La démocratie est une œuvre humaine à la fois puissante et vulnérable. Elle repose sur la confiance, la liberté d’expression, la pluralité des opinions. Mais elle peut vaciller lorsque ces fondements sont minés par des stratégies délibérées visant à attiser la peur, diviser la société et désigner des coupables. Ce ne sont pas toujours ses ennemis extérieurs qui la menacent : ce sont parfois ceux qui, prétendant la défendre, sapent de l’intérieur ses piliers les plus essentiels.
L’Europe traverse une crise démographique majeure : vieillissement, baisse des naissances, besoin croissant de main-d’œuvre étrangère. Cette réalité, inévitable, appelle des réponses lucides, solidaires et responsables. Mais certains préfèrent instrumentaliser cette situation pour bâtir des récits de guerre culturelle.
Zemmour parle de “remigration” comme s’il fallait expulser une partie du peuple français. Bardella fustige un prétendu “islamo-gauchisme” pour discréditer toute pensée critique. Retailleau agite le spectre des Frères musulmans comme s’il s’agissait d’un complot massif. Ciotti transforme chaque fait divers en appel à l’état d’urgence permanent. Tous participent à un même récit : celui d’une France assiégée de l’intérieur.
Ce récit, les médias les plus militants l’amplifient en boucle. En tête, CNews, devenue le haut-parleur d’une droite radicalisée, qui distille jour après jour l’idée que l’ennemi est parmi nous. Plateaux tournants d’“experts” identiques, mises en scène anxiogènes, vocabulaire martial : la peur y est un fond de commerce, et la stigmatisation une ligne éditoriale.
Ainsi, le rapport sénatorial sur les Frères musulmans, qui ne désigne qu’environ 1000 individus, est présenté comme une menace existentielle. Peut-on sérieusement croire qu’une poignée de militants pourrait imposer la charia dans un pays de 75 millions d’habitants ? Comment expliquer cette peur disproportionnée, si ce n’est comme un prétexte commode pour restreindre les libertés, durcir les lois, et faire accepter l’inacceptable ?
À force de stigmatiser, de légiférer dans l’urgence, de soupçonner au lieu d’écouter, on prépare un terrain dangereux. On façonne une société de surveillance, de méfiance, de contrôle. Une République autoritaire, au nom même de sa défense.
Si le peuple ne se réveille pas, s’il se laisse hypnotiser par les discours identitaires de l’extrême droite et par les chaînes d’info devenues instruments de propagande, alors la démocratie mourra. Non pas sous les coups des extrémistes, mais par les mains de ceux qui auront prétendu la protéger.