Un homme danse, seul. Digne, le visage baissé vers la terre, les bras grand-ouverts. Lentement, il replie un bras vers lui avant de le tendre vers l’extérieur, frappe un pied au sol, prend une grande inspiration. Il porte un pull en laine bordeaux et un gilet noir. Une barbe blanche de quelques jours.
Derrière lui, d’autres hommes, immobiles, les yeux baissés.
En commentaire de la vidéo : « Cet homme avait promis à sa fille qu’il danserait pour son mariage. Aujourd’hui il danse à son enterrement ».
Si cette scène est récemment devenue virale sur les réseaux sociaux – il semble pourtant qu’elle provienne d’une série télévisée azerbaïdjanaise – c’est qu’elle en dit beaucoup sur ce qui se passe aujourd’hui en Iran, et sur l’émotion que suscitent les nouvelles qui en proviennent. Elle montre un père qui pleure la mort de sa fille. Elle montre aussi la puissance d’un corps qui danse.
Des dizaines de filles et de garçons de vingt ans ont été tués par le régime iranien pendant les manifestations qui ont lieu chaque soir depuis le 17 septembre en Iran, depuis l’arrestation violente de Mahsa Amini, 22 ans, par la police des mœurs, parce qu’elle ne portait pas son voile correctement. Et sa mort quelques heures plus tard à l’hôpital.
Mahsa Amini était kurde, et son prénom d’origine, Jina, signifie « qui donne la vie ». En mourant, Mahsa/Jina Amini a donné naissance à un mouvement extraordinaire, un mouvement qui unit les femmes de tout le pays et leurs alliés, ces hommes qui manifestent à leurs côtés en hurlant le slogan des féministes kurdes, « Femme, Vie, Liberté ». Mahsa a disparu mais elle a redonné espoir à une jeunesse étouffée par des décennies de lois misogynes et liberticides. Hadis, 20 ans. Mahsa, 16 ans. Amin, 16 ans. Mohammad, 24 ans. Ghazaleh, 33 ans. Et toutes les autres et tous les autres – 76 victimes jusqu’à présent – qui ont été tué.e.s ces derniers jours dans les rues iraniennes.
Il y a les morts et il y a les vivants, ceux qui restent, les parents, les frères et les sœurs. Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, la sœur de Hadis dit « ils ont tué ma sœur et désormais nous n’avons plus rien à perdre, qu’ils viennent nous tuer tous, nous ses sœurs, qu’ils viennent tuer mon père, ma mère. Nous n’avons plus peur de personne ».
A Kaboul, des femmes se sont regroupées devant l’ambassade d’Iran pour manifester leur soutien à leurs sœurs iraniennes. « A quand notre tour ? » Les taliban ont tiré pour les disperser. Eux aussi sont effrayés par le pouvoir des femmes.
Au Kurdistan syrien, des femmes ont coupé leurs cheveux en scandant les mêmes slogans qu’on entend dans les rues de Téhéran.
Dans la nuit iranienne, une femme crie « Mort au dictateur ! » Elle répète, plusieurs fois : « Mort au dictateur ! Mort au dictateur ! » Une autre femme lui répond dans le noir et reprend la même phrase. Et une autre. Et une autre. A la fin elles sont une dizaine à crier ensemble dans l’obscurité. Si fortes. Ensemble.
Et parmi la mort qui semble omniprésente c’est la vie qui triomphe dans les corps qui exultent et qui dansent et qui crient, cheveux attachés pour faciliter les mouvements, coupés en signe de solidarité, et dévoilés enfin parce que ça y est, c’est une révolution des corps en train de se faire. La libération des corps des femmes.
Femme, Vie, Liberté
زن، زندگی، آزادی