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Quatrième agglomération par sa taille après Paris, Lyon et Marseille, la Métropole Européenne de Lille est un carrefour stratégique entre Paris, Bruxelles et Londres, notamment grâce à ses connexion ferroviaires via le TGV ou l'Eurostar. Avec une population d'environ 1,2 millions d'habitants, elle occupe donc une place importante dans le paysage politique. Et dans le paysage des mobilités, elle occupe aussi une place très particulière dans le monde des transports. C'est une métropole "pionnière". En effet, c'est dans cette métropole qu'est né le premier métro automatique du monde, le VAL.
Une histoire d'innovation
Le VAL, c'est une innovation majeure dans l'histoire des transports en commun. Appelé au début Villeneuve d'Ascq Lille (d'où VAL), il est intégralement imaginé dans les années 60 par un visionnaire : le professeur Robert Gabillard, qui dirige alors à l'époque un laboratoire de recherche à l'Université des Sciences et Technologies de Lille. Lui et son équipe ont travaillé d'arrache pied sur un système de transport automatisé, conçu pour être à la fois compact, modulable et fréquent.
Dans les années 70, c'est au tour de la société Matra Transports de prendre le flambeau. Elle reprend les recherches et développe un prototype du VAL jusqu'en 1983, date à laquelle le premier VAL a été mis en service à Lille, à l'époque en plein cœur de la future Cité Scientifique. En 1982, la communauté urbaine de Lille organisait des portes ouvertes :
40 ans plus tard, de l'eau à coulé sur les ponts. Entre deux, on a ouvert non pas une mais deux lignes automatiques : la ligne 1, qui relie le CHU de Lille à 4 Cantons Stade Pierre Mauroy (avec le stade Pierre Mauroy accessible à pied) et la ligne 2 qui relie Lomme St. Philibert au Centre Hospitalier Gustave Dron à Tourcoing. Le dernier tronçon de métro ouvert, celui de la ligne 2 a été inauguré en 2000 en présence du Premier Ministre de l'époque, Lionel Jospin. Les deux lignes accueillent un nombre croissant de voyages (62 millions en 2000 et environ 126 millions en 2024), ce qui a poussé la communauté urbaine à réfléchir à un projet de modernisation, notamment pour la ligne 1.
Un projet de modernisation et un retard de 10 ans sur la mise en service
Retour en 2011. À l’époque, la LMCU (Lille Métropole Communauté Urbaine) vote le nouveau plan de déplacements urbains. Dans ce plan, il est notamment prévu de doubler la longueur des rames de métro de la ligne 1 reliant le CHU de Lille et le Stade Pierre Mauroy pour utiliser la totalité de la longueur des stations qui composent la ligne, notamment en raison de l'affluence toujours plus croissante sur cette dite ligne. Ainsi, les rames actuelles (VAL 208) devaient être transférées sur la ligne 2 afin d’augmenter la fréquence de celle-ci et par définition être remplacées par des nouvelles rames d’une longueur de 52 mètres. Cette extension et ce doublement sont accompagnés d’une révision du système de pilotage automatique et de la signalisation. Le coût du projet est estimé à 629 millions d’euros en 2013.
Après un appel d’offres de la part de la communauté urbaine qui opposait Alstom, Siemens et Bombardier, Alstom est choisi pour la fourniture de 27 nouvelles rames de 52 mètres ainsi que du remplacement complet du système de pilotage automatique des rames en 2012. En 2012, il est prévu une mise en service des nouvelles rames et du nouveau système de pilotage automatique pour 2015. Le nouveau pilote automatique, Urbalis Fluence, sera l'occasion pour la Métropole Européenne de Lille d'assurer son côté "pionnière" : en effet, ça sera la première fois que ce pilote automatique sera mis en service dans le monde (une première application mondiale selon Alstom).

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Nous sommes désormais en 2013, le marché est attribué, les délais fixés : les travaux peuvent commencer. C’est alors que le début de l’aménagement des stations débute en 2013, les rames actuelles devant par la suite s’arrêter sur la partie nouvellement aménagée pour laisser aux équipes le temps de rénover les anciens quais. À l'époque, la communauté urbaine commande une vidéo pour expliquer les étapes du chantier. Le tout doit être terminé pour l'Euro 2016.
