Depuis que l’OMS a déclaré le Mpox "urgence de santé publique de portée internationale", la valse des « on sait bien que… », « on prend les mêmes et on recommence », « moi je connais quelqu’un qui… », me replonge dans les affres de la crise Covid.
Ces deux infections n’ont pourtant rien de similaire, hormis le fait d’être virales : le Mpox a été découvert chez l’animal il y a 70 ans, tandis que le SARS-Cov-2 était une émergence, un virus inconnu. L’une a une transmission préférentiellement cutanée et touche davantage les enfants, tandis que l’autre se propage plutôt par gouttelettes de salives et atteint surtout les personnes âgées ou ayant des maladies chroniques. La récidive du Mpox après une première infection est très rare, tandis que le Covid-19 peut affecter la même personne à répétition. Le clade II du Mpox, a déjà touché près de 5000 Français.es en 2022 et a été maîtrisé avec succès.
On doit se tenir préparés à recevoir des cas de clade I en France, c’est tout ce que dit l’OMS. Mais, sur les réseaux sociaux et dans les médias, nombreux sont les articles et commentaires mettant en parallèle les deux épidémies, parlant absurdement de confinement et de vaccination de masse.
Alors je crains que nous, soignant.es, subissions à nouveau la violence des mots.
Je m’adresse donc directement à toi, complotiste. Je sais que c’est un terme fourre-tout qui met parfois dans le même sac le doute légitime et le déni total de réalité. Je sais que tu n’aimes pas qu’on te nomme ainsi, mais j’imagine que tu comprends qu’il s’agit de toi. Je cherche aujourd’hui une seule chose : relancer le dialogue et remettre de l’humanité dans le complot.
À toi, qui m’a jeté à la figure mon statut de médecin parce que c’était selon toi « un argument d’autorité ». Alors que j’ai passé une partie de mon temps libre à tenter de t’expliquer ce qu’on vivait derrière les murs de l’hôpital, lorsque tu étais confiné chez toi. Tu m’as fait me sentir inutile et impuissante et j’ai supprimé mes réseaux sociaux pour éviter de te lire.
À toi, qui a prétendu qu’on euthanasiait les gens parce qu’on avait autorisé l’usage du clonazépam en sédation. Sache qu’il n’y avait plus assez de midazolam pour soulager la détresse respiratoire de celles et ceux pour qui c’était déjà trop tard. Sache qu’à chaque fois que j’ai prescrit et que les infirmières ont administré des sédations, nous aurions préféré ne pas vivre ça. C'était notre responsabilité de ne pas les laisser mourir d'étouffement et on y pense encore le soir.
À toi, qui a dit « c’est qu’une grosse grippe ». Tu sais, ça ne nous a pas semblé être un printemps banal quand on a attendu toute la nuit, dans l’angoisse, une place en réanimation pour un homme de 45 ans sous 15 litres d’oxygène.
À toi, qui a harcelé et menacé de mort mon collègue sur les réseaux, par mail, par courrier, par téléphone, parce qu’il prenait publiquement position contre le Pr Raoult, le "sauveur". Sache que, caché sous ton pseudo, tu attaquais un ami, un fils, un frère, un conjoint et un père, qu’on aurait pu perdre.
À toi, qui a affirmé qu’on a « créé la crise Covid » ou même que la maladie n’a jamais existé. Tu as nié le vécu de l’aide-soignante qui a enchaîné les toilettes mortuaires pour rendre aux corps leur dignité. Le vécu du kiné qui a fait des millions de pas dans les couloirs pour que des gens respirent à nouveau. Le vécu de la secrétaire qui a passé des heures au téléphone pour que des malades du cancer puissent quand même faire leur chimiothérapie. Le vécu des familles qui n’ont pas pu voir leurs morts. Le vécu des malades, qui pour certain.es n’en sont pas encore remis.es.
Tu l’auras compris, mon problème n’est pas que tu remettes en cause des faits scientifiques, le doute fait partie intégrante de la science. On a le droit de ne pas savoir et de se questionner. On ne trouvera sans doute pas de terrain d'entente sur la fiabilité des sources d'information.
Mon problème c’est qu’en pensant t’attaquer aux rouages d’une grande machine qui serait destinée à nuire, tu t’attaques à des êtres humains, qui comme toi peuvent ressentir de l’anxiété, être déprimés, fatigués, fragiles.
Je ne prétends pas que la crise Covid a été gérée sans heurts, et que toutes les personnes qui soignent sont merveilleuses. Mais je suis convaincue qu’on a fait du mieux qu’on a pu, avec les connaissances et les moyens disponibles.
Le Covid a laissé le système de santé et les soignant.es à bout de souffle, et tu ne nous a pas soutenu.es. Mais malgré tout, je te tends la main. Parce que si comme tu l’affirmes, ton but est de t’opposer aux grands qui profitent des petits, aux forts qui manipulent les faibles, on a peut-être plus de points communs que tu ne le crois.
Moi aussi ça m’ennuie que la fondation Bill et Melinda Gates soit l’un des principaux donateurs de l’OMS, parce que ça signifie qu’un acteur privé a voix au chapitre sur les grandes décisions en santé mondiale. Moi aussi ça me met en colère les pénuries de médicaments à répétition, parce que ça veut dire qu’on n’utilise pas de moyens de pression sur l’industrie pour assurer le droit à la santé de notre population. Moi aussi je suis frustrée de notre système de tarification à l’activité, parce qu’il oublie les réalités sociales et humaines au profit de logiques comptables. Moi aussi je suis déçue quand je vois les dividendes des actionnaires des grosses entreprises pharmaceutiques qui flambent, quand le budget de la Santé est réduit en cendres.
Alors, peut-être qu’au lieu de s’invectiver par écrans interposés, on pourrait travailler ensemble dans l’intérêt commun ? Je suis sans doute naïve mais lever les brevets des médicaments essentiels, rendre les prix des traitements abordables et arrêter de gérer les hôpitaux publics comme des entreprises me semble pouvoir constituer des pistes de luttes communes. En tout cas, un terreau plus fertile que l’envoi de messages rageurs contre « le système » qui n’atteindront pas leur cible mais qui heurteront les gens qui te soignent.
Au plaisir de te lire ?
Mathilde
PS : à vous, les « scientifiques » qui faites de la désinformation sur les réseaux sociaux par mégalomanie, je ne vous tends pas la main.