(Sabra, Gaza, Rafah : ceux qui tuent la mémoire sèment la guerre)
Depuis plus de soixante-quinze ans, la Palestine est un territoire amputé, morcelé, colonisé. Ses habitants, eux, sont enfermés dans un statut hybride : ni tout à fait citoyens, ni tout à fait ennemis, mais toujours suspects, toujours dominés. À chaque tentative de révolte, à chaque cri d’existence, on leur renvoie la même injonction : taisez-vous, ou vous serez des terroristes.
Ce mot — terroriste — est devenu un piège moral dans lequel la cause palestinienne est systématiquement enfermée. Non pas parce que la lutte est injuste, mais parce que l’oppresseur a l’immunité politique et médiatique que lui confèrent les alliances et la mauvaise conscience occidentales.
Les résistances célébrées… ailleurs
Ce sont les mêmes sociétés occidentales qui ont encensé la Résistance française contre les nazis, chanté les louanges de Nelson Mandela et de l’ANC, soutenu le FLN algérien, ou plus récemment les forces kurdes face à Daech. Toutes ces luttes ont été, à un moment ou à un autre, armées. Toutes ont été qualifiées de « terroristes » par leurs adversaires. Et toutes ont fini, tôt ou tard, par recevoir une forme de légitimité.
Pourquoi, alors, la résistance palestinienne serait-elle exclue de ce droit universel des peuples à se libérer de l’oppression ? Pourquoi le peuple palestinien devrait-il être le seul à résister en silence, à mourir sans riposter, à se laisser coloniser sans réagir, pour mériter un peu de compassion ? Pourquoi la seule violence légitime serait-elle celle d’un État surarmé, nucléarisé, appuyé par la première puissance mondiale ?
Les crimes d’Israël n’ont pas commencé le 7 octobre
L’horreur du 7 octobre n’est ni un commencement ni une fin. C’est un épisode tragique d’un cycle de violence plus ancien, plus profond, et largement asymétrique.
Avant le Hamas, il y eut Deir Yassine (1948), village palestinien massacré par les milices sionistes de l’Irgoun et du Lehi, qui tuaient femmes et enfants pour terroriser la population et provoquer l’exode. Il y eut Kafr Qasim (1956), où 49 civils furent abattus de sang-froid. Il y eut surtout Sabra et Chatila (1982), ce massacre de plus de 2 000 civils palestiniens dans les camps de réfugiés de Beyrouth, perpétré par les milices chrétiennes libanaises sous l’œil bienveillant — voire complice — de l’armée israélienne dirigée par Ariel Sharon, alors ministre de la Défense.
Le rapport officiel israélien (Commission Kahan) reconnut la « responsabilité indirecte » d’Israël. Sharon ne fut jamais jugé. Mieux : il devint Premier ministre. Un terroriste peut-il être élu chef d’État ? Apparemment oui, à condition qu’il ne soit ni arabe ni musulman.
Résistance ou terrorisme : une question de point de vue, ou de race ?
Ce qui est célébré comme « résistance » à Kiev est appelé « terrorisme » à Gaza.
Ce qui est « autodéfense » pour Israël devient « agression » pour les Palestiniens.
Ce qui est « drame humanitaire » pour l’Ukraine est un « dommage collatéral » pour Rafah.
Les enfants israéliens tués sont des tragédies.
Les enfants palestiniens sont des statistiques.
Ce deux poids deux mesures permanent n’est pas seulement immoral : il est stratégique. Il permet à Israël de revendiquer l’exclusivité de la violence légitime, comme si le peuple qu’il opprime n’avait pas le droit de répondre — même par la voix, même par la mémoire, même par une pierre.
Tuer la résistance, ou la multiplier ?
Ceux qui croient qu’on éteint une cause par la répression devraient relire l’histoire.
Les Afghans ont combattu les Russes, puis les Américains. Plus on tuait, plus des combattants surgissaient. Parce que la douleur fait naître la rage, et que la rage cherche une arme, une voix, un drapeau.
Cela vaut en Afghanistan. Cela vaut en Algérie. Et cela vaut en Palestine.
Chaque enfant qui survit à une frappe israélienne devient un témoin.
Chaque famille détruite devient une cellule de mémoire.
Et chaque humiliation quotidienne dans les checkpoints, les prisons, les camps, est une graine plantée dans la conscience d’un peuple que l’on croit brisé, mais qui n’a jamais cessé de résister.
Reconnaître le droit à la résistance, ce n’est pas légitimer la barbarie
Soyons clairs : rien ne justifie les massacres de civils, d’un camp ou de l’autre. Le droit international, comme la morale, interdit les attaques contre les non-combattants.
Mais refuser de comprendre pourquoi un peuple opprimé se bat, c’est prolonger cette oppression. Refuser de voir la violence coloniale comme cause première, c’est inverser l’ordre des responsabilités.
Et ne pas reconnaître, au moins partiellement, la légitimité d’une résistance face à l’apartheid, à l’occupation, aux massacres, c’est réduire toute révolte à du fanatisme, et toute parole à de la haine.
Les Palestiniens n’ont pas besoin d’être parfaits pour avoir raison
La résistance palestinienne n’est pas sans faute. Mais elle n’a pas à être pure pour être juste. L’Histoire nous montre que les opprimés n’ont jamais été des anges. Ils ont juste été des humains privés de tout, sauf du droit de dire non.
Et c’est ce non que l’on veut étouffer aujourd’hui sous les bombes, les censures, les amalgames.
En refusant de reconnaître cette lutte comme une résistance, on légitime l’écrasement d’un peuple, et on prépare la radicalisation de ses enfants.
L’exil, la misère, l’occupation, l’humiliation… tout cela ne tue pas la lutte.
Cela la prolonge, la transforme, la radicalise.
Le nier, c’est se condamner à voir l’histoire se répéter — toujours du mauvais côté.
✍️ Manan Atchekzaï