déjà posé le pied sur les côtes européennes, où ils sont légalement autorisés à demander l’asile, comme tout être humain forcé de quitter son pays est en droit de le faire.
Privation de nourriture
Non contents de violer les conventions internationales concernant le droit d’asile, en attrapant les personnes avant qu’elles aient eu l’opportunité de demander l’asile et en les rejetant en mer – entraînant par là un certain nombre de décès et de naufrage mais qu’importe, puisque que ce ne sont que des corps étrangers qu’on élimine en silence – les autorités ont eu la bonne idée, en pleine période électorale, d’annoncer à environ 300 réfugiés enfermés au camp de Mavrovouni, qu’ils ne recevraient désormais plus de nourriture et qu’ils n’avaient plus qu’à s’en aller par leurs propres moyens.
Où, et avec quel argent ? L’histoire ne le dit pas et ceux qui ont pris cette décision ne se sont certainement pas même posé la question. L’important étant qu’ils disparaissent, qu’ils s’en aillent, qu’on ne les voie plus.
Une employée travaillant à l’intérieur du camp murmure : « Ce qu’ils veulent, c’est les pousser à bout. Ils veulent un nouvel incendie, comme à Moria, pour avoir une raison de plus de blâmer les réfugiés. Comme ça ils pourront dire “vous voyez, ils sont dangereux ces gens, on est bien obligés de les garder enfermés”. Ça justifiera aux yeux de la population l’ouverture prochaine du camp-prison de Vastria, qui est actuellement en construction ».
La jeune femme, assistante sociale de formation, et ayant travaillé depuis plusieurs années dans le domaine de l’asile pour différentes ONG grecques présentes à Lesbos, s’attend à encore plus de tensions, à des bagarres, à des émeutes de la faim. Car depuis jeudi, tous ceux qui ont obtenu leur protection internationale mais attendent la délivrance de leur carte de séjour, et ceux dont le dossier a été rejeté à deux reprises par les services d’asile, ne reçoivent plus ni eau ni nourriture – y compris les femmes enceintes.
En prison, la privation de nourriture est apparentée par les organisations de défense des droits humains à de la torture. À Lesbos, on torture aussi. Qui ? Des criminels qui connaissent leur délit et la durée de leur peine ? Même pas. Des hommes et des femmes comme vous et moi, qui n’ont pas eu la chance de naître dans un pays sûr et qui ont risqué leur vie pour donner un avenir meilleur à leurs enfants.
Aujourd’hui, ils sont non seulement privés de leur liberté de mouvement pour une durée inconnue, mais ils voient leurs enfants grandir dans un camp, isolés et privés d’éducation, et n’ont pas même de quoi les nourrir.