"La véritable question n'est pas ce que nous voyons, mais ce que nous faisons avec ce que nous voyons." — Jean-Paul Sartre
Un récent sondage révèle que 76 % des Français estiment qu'il n'existe que deux sexes. Ce chiffre, qui semble avoir suscité beaucoup de débats dans le grand public, soulevant ainsi une question fondamentale : pourquoi une telle affirmation fait-elle encore l'objet d'une large adhésion dans une société qui se veut moderne et éclairée ?
La différence entre l'humain et les autres espèces ne réside pas simplement dans notre capacité à nous adapter, mais dans notre faculté à comprendre, à percevoir au-delà des apparences. Cette capacité à voir ce qui nous échappe, à concevoir ce qui n’est pas immédiatement perceptible, a été l'une des caractéristiques majeures de l'humanité. Ces expériences de pensée, ces sauts intellectuels nous ont permis, au fil du temps, de concevoir un univers dans lequel nous ne sommes pas les maîtres. Un univers où des phénomènes coexistent sans que nous puissions toujours les comprendre, mais où, pourtant, la quête de sens n’est pas sans fin.
Pour pallier ces limites, nous avons conçu la science, qui se divise en deux grandes branches : la science expérimentale et la science théorique. La première, expérimentale, nous permet de tester un nombre limité mais conséquent d'hypothèses. La seconde, théorique, nous permet de concevoir des univers hypothétiques, souvent invisibles, mais néanmoins capables de nourrir notre compréhension du monde.
Le problème aujourd'hui est que, selon les domaines — physique, chimie ou biologie — la perception de ces deux modèles ne coexiste pas toujours de manière harmonieuse. En biologie, et en particulier en biologie de la reproduction, des débats réducteurs ont été façonnés autour d'une vision simpliste du sexe, limitant notre compréhension à des concepts théoriques qui ont pourtant leur place. C’est là où se trouve la difficulté : la biologie humaine est souvent réduite à une vision binaire, alors même que nous savons que la réalité est bien plus complexe.
En physique, par exemple, même si la théorie des cordes n'est pas encore totalement établie, elle nous offre des pistes pour concevoir un univers où l'on pourrait, un jour, percevoir davantage de dimensions que celles auxquelles nous avons accès. Il est relativement simple d'expliquer à un non-scientifique que notre monde pourrait posséder plus de trois dimensions, et que certaines de ces dimensions, invisibles à nos yeux, pourraient un jour devenir perceptibles. Pourquoi, alors, ne pas appliquer cette même ouverture d'esprit en biologie ?
Il serait bien sûr faux d'ignorer la binarité des gamètes : un testicule produisant des gamètes mâles, les spermatozoïdes, et un ovaire produisant des gamètes femelles, les ovocytes. Mais il serait tout aussi réducteur de limiter notre compréhension du sexe à cette dichotomie simpliste. La réalité biologique, en effet, est bien plus fluide et complexe, car la sexualisation d’un individu se poursuit tout au long de son développement. C'est un processus continu, bien loin des modèles figés que ce sondage semble légitimer.
Aristote pensait que la femme était le résultat d’un développement incomplet de l’homme. Bien que cette idée puisse prêter à sourire aujourd'hui, elle n'a pourtant pas cessé de nourrir des théories scientifiques et sociales pendant des siècles. Même Darwin, dans ses écrits, n’a pas échappé à cette vision. Ce sont ces erreurs de lecture du monde biologique, combinées à des constructions sociales souvent conservatrices, qui ont façonné notre mode de vie et contribué à la situation difficile des femmes dans de nombreuses sociétés.
C’est cette même logique qui semble alimenter, aujourd’hui encore, des débats stériles et figés autour de la question des sexes. La persistance des idées véhiculées par certains mouvements religieux, politiques d’extrême droite et de fascisme montre à quel point la bicatégorisation des sexes, loin d’être une vérité scientifique indiscutable, est aussi une construction idéologique, un ciment social qui ne cesse de nourrir une vision archaïque de la société. La dichotomie sexe masculin/sexe féminin, figée et incontestée, se voit aujourd’hui renforcée par un certain nombre d’interprétations simplistes de la biologie.
Aujourd’hui, ce sondage n’est qu’une manifestation de la résistance au changement, une manière de figer les idées pour maintenir des structures de pouvoir basées sur une vision obsolète du monde. Il est temps de remettre en question ces certitudes et de reconnaître que le sexe, comme tout autre aspect de l'identité humaine, est bien plus complexe, nuancé et évolutif qu’une simple binarité.
Pour reprendre les mots de Jean-Paul Sartre : la véritable question n’est pas de savoir s’il existe deux sexes ou non, mais de comprendre à quel point nos idéologies façonnent la société dans laquelle nous vivons. Il y a 90 ans, nous avions déjà une réponse.
Mathis BOUVET
Etudiant Biologie de la Reproduction - 37000 Tours
Biologiste / Embryologiste - Institut de la Vision Paris 12