En covoiturage. A la terrasse d'un bistrot. Avec de nouveaux collègues de boulot ou avec le RG de service. « Je suis pour... pas un parti... » A force d'entendre cette rengaine, j'y ai reconnu une de ces tartes à la crème, de ces opinions toutes faites fabriquée en quantité industrielle par les éditorialistes dans les usines de prêt-à-penser, que se repassent dans leur grisaille les masses abreuvées aux grandes auges médiatiques. Me présentant pour la première fois à une élection, aux côtés de la liste Normandie Ecologie comme candidat d'ouverture, j'ai décidé de mettre à profit ce dernier jour de campagne pour argumenter contre cette idée reçue qui, sous son apparence anodine, fait du tort à notre démocratie.
« - Eh bien! que veux-tu dire: tarte à la crème ? - Parbleu ! tarte à la crème, Chevalier. »
C'est au Marquis de La Critique de l'Ecole des Femmes, de Molière, incapable d'argumenter raisonnablement, que nous devons l'expression « tarte à la crème », qui désigne un lieu commun que les interlocuteurs se repassent de façon stérile, croyant qu'il donne plus de poids à leur discours. Voyons d'abord le verre à moitié plein : la tarte à la crème dont il est question ici est tout de même une manière de victoire pour l'écologie. Voilà les conservateurs obligés, comme AUXCHAMPS ou LECLAIR, d'ajouter une tarte bio à leur fonds de commerce. L'existence de cette tarte témoigne d'une chose : les idées écolos, raillées, farfelues il n'y a pas si longtemps, ont cheminé dans les consciences, et bien fou serait celui qui reviendrait aujourd'hui mettre en cause les constats et alertes des méprisés babas cools des années 70, ou dénigrer ouvertement les alternatives concrètes qu'ils mettent en œuvre.
Désormais dans l'air du temps, les idées écolos n'auraient plus besoin d'être défendues. Les éternels pacifistes devraient rendre les armes au premier signe de conscience collective, ne pas protéger cette idée fragile, déjà émoussée par la récupération et les tartes à la crème bio « indus' » qui envahissent le marché. En pointe sur les questions environnementales, ils devraient désormais se taire, alors que le chantier peine à s'ouvrir, et qu'il est immense. Dans un monde-de-bisounours, où tous les aspirants législateurs et tous les chefs d'entreprises intégreraient l'impératif écologique, là oui... on pourrait imaginer qu'un parti écologiste n'aurait plus vraiment d'utilité... dans un hypothétique monde-de-bisounours... où la politique n'aurait plus d'utilité du tout... Mais n'en déplaise à Pierre Rabhi et ses émules, les bonnes intentions ne suffisent pas toujours. C'est ce qu'ont découvert de jeunes manifestants le 29 novembre à Paris : les forces de l'ordre se mettent à matraquer lorsqu'on leur propose bisoux et calins.
« - Mais il faut expliquer sa pensée, ce me semble. - Tarte à la crème, Madame ! »
Car les faits sont têtus. La FNSEA tient toujours d'une main assurée la gestion des affaires publiques agricoles et alimentaires. L'accès au foncier est verrouillé, les exigences environnementales se relâchent et l'argent public se déverse toujours à flot pour arroser quelques privilégiés et maintenir à flot un système agro-industriel exsangue mais plus toxique que jamais. Trop d'élus locaux, enroulés dans leur infaillible légitimité démocratique, valident forces projets de bétonnage malgré les avis et arguments négatifs d'experts et de citoyens assemblés. Des projets démesurés de zones commerciales, de barrages voient encore et toujours le jour alors que la vigilance sur la consommation de terres fertiles devrait être extrême. La transition énergétique claironnée sur tous les toits peine à se concrétiser faute de volonté et se voit déjà remise en cause par le parti du repli sur soi. La « démocratie environnementale » promise par le président de la République après le meurtre de Rémi Fraisse est au point mort. Et il nous faudrait nous taire et faire confiance on ne sait trop à qui ?
Localement comme nationalement, le harcèlement continu qu'a exercé le gouvernement socialiste depuis 2012 sur toutes les composantes du mouvement écologiste montre bien que les classes dirigeantes craignent l'écologie bien plus qu'elle ne veulent l'admettre. De Notre-Dame-des-Landes à la manif' interdite de République en passant par la forêt de Sivens, les écologistes ont été confrontés à une violence d'état d'une ampleur inouïe. Les militants paysans, qui pratiquent des actions symboliques et non-violente, ont été livrés à la justice tandis que les exactions de la FNSEA restent largement impunies. Aux Bouillons, la préfecture n'a pas hésité à appuyer des militants de la mouvance identitaire pour se débarrasser d'une mobilisation citoyenne encombrante. Avant l'interdiction des rassemblements dans le cadre de la COP, les pouvoirs publics multipliaient les difficultés à délivrer des visas aux militants climatiques, et ne se mobilisaient pas pour leur trouver des solutions de logement le temps de l'événement. Enfin, le contrat de gouvernement signé avec les partenaires écologistes a été méprisé, et la déstabilisation constante de leur parti a conduit au scandaleux débauchage d'une partie de ses élus.