Sauf que rapidement, le projet dérape et les premiers retards sont annoncés. Alstom annonce que des problèmes liés au développement du pilotage automatique paralysent les travaux et qu’ils doivent reporter la mise en service des rames. Pendant ce temps, néanmoins, des rames BOA commencent à être livrées au garage-atelier de Quatre Cantons à Villeneuve d’Ascq. Plusieurs reports et passages au tribunal administratif plus tard, la Métropole perd patience, notamment face à la situation qui commence à devenir un gag auprès des usagers : personne ne voit le bout de ce projet. Dans un communiqué, la métropole annonce poursuivre Alstom en justice et ainsi mettre fin à la médiation qui avait été engagée avec Alstom. Leur objectif : obtenir de la société et des dirigeants le fait qu’ils assument leurs responsabilités envers la Métropole et envers les usagers du métro face à une situation critique.
“En conséquence, la MEL va saisir la justice pour contraindre Alstom à remplir intégralement ses obligations aux termes du marché de modernisation du métro de Lille et à indemniser la MEL pour l’ensemble des préjudices subis, y compris en termes environnementaux. Un premier recours en référé va être déposé dans les prochains jours devant le tribunal administratif de Lille.” précise la Métropole Européenne de Lille.
Au lendemain de cette annonce, Alstom réagit, s’étonne et réfute les accusations de la Métropole Européenne de Lille, assurant avoir « fait la démonstration du fonctionnement de son système de métro automatique ». Ils ne nient pas avoir pris du retard dans ce dossier à 266 millions d’euros, mais en revanche, Alstom « conteste les propos tenus par la MEL au sujet de l’avancée du projet » et affirme ainsi « avoir fait la démonstration du fonctionnement de son système de métro automatique lors des derniers essais à Lille ». Dans son communiqué officiel, Alstom a assuré que « le groupe fera valoir ses droits dans le cadre de la nouvelle procédure juridique annoncée », affirmant être en mesure de prouver que son système de pilotage automatique était opérationnel.
Au résultat de plusieurs mois de procédure, le Tribunal Administratif de Lille a rendu son verdict : le juge des référés refuse de faire droit aux demandes de la métropole.
Un manque d'anticipation criant et de l'amiante
Dans les demandes, la MEL demandait notamment au tribunal de contraindre Alstom à "mettre en œuvre tous les moyens permettant de conserver la capacité totale de transport des deux lignes du métro". Sur cette demande, le juge des référés ne met pas hors de cause la responsabilité d’Alstom dans le retard du chantier, mais rappelle à la MEL que la société Alstom n’est pas liée contractuellement à la ligne 2, ce qui fait que les demandes sont jugées en dehors des “obligations contractuelles”. Une question que chacun peut se poser de manière légitime, c'est de savoir pourquoi la Métropole demande à Alstom d'assurer la capacité totale du métro quand le contrat ne les obligent que sur la ligne 1 ? Le manque d'anticipation.
Si vous avez bien suivi jusque là, vous savez donc que les rames actuelles de la ligne 1 sont censées être transférées à la fin du projet de modernisation sur la ligne 2 du métro. Sauf qu'évidemment, le retard du projet a causé du retard aussi sur ces transferts, impossibles pour le moment. Après le verdict du tribunal, La Voix du Nord révèle une information détonante : la MEL risque de perdre 38 rames de métro d'ici 2028, plus particulièrement 38 rames de la ligne 2 du métro jugées "trop vétustes". Toujours selon La Voix du Nord, le calendrier de sortie serait le suivant : "5 rames en 2025, 24 en 2026, 6 en 2027 et enfin 3 au début de l’année 2028". La MEL, complètement bloquée, n'a pas encore de "plan B" permettant de régler la situation. On apprend aussi que dès 2017, Siemens (le constructeur historique) avait approché la MEL et d'autres métropoles pour leur proposer de racheter des rames. Le matériel étant très spécifique, seule une commande groupée peut permettre l'ouverture d'une chaîne de production. La MEL participe d'abord, puis se retire des négociations. C'est la première erreur.
