Lettre ouverte à Bruno Retailleau
Monsieur Retailleau, l’immigration est une chance : je suis la preuve vivante de ce que vous niez
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Candidat à la présidence des Républicains,
Depuis plusieurs années, vous avez fait de vos discours une croisade contre les étrangers, et en particulier contre nos compatriotes musulmans. Vous êtes allé jusqu’à affirmer que « l’immigration n’est pas une chance pour la France ».
Je crains que vous soyez resté sous l’influence des idées nationalistes et identitaires de votre ancien mentor, Philippe de Villiers.
Pourtant, malgré votre culture politique, je doute que vous mesuriez pleinement ce que l’histoire de France doit à l’immigration.
La grandeur de notre pays s’est construite grâce à des femmes et des hommes venus d’ailleurs :
Les tirailleurs sénégalais, algériens, marocains, tunisiens, qui ont versé leur sang pour la France lors des deux guerres mondiales, pendant que certains « Français de souche » collaboraient avec l’occupant nazi.
Les ouvriers immigrés qui ont bâti nos routes, nos ponts, nos hôpitaux, nos quartiers, dans des conditions de vie souvent très dures.
Les savants, les artistes, les penseurs venus enrichir notre patrimoine, à l’image de Marie Curie, Prix Nobel née en Pologne ; de Romain Gary, écrivain résistant né en Russie ; ou encore de Léopold Sédar Senghor, premier Africain membre de l’Académie française.
Que dire de Joséphine Baker, icône de la Résistance, naturalisée française, aujourd’hui honorée au Panthéon ?
Hier comme aujourd’hui, l’immigration continue d’apporter des talents immenses à notre pays :
Kylian Mbappé, Zinedine Zidane, Isabelle Adjani, Serge Haroche, Albert Fert, et tant d’autres qui font briller la France dans le monde.
Permettez-moi aussi de témoigner à titre personnel.
Je suis issu de la famille Atchekzaï, l’une des plus anciennes familles afghanes établies en France.
Depuis plus de trente ans, ma famille contribue activement à la société française : professeurs d’université, médecins, chefs d’entreprise.
Moi-même, je suis arrivé en France il y a 41 ans, en tant que réfugié politique afghan.
La France a été pour moi une terre d’accueil, de dignité et d’espoir.
Et je suis convaincu que nous avons, en retour, été une chance pour la France.
Aujourd’hui, nos enfants, fruits d’une double culture, sont diplômés de l’enseignement supérieur et s’engagent pour faire avancer notre pays.
Dans ma carrière professionnelle, malgré mon origine afghane, de nombreuses entreprises prestigieuses, des centres commerciaux, des institutions sensibles de l’État m’ont fait confiance pour assurer la sécurité de leurs établissements, même dans les périodes les plus critiques de la menace terroriste.
C’est pourquoi vos amalgames répétés entre immigration et insécurité, entre immigration et terrorisme, me révoltent profondément.
Aujourd’hui encore, face à l’assassinat islamophobe qui a récemment endeuillé notre pays, vous refusez même de nommer ce fléau par son nom.
Vous êtes prompt à demander la dissolution d’associations musulmanes, parfois désavoué par la justice, mais bien silencieux lorsqu’il s’agit de condamner clairement les organisations et partis politiques prônant la haine raciale.
Que faites-vous face aux responsables politiques plusieurs fois condamnés pour incitation à la haine, comme Éric Zemmour ?
Monsieur le Ministre, Monsieur le Candidat,
Je suis aujourd’hui français, de nationalité et de cœur.
Mais ce n’est pas n’importe quelle image de la France qui m’a donné l’envie de le devenir.
C’est la France de Victor Hugo, de Jean Moulin, du général de Gaulle, de Pierre Mendès France, de François Mitterrand ;
La France de la Résistance, de l’humanisme, des droits de l’Homme.
La France généreuse, solidaire, courageuse.
C’est cette France que j’ai choisie, aimée, et servie.
Et non celle, rétrécie, crispée, inquiète de l’autre, que vous présentez aujourd’hui dans vos discours.
J’aime la France des lumières, pas celle des ombres.
Monsieur Retailleau, au regard de vos prises de position, je vous le dis avec respect mais détermination :
Vous n’êtes pas digne de la fonction que vous briguez.
Notre République est plus forte lorsqu’elle rassemble.
Elle s’affaiblit lorsqu’elle stigmatise et exclut.
Respectueusement,
Manan Atchekzaï
Réfugié politique afghan devenu entrepreneur en France.