La ferme des Bouillons, propriété d'Auchan occupée depuis 2012 par un collectif citoyen pour la sauver de la démolition, est mise en vente au coeur de l'été. L'association demande l'arbitrage des pouvoirs publics, via une préemption par la SAFER..
Ça bouge aux Bouillons. Il y a un an, avec le reclassement du site en Zone Naturelle Protégée et la fin du permis de démolir détenu par la société Immochan, la vocation agricole de la ferme était confirmée et légitimée. Une première victoire pour l'Association de Protection de la Ferme des Bouillons, mais pas la fin du combat : restait, selon nous, à garantir que la ferme sauvée du béton serait le support d'activités durables et généreuses, articulées dans une logique de bien commun.
Les membres de l'association ont alors orienté leurs travaux dans deux directions : rachat collectif et citoyen du site, avec le soutien du mouvement Terre de Liens, et rédaction démocratique d'un projet global pour la ferme, alliant agriculture biologique, circuits courts, formation, éducation populaire et culture, dans la droite ligne de ce qui avait été entrepris dès les premiers jours de l'occupation. Ce projet a été rendu public au printemps 2015, avec des porteurs de projets identifiés. Dernier obstacle à sa concrétisation : la propriété du site, toujours aux mains du groupe Auchan.
Le 24 juillet 2015, nous apprenons que la ferme fait l'objet d'un compromis de vente entre la société Immochan et une Société Civile Immobilière (SCI), dont nous ne connaissons pas à ce jour l'identité. Résolus à ne pas laisser partir la ferme entre n'importe quelles mains, nous engageons avec la Confédération paysanne et Terre de Liens Normandie la seule démarche qui nous est permise : saisir la Société d'Aménagement Foncier et d'Établissement Rural (SAFER), arbitre des transactions en matière de foncier agricole. Enjeu : obtenir de la SAFER qu'elle use de son droit de préemption, pour étudier dans la transparence tous les projets qui se porteraient sur la ferme, y compris le nôtre. La SAFER disposant de deux mois après signature du compromis de vente pour préempter, et celui-ci ayant été signé le 2 juillet, l'instruction d'une demande de préemption doit se faire dans le courant du mois d'août. Il y a donc urgence à agir.
À l'occasion d'une première prise de contact, la SAFER nous informe qu'une demande de préemption sur ce dossier serait difficilement envisageable. Après un appel à un rassemblement de protestation, et au vu des arguments présentés, la SAFER accorde finalement un rendez-vous, ce mercredi 29 juillet, à Terre de Liens, la Confédération paysanne et Romain, maraîcher et porteur d'une partie du projet agricole défendu par l'association. De ce rendez-vous, deux éléments ressortent : 1) la SAFER veut l'aval de la Direction Régionale à l'Agriculture, l'Alimentation et la Forêt (DRAAF), et donc in fine du préfet, pour exercer son droit de préemption ; 2) elle ne voit pas pourquoi préempter, le projet porté par la SCI étant un projet d'installation en permaculture, avec potager pédagogique et point de vente. Un excellent projet, en effet : c'est presque le nôtre ! Qu'est-ce qui nous chagrine, alors ?
Le point central de notre refus du projet porté par ce nouvel acteur sorti du chapeau au cœur de l'été, c'est l'absence de contrôle sur le fonctionnement opaque de ce type de société. En effet, en cas de revente partielle - même à 99 % - des parts de la SCI, la SAFER et plus largement la collectivité n'auraient plus légalement de regard sur les activités développées sur le site par les nouveaux propriétaires : fini alors le maraîchage bio ? Tout l'inverse de la responsabilité collective que nous cherchons à mettre en place depuis un an avec Terre de Liens.
La situation de Romain, l'un de nos porteurs de projet en maraîchage, nous semble également relever de la plus grande urgence, et de ce fait devoir bénéficier d'un examen attentif de sa candidature. Maraîcher en agriculture biologique depuis six ans sur des terrains loués de manière précaire, inséré dans des réseaux de distribution en circuits courts, ce père de famille sera sans terre, et donc sans revenu, dans quatre mois. Cette situation dramatique illustre la difficulté pour les jeunes maraîchers de trouver des terres pour s'installer durablement, ainsi que la pertinence de notre combat pour la préservation des terres agricoles périurbaines et l'installation d'une nouvelle génération de paysans.
Plus largement, nous avons la conviction que notre projet, élaboré dans la concertation, enrichi par les apports de milliers de sympathisants venus nous rencontrer et par ceux des nombreuses associations et collectifs venus travailler sur la ferme, correspond aux attentes, aux aspirations des hommes et des femmes de la métropole et bien au-delà. Exemplaire du point de vue citoyen, il promeut un modèle social, solidaire et responsabilisant, aux antipodes d'une activité strictement économique, même bio, s'adressant essentiellement à un public de consommateurs.
Pour que le sort de la ferme puisse faire l'objet d'un arbitrage entre les différents projets qui ont été déposés, les services de l'État doivent donner leur aval à une préemption par la SAFER. Est-il envisageable d'imposer une activité permacole portée par une SCI, mise en place sans concertation et dont la mise en œuvre devra passer par l'évacuation par la force des citoyens qui ont sauvegardé les terres et leur vocation agricole ? Soyons sérieux !
Ensemble, encore une fois, faisons entendre notre voix ; exigeons une procédure démocratique et équitable. Monsieur le préfet, donnez le feu vert à la SAFER !
Association de Protection de la Ferme des Bouillons