Vendredi 13 septembre 2024.
Départ vers le Sud-Kivu pour clôturer notre projet de recherche sur la tuberculose. Nous sommes pressés de retrouver ce lieu unique, en bordure du Parc National du Kahuzi Biega, où se croisent humains, faune sauvage et animaux domestiques. Un milieu vivant, naturellement riche mais structurellement pauvre.
Sauf que cette dernière mission ne s’annonce pas comme les autres. Fin juillet, nos collègues congolais nous annonçaient avoir reçu leur premier cas de Mpox dans cette petite ville isolée.
Pour nous, à peine le temps d’une première dose de vaccin antivariolique. Pour eux, à peine le temps de délocaliser l’hôpital pour contenir le ballet incessant des malades. Au début un cas par jour, puis deux, puis cinq, puis dix, puis vingt, présentant tous les mêmes symptômes : fièvre, ganglions du cou très enflés, gorge douloureuse au point de ne plus pouvoir avaler, puis des boutons, sur tout le corps.
Et il n’y a pas de vaccins.
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Quand nous passons la porte de l’hôpital, le ton est donné : une affiche alerte sur la présence de la maladie et l’odeur de chlore est omniprésente. Une tente est dressée, destinée à accueillir les hommes, tandis que l’ancien hôpital de pierre et de briques jaunes fourmille de mamans et d'enfants. A peu près deux cent personnes sont isolées là pour trois semaines, dans l’attente de la guérison ou d’une issue plus funeste. Pour les trois médecins et cinq infirmiers qui se relaient, les gardes se succèdent, épuisantes. Cela fait quelques jours qu’il manque du paracétamol, du savon, des antibiotiques, du lait infantile. Plus d’équipements de protection non plus. Finis surblouses, masques FFP2, gants et charlottes. Ils sont à nu, exposés à la maladie et au risque de contaminer leurs familles. Le matériel est apporté au compte-goutte, par des institutions, des ONG ou même des particuliers. Des dons plus ou moins avisés, avec parfois des anti épileptiques ou des anti dépresseurs qui se glissent parmi les médicaments essentiels.
Mais pas encore de vaccins.
Pour éviter les allées et venues permanentes des familles venues apporter à manger, et ainsi casser la chaîne de transmission, une association locale a mis en place une distribution de repas au sein de l’hôpital. Mais, à l’heure du déjeuner le ton monte car les portions sont insuffisantes pour couvrir les besoins et les femmes le font savoir. Et puis il faut dire qu’il n’y a pas assez de lits pour tout le monde, voire pas du tout dans la tente. Alors certaines trompent la surveillance du personnel, et, par un petit bout de grillage défaillant, s’en vont rejoindre leurs enfants restés à la maison ou partent en quête de nourriture. Une cousine ou une sœur arrive par le même chemin pour prendre la relève et garder le bébé malade.
Et toujours pas de vaccins.
Les professionnels de santé s’affairent, ce bébé ne mange plus depuis 3 jours. Il faudra lui donner de la bouillie à l’aide d’une sonde pour qu’il survive. Celui-là est couvert de boutons qui ont l’air infectés, on devra lui perfuser des antibiotiques. Cette femme ne peut plus respirer tant son cou est enflé, mais impossible de donner de l’oxygène ou de faire des aérosols dans un hôpital sans électricité. Pourtant le soignants sont confiants car grâce à leur dévouement il n’y a eu aucun décès en six semaines.
Le jour même, un enfant s’éteindra de dénutrition. Le lendemain un autre succombera du paludisme. Parce qu’il n’y a pas de moustiquaires.
Et pas non plus de vaccins.
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Le mot commence doucement à passer qu’à l’hôpital, on soigne gratuitement le Mpox. Les malades viennent de plus en plus tôt, leur état est moins critique. Mais certaines familles amènent tout de même l’enfant chez le tradipraticien pour traiter l’angine. Pour retirer le mal, il va racler les amygdales à l’aide d’un linge jusqu’à faire saigner. Dans les cas les plus extrêmes, la luette, ce petit bout de chair qui descend au fond de la gorge, peut être coupée. Alors, les relais communautaires passent le message : ces pratiques courantes risquent d’aggraver la maladie.
Mais c’est pour quand les vaccins ?
Deux cent mille doses viennent d’arriver à Kinshasa, à plus de deux mille kilomètres de là. Elles vont commencer leur périple, et courir les routes jusqu’à atteindre « le dernier kilomètre ». Certaines zones de santé du Sud-Kivu auront leur part, mais elles n’arriveront pas dans cet hôpital. La répartition sur le territoire a été décidée mi-juillet, avant que le premier cas ne survienne ici.
L’épidémie n’est pas finie.