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Billet de blog 31 mars 2023

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Sainte-Soline : témoignage et réflexion

Un simple témoignage (encore un ?!) sur les évènements vécus à Sainte-Soline, et une simple réflexion sur ce qui doit à mon sens nous animer pour la suite du mouvement et sur certains écueils à éviter.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après plusieurs jours à réaliser ce qu’il s’était passé à Sainte-Soline en particulier le samedi, à cogiter, j’ai depuis pu échanger avec des camarades avec qui j'ai partagé des moments lors de la journée de samedi. Nous avons tous reçu un coup sur la tête dès notre retour du week-end, avec une prise de conscience brutale des évènements vécus, et notamment de la gravité des blessures et de leur nombre. Il est évident que nous allons devoir collectivement tirer des leçons importantes des évènements ; et nous devrons composer avec toutes nos sensibilités.

Nous partageons tous de la tristesse pour les blessés les plus graves, et de la colère envers les responsables politiques et les FDO.        
Pour ma part, j’ajoute que ma détermination et ma colère sont renforcées, et que j’ai du mal à penser à autre chose. Je pense aux pistes d’amélioration, d’évolution des stratégies pour les prochaines actions. Je réfléchis à mes limites, à mon rôle, à mon évolution dans tout ça ; d’autant que j’ai eu du mal à trouver ma place au cours de l’action. Je me sens aussi faire partie d’un mouvement déterminé, qui continuera à sortir renforcé de ses échecs comme de ses victoires, dans la joie comme dans la douleur. Par conséquent, j’ai l’impression d’être un rat, un criminel, un parasite au regard de l’Etat.

Chez certains j’ai entendu de la crainte, des questionnements, des interrogations, des critiques de la stratégie ou de certains modes d’action, un profond abattement et des regrets. Je pense qu’il ne faut surtout pas que l’on oublie la justesse de notre cause et la puissance de notre mouvement ; et que nous ne devons pas nous diviser sur les modes d’actions, essentiels à notre force.

La diversité de ceux-ci était connue d’avance. Déjà du fait de la précédente grosse mobilisation, de la diversité des acteurs et des profils, du contexte actuel de mouvement social réprimé, et du dispositif militaire annoncé. Nous savions avoir dans nos rangs des gens déterminés, prêts à nous défendre et à répondre agressivement. Nous savions que beaucoup d’autres souhaitaient rester à l’écart des affrontements, faire une action plus symbolique, réalisaient au moins partiellement le danger auquel nous étions collectivement exposés à des degrés divers.

La violence qui s’est abattue sur nous, et surtout sur les premières lignes, a été d’une intensité folle, que beaucoup n’ont pleinement réalisée que bien après. Pour beaucoup, nous étions dans un monde parallèle, un jeu, un film… conscients et inconscients du danger à la fois, avec des explosions de grenades en continu tout autour de nous, un épais nuage de lacrymo, les oreilles qui sifflent, la joie de voir un camion brûler, les cris de « médics, médics » toutes les 3 ou 4 détonations... Nous avons parfois eu des comportements ou réactions qui nous ont surpris nous-mêmes dans le feu de l’action.

Certains se sont sentis envoyer au charbon, encouragés à avancer alors qu’ils voyaient d’autres tomber comme des mouches. Beaucoup se sont sentis mal ou trop peu préparés à la fois en termes d’équipements ou en regard de l’intensité des affrontements.

Il est évident que sur place, nous avons tous été débordés par les évènements, participants comme organisateurs. Une grande confusion a régné, les informations ont mal ou pas circulé, beaucoup se sont sentis démunis, impuissants, voir inutiles, les objectifs fixés ont perdu de leur sens…

Il y aura un avant et un après cette journée du 25 mars à Sainte-Soline. Le coût humain désastreux du week-end nous oblige tous à la réflexion. Nous avons tous à réfléchir à notre place au sein de ces actions et mouvements hybrides, nous devons améliorer nos stratégies, notre communication, notre organisation collective, multiplier les modes d’actions, inventer. La mutation perpétuelle du mouvement (à la manière des Furtifs d’Alain Damasio) me parait essentielle à sa survie et son succès ; et nous en sommes tous responsables. Il est indispensable que malgré la douleur nous sortions renforcés de ces évènements, pour ceux qui sont tombés comme pour les générations futures.

De grâce ne nous polarisons pas de nouveau sur ces questions de violence / non-violence. Ce serait pour moi un bond en arrière, alors que je me réjouis de ne presque plus entendre de conflits au sein des dernières manifestations entre les partisans de la non-violence et les autres. Notre capacité d’auto-défense est de plus en plus importante à mon sens au regard de l’évolution du contexte politique ; et nous sommes bien plus forts et dignes lorsque nous sommes unis dans la lutte et que nous répondons à la répression. Il faut faire de la place pour tous les moyens d'action; le pouvoir tremble lorsque nous sommes unis.

Nous sommes la Terre qui se soulève. N’oublions pas qui nous sommes et pourquoi nous nous sommes rassemblés : nous défendons la paysannerie, nous promouvons la joie, la solidarité, la diversité, la biodiversité, les arts, la culture…
C’est la Terre et les vivants qui l’habitent que nous défendons ; en face ils ne sont que profits et désolation.

Notre combat est noble, restons soudés et déterminés camarades. Seule la lutte libère.

No bassaran !

Force aux blessés, force à toutes les autres victimes des violences policières et des violences de l’Etat, force aux soignants et à la base-arrière.

Mattac
(PS: à noter qu'il y a beaucoup à dire aussi sur les journées du vendredi et du dimanche, beaucoup de matière à réflexion et beaucoup de luttes bien implantées ou en devenir qui donnent de l'espoir malgré l'effroi que suscitent les projets qu'elles combattent).

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