En mai 2024, on découvre de l'amiante sur les rames de la ligne 2. En juillet, sous la pression des syndicats et après un blocage de l'atelier de Tourcoing en mai, Ilévia décide de fermer à titre préventif les deux garages-ateliers de la ligne 2 pour des analyses, à quelques jours des Jeux Olympiques. La présence d'amiante est confirmée dans les rames. Là est le point de départ de la crise du métro qui va durer dans le temps. La ligne 2 et ses usagers va subir tout l'été un service très dégradé, avec au point culminant une rame de métro toutes les neuf minutes, du jamais vu depuis le lancement du VAL dans les années 80. Au total, ce sont 83 rames de VAL 206 (l'entièreté du parc de la ligne 2) qui ont été retirées du service commercial. En réalité, Médiacités révèle que l'entreprise serait au courant de la présence d'amiante depuis 2018.
Une crise du métro lancée, une communication minimale
La crise du métro semble bien entamée. Tout au long de l'été, la MEL (autorité organisatrice des mobilités) décide de rester totalement silencieuse, provoquant la colère de plus en plus forte des usagers. Ilévia, de son côté, décide de rassurer en assurant que tout va revenir à la normale rapidement. En août, elle annonce même à la presse que tout sera revenu à la normale en septembre. En réalité, la circulation normale de la ligne 2 sera revenu à la normale en décembre 2024, quatre mois après la date initiale. Un scandale dont les usagers ont décidés de se saisir.
En septembre, avec MobiLille, je lance donc une pétition demandant le remboursement des abonnements sur la période juillet - septembre, période à laquelle je considère que le service métro n'a pas été respecté, notamment pour la ligne 2 : "Il est inconcevable pour nous, usagers, de payer des abonnements à taux plein sans avoir la qualité de service que nous payons et que nous méritons." écris-je alors sur la pétition toujours disponible en ligne. La campagne #IleviaRembourse bats son plein, j'aurai l'occasion de vous en parler dans un autre billet de blog ici.
Ilévia, de part la voix de son directeur général refuse, et c'est bien normal : c'est tout un fonctionnement financier qui est mis à mal et Keolis (société exploitante des transports en commun pour le compte de la MEL) va probablement payer des pénalités. Sauf qu'à cette époque, je suis révolté. Comment une société de transports en commun peut rester silencieuse face à une colère populaire ? Comment la MEL, de part son classement et son importance sur le territoire, ne peut pas considérer que les choses vont mal ? Il a fallu plusieurs mois pour faire entendre aux deux organisations que le problème était plus grave que prévu.
En octobre, à quelques jours de la première manifestation devant la MEL organisée par mes soins, des élus de la métropole déposent une demande de mission d'évaluation et d'information (aussi appelée MIE) sur le matériel roulant d'Ilévia, pour mieux comprendre comment personne n'a pu voir l'amiante découverte. Le groupe MECS (écologistes), APM et MDS (socialistes) y sont associés. Le 18 octobre, la MEL refuse à la surprise générale cette MIE au profit d'une réponse par courrier du président de la MEL ainsi que du vice-président en charge des transports.
Un courrier que j'ai pu consulter rapidement après son envoi aux élus. Sur l'incapacité de la MEL à anticiper la fin de vie progressive des rames de VAL 206, la MEL répond en disant qu'elle n'avait pas de calendrier clair et qu'elle ne souhaitait pas commander de rames par peur de ne pas pouvoir les faire rouler sur la ligne 1. Un argument que je ne comprends pas puisque ces rames auraient pu servir à renforcer l'offre de la ligne 2 et de l'améliorer par la même occasion. La MEL a donc quitté la table des négociations puisqu'elle n'avait selon elle pas la possibilité de "se projeter".
Aujourd'hui, il n'y a toujours pas de stratégie claire de la MEL concernant le remplacement des 38 rames de la ligne 2 qui vont progressivement être mis au rebus. Si elle a bien demandé à Siemens de passer commande dans le courant de l'année 2024, Siemens à répondu que leur carnet de commande était plein. J'ai tout bonnement l'impression que la MEL compte sur la mise en service du 52m en 2026 et joue la montre.
