L’exil fiscal de Gérard Depardieu a fait couler beaucoup d’encre. Chacun y est allé de son petit commentaire. On a notamment vu une partie du monde du cinéma et du show-business apporter son soutien à l’acteur français. Une réaction corporatiste selon certains. Une réaction de classe à mon sens. Ceci d’autant plus que le patronat et certaines grandes fortunes (Leclerc, Afflelou…) sont à leur tour venus se solidariser avec le natif de Châteauroux. En réalité, c’est à une véritable offensive des forces de l’argent à laquelle nous avons assisté, une lutte de classe. Comme les salariés menacés par les suppressions d’emplois luttent dans leurs entreprises, les forces de l’argent se sont mobilisées pour défendre leurs intérêts. L’affaire Depardieu a fait sortir les loups du bois. Profitant de relais politiques et médiatiques, ils ont égrainé les plateaux de télévision afin de nous expliquer sournoisement à quel point il est difficile d’être fortuné aujourd’hui en France. Cette complainte du riche exploité subissant l’injustice du système s’est accompagnée d’un chantage au départ tout aussi insupportable que navrant.
L’offensive des forces de l’argent contre le système fiscal français
On peut définir les forces de l‘argent comme l’ensemble des personnes qui font de l’accumulation de richesses le fil conducteur de leur existence. Des personnes qui placent l’amour de leur compte en banque au-dessus de l’amour de l’humanité et voient dans l’Etat redistributeur un Etat confiscateur. En d’autres termes, les tenants de l’ultra-libéralisme et du système capitaliste.
Le monde du show-business en est l’une des composantes. Mais celui-ci n’a pas été le seul à se mobiliser pour légitimer l’exil fiscal de Depardieu. En effet, certaines grandes fortunes françaises ont aussi participé à la levée de bouclier des forces de l’argent. « Oui il (Depardieu) a raison (…), on a une fiscalité qui n’est pas solidariste, qui est revancharde¹», une «fiscalité injuste et confiscatoire²». Telles ont été par exemple les réactions de Michel-Édouard Leclerc et d’Alain Afflelou.
Les plus fortunés subiraient donc, selon eux, l’injustice du système fiscal français et attendraient davantage de solidarité de la part de l’Etat et donc des français. Traduction, « défendons les riches, taxons les pauvres³ ». A l’heure de la crise et de l’austérité, alors que le nombre de pauvres et de chômeurs ne cesse de croitre, voilà une belle leçon de solidarité !
Rappelons tout de même que l’impôt qui rapporte le plus à l’Etat chaque année est la TVA. Un impôt que tout un chacun paye, sans distinction de richesse. L’injustice est là, et nulle part ailleurs !
Victimisation des plus fortunés grâce à l’utilisation de mots épouvantails
Il est intéressant d’analyser le vocabulaire employé par ceux qui critiquent le système fiscal français et légitiment l’exil de certaines fortunes. Tout est bon pour faire des riches, de ceux qui ont le plus, des victimes. Ainsi, Charles Berling assimile la lutte contre l’exil fiscal au « maccarthysme », Alain Afflelou à « une guerre de tranchées», Laurence Parisot à une «guerre civile» et Charles Beigbeder à une « chasse ». Des propos somme toute mesurés ! On s’étonne d’ailleurs de ne voir aucune référence à Staline, Pol Pot ou à la Corée du Nord.
« On est entrain (…) de revenir en 1789 » (Afflelou), « quelque chose qui s’apparente à 1789 » (Parisot), « qu’auriez-vous fait en 1789, mon corps en tremble encore ! » (Deneuve), « résistons à nos Robespierre » (Beigbeder). La Révolution semble être un souvenir douloureux pour les forces de l’argent. Leurs pires cauchemars, l’abolition des privilèges du 4 aout 1789 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 aout. Pourquoi ? Car ces mesures portent l’estocade à l’Ancien régime et mettent fin à son système fiscal inique. En effet, à l’époque, les plus fortunés disposaient, grâce à leurs privilèges, d’exemptions fiscales. Le peuple, quant à lui, subissait les multiples taxes imposées par le pouvoir royal, l’Eglise et les seigneurs locaux. Un retour à l’ordre ancien, nul doute que les forces de l’argent en rêve ! Nul doute non plus que les Depardieu, Parisot et autre Afflelou auraient émigrés au moment de la Révolution pour protéger leurs capitaux et rejoindre les forces étrangères liguées contre la France.
Soutenir les plus fortunés, les forces de l’accumulation face aux forces du partage, la droite toute entière, de l’UDI au Front national, est en ordre de bataille. « Guillotine fiscale », « matraquage fiscal », « il a raison Gérard », sans riches, la France est « perdue », voilà ce que l’on peut notamment lire sur le blog de Gilbert Collard. Le secrétaire général du Rassemblement Bleu Marine prends clairement le parti des forces de l’argent, lui qui dit se soucier de la France et des français est en réalité complètement affidé au capital. Du coté de l’UMP, Copé et Fillon dénoncent en cœur le « matraquage fiscal ». Hervé Morin, co-fondateur de l’UDI, parle quant à lui d’une « politique fiscale confiscatoire ». Et oui, pour la droite, demander un effort fiscal aux plus fortunés s’apparente davantage à une mesure confiscatoire, à du vol, qu’à une mesure de redistribution des richesses.
Les médiacrates au service des forces de l’argent
Rendre acceptable l’exil fiscal, convaincre les français que les exilés sont des gens comme eux, justifier l’injustifiable, voilà l’objectif que se sont donner certains médias entièrement soumis aux forces de l’argent. Ainsi, Le Point a décidé de faire l’éloge de Gérard Depardieu, en pleine polémique sur son départ en Belgique, en déclarant notamment à son sujet, «vous savez ce qu’être français veut dire4 ». Fuir son pays en temps de crise, refuser de participer la contribution nationale, ne penser qu’à son patrimoine économique et se moquer du sort de ses concitoyens, voilà ce qu’être français veut dire ?
De son coté, Le Figaro a décidé de titrer l’un de ses articles « Les Français « comprennent » Gérard Depardieu5 ». On peut y lire que ceux-ci ont une certaine « empathie vis-vis des exilés ». N’est-ce pas là le monde à l’envers ? Ce type d’article n’est voué qu’à une chose, décrédibiliser le discours de ceux qui disent qu’il faut davantage taxer les plus fortunés. « Vous voulez la taxe à 100% au dessus de 360 000 euros, mais regardez, les riches s’exilent et les français les comprennent ! ». Une chose est en tout cas certaine, les exilés fiscaux n’ont aucune empathie envers les français qui souffrent.
Ironie du sort, ceux-là même qui défendaient l’exil fiscal de Depardieu, pleurent aujourd’hui de façon totalement hypocrite les chiffres du chômage. Soutenir l’exil fiscal c’est soutenir les forces de l’argent, combattre le chômage c’est agir contre la précarité. Voilà deux logiques antagonistes.
¹ Charles-Edouard Leclerc, Europe 1, 26/12/12
² Alain Afflelou, RTL, 22/12/12
³ François Morel, France Inter, billet du 28/12/12
4 Le Point.fr 27/12/12
5 LeFigaro.fr 20/12/2012