« - Que trouvez-vous là à redire ? - Moi, rien. Tarte à la crème ! »
Faire passer pour du bon sens une proposition grotesque et finalement malveillante est le propre de toute bonne tarte à la crème d'essence conservatrice. Tout le monde étant « pour l'écologie », celle-ci ne relèverait conséquemment pas du champ politique, imbécilité élevée au rang de truisme chez les réactionnaires de tous bords. N'importe qui de raisonnable conviendrait pourtant sans peine, si on le lui demandait, qu'il serait en effet prématuré de renoncer à la possibilité d'une expression politique de l'écologie pour la simple raison que MACDO repeint ses magasins en verts, que les stars de cinéma s'engagent pour le climat et que M. Hollande accueille la COP 21. C'est pourtant cela que cherche à provoquer, toute innocence feinte, la répétition de cette rengaine : affaiblir la possibilité d'une affirmation démocratique de l'état d'urgence écologique et dissuader les électeurs de prendre parti, dans le débat public, en fonction des questions pourtant essentielles que pose l'écologie.
Cette tarte à la crème bio n'occupe bien sûr qu'un marché de niche. Les vraies tartes à la crème du moment, ce sont encore et toujours celles de la sécurité et de l'identité nationale, qu'on nous ressert jusqu'à l’écœurement, accompagnées de variantes régionales à la faveur des élections toutes proches. Mais sur ces sujets aussi, l'écologie a un message singulier à faire passer. Les fléaux qui accablent les migrants économiques comme les réfugiés des zones de guerre et qui les poussent sur le chemin de l'Europe ont leur source dans la pression mise sur les ressources de leurs pays, et leur confiscation au profit d'une minorité. L'« ennemi » contre lequel nous sommes aujourd'hui en « guerre » y puise à satiété vocations et justifications - il nous faut impérativement le reconnaître. Doucement, le pays sort de l'état de sidération dans lequel l'a plongé la sauvagerie terroriste. Il peut commencer à juger sereinement des premiers effets de l'emballement sécuritaire et militaire, et des efforts qu'il lui faudra fournir pour mériter la paix dans un monde qu'il a contribué à rendre terriblement inégal et chaque jour plus instable. Et peut-être portera-t-il plus d'attention à la petite voix de l'écologie, qui lui parle de paix, de sobriété et de coopération. Parce que le système économique actuel repose sur la surexploitation des hommes et des ressources, et que cette surexploitation atteint des niveaux extrêmes dans l'immense majorité des territoires anciennement colonisés par un petit groupe de pays situés de part et d'autre de l'Atlantique, dont le nôtre, les écologistes défendent la solidarité et la coopération internationale, et agissent partout sur le terrain, pour plus de sobriété et d'autonomie, pour l'équité et pour la paix.
Car l'écologie ne se résume pas à un parti. L'écologie est un état d'esprit qui guide des citoyens toujours plus nombreux dans les actes de leur vie quotidienne, et qui inspire une partie d'entre eux dans leur vie militante et professionnelle. L'écologie est un formidable réseau d'associations, de mouvements citoyens, d'entreprises qui jouent collectivement un rôle de vigie et de lanceurs d'alerte, d'aiguillon des pouvoirs publics et de contre-pouvoir, d'éducateur, de créateur d'alternatives. Elle se vit et se créé chaque jour. Mais en avons-nous déjà tant fait, que nous pourrions d'ores et déjà nous passer d'écologie politique ? Y a-t-il assez déjà assez de pommes bios en Normandie pour que nous nous satisfassions de tartes à la crème ?
La prochaine consultation électorale est une occasion unique de faire de la politique. Dimanche, contre les discours martiaux et les exhortations au rejet, chaque vote écologiste peut devenir un humble mais lumineux vote pour la paix, la solidarité et la garantie des libertés privées comme collectives. Les attentats ont nationalisé la campagne, la COP peut la mondialiser : en faisant dimanche des listes écologistes la surprise de ce scrutin, nous pouvons envoyer un message sans ambiguïté aux délégations mondiales réunies à Paris, au nom des peuples du monde : nous attendons des actes contre les pollutions et les inégalités. Les circonstances exceptionnelles dans lesquelles se tiennent ces élections ne doivent cependant pas occulter les enjeux véritables de ce scrutin au résultat très incertain : pour que les six années à venir soient employées à approfondir la transition écologique et agricole en Normandie, chaque vote comptera.
Demain, il nous reviendra de nous réapproprier la politique avant que ne débute la pantalonade des présidentielles et sa grande parade des égos. Tout est à réinventer. Mais commençons par manifester joyeusement notre unité autour de cette idée : l'écologie est la vraie alternative, morbleu !
Bonus : l'extrait « tarte à la crème » de L'Ecole des Femmes.
" Ah! ma foi, oui, tarte à la crème ! voilà ce que j'avais remarqué tantôt; tarte à la crème ! Que je vous suis obligé, Madame, de m'avoir fait souvenir de tarte à la crème ! Y a-t-il assez de pommes en Normandie pour tarte à la crème ? Tarte à la crème, morbleu ! Tarte à la crème ! - Eh bien! que veux-tu dire: tarte à la crème ? - Parbleu ! tarte à la crème, Chevalier. - Mais encore ? - Tarte à la crème ! - Dis-nous un peu tes raisons. - Tarte à la crème ! - Mais il faut expliquer sa pensée, ce me semble. - Tarte à la crème, Madame ! - Que trouvez-vous là à redire ? - Moi, rien. Tarte à la crème !" La Critique de L'Ecole des femmes, sc. VI