Le projet de modernisation avance
À la surprise générale, le projet de modernisation de son côté avance bien, après des années à avoir patiné. Les ingénieurs d'Alstom semblent arriver rapidement à une version exploitable. Et c'est d'ailleurs là que la MEL va prendre une nouvelle mauvaise décision : déployer le pilote automatique en "période probatoire" (ou phase de déverminage) le 17 novembre 2024 sans que les opérateurs n'aient totalement été formés. En résultat : près de 19 heures de perturbations en un mois. Une décision que j'ai pu à de nombreuses reprises dénoncer, tant pour les usagers que pour les personnels qui devaient travailler sans connaître les procédures. Il aurait fallu attendre encore quelques semaines, tout au mieux quelques mois histoire que les formations soient plus complètes. Il y a des situations effectivement prévisibles, mais certaines restent imprévisibles avec l'affluence et le comportement des usagers. J'étais à bord du premier service commercial le 17 novembre avec mes collègues de MobiLille, un moment à la fois émouvant et excitant. Le VAL n'est plus sur la ligne 1.
Même si le pilote automatique semble aujourd'hui en mars 2025 se stabiliser de plus en plus, les usagers ont pâti pendant des mois de situations dégradées, d'interruptions de service avec bus relais bondés et de trajets alternatifs à gogo, le tout en payant un plein tarif puisque la MEL, en charge de la tarification ne souhaitait pas faire de geste envers les usagers. Presque 26 heures de temps perturbé en décembre 2024, 10 heures et 45 minutes en janvier 2025 et plus de 30 heures au mois de février, avec notamment une grande panne serveur paralysant la ligne tout une partie d'un samedi.
La MEL décide d'indemniser, un dispositif voté
On ne cesse de le dire, la pression populaire marche toujours. C'est parfois fastidieux, long, décourageant, mais il faut garder un objectif en tête : l'objectif que l'on s'est fixé collectivement. Après deux manifestations organisées par mes soins et ceux de MobiLille, et après une longue campagne médiatique à laquelle j'ai activement participé, notamment sur des grands médias comme Ici (ex-France Bleu) ou Le Point, Damien Castelain lâche le leste en décembre : il annonce que les pénalités imputés à Ilévia pour le non respect du contrat seront intégralement reversées aux usagers via des "offres commerciales à définir collectivement".
Outre le fait qu'aucune consultation avec les associations d'usagers n'ait été menée malgré nos demandes, la MEL a tout de même décidé d'indemniser les usagers par un vote au conseil métropolitain de février 2025. Évidemment, le dédommagement proposé n'est pas à la hauteur de toute la grogne des usagers, mais c'est un dispositif déjà meilleur que l'abonnement gratuit au service V'Lille (vélo en libre service) proposé au mois d'octobre, mettant ainsi de côté le public des personnes en situation de handicap.
Au total, quatre millions d'euros sont mis sur la table avec les offres commerciales suivantes : suspension du prélèvement de juin 2025 pour les abonnés permanents, afin d’offrir un mois de transport, un mois offert pour tout réabonnement annuel ou de 10 mois, encourageant ainsi la fidélité des usagers au réseau et une remise de 50 % sur tout abonnement mensuel souscrit entre le 23 mai et le 22 juin 2025. Selon la MEL, les propositions ont aussi été débattues en Commission Consultative des Services Publics Locaux (CCSPL), réunissant élus, associations et représentants des usagers. De source sûre, il s'agissait plus d'une réunion informative qu'une consultation pure et dure.
Voilà donc un résumé de la situation du métro lillois : un réseau de transport avec des usagers qui subissent au quotidien, en payant le prix fort et en ayant jamais un quelconque signe d'écoute de la part des pouvoirs publics. La Métropole Européenne de Lille, pionnière dans les transports automatisés, doit aujourd'hui relever de nouveaux défis et on peut même se demander qui est à la barre, comme j'ai pu l'écrire dans La Vie du Rail pour la FNAUT. Un réseau au départ pionnier et qui par des décisions politiques incompréhensibles et déconnectées a progressivement vieilli sans avoir de maintenance sérieuse et qui aujourd'hui présente de nombreuses failles et amènent à l'expression de nombreuses critiques. Le 52 mètres promis par le projet de modernisation devrait quant à lui arriver au début de l'année 2026, un délai qui semble de plus en plus tenable puisque les travaux ont déjà débutés sur les quais pour remplacer l'ancien matériel. La MEL n'a toujours pas de stratégie claire pour le remplacement des 38 rames de métro et n'a pour le moment toujours pas passée commande.
Dans tous les cas une chose est sûre, si je me suis battu pour toutes celles et ceux qui prennent les transports en commun pendant des mois, ce n'est pas pour arrêter maintenant. Je continuerais à défendre, confronter et déranger s'il le faut.