Le droit d’en suer !
Pour la mixité des équipements sportifs
Lettre ouverte à Anne Hidalgo, Maire de Paris
Madame la Maire de Paris,
Dans la rue, il y a quelques mois, il y avait une campagne d’affichage ambitieuse.
« À Paris, les sportives gagnent du terrain »
Waouh ! Elles devaient partir de très loin vu comme elles sont difficiles à trouver sur les équipements sportifs publics…
Sur le site de la mairie, il y a pour l’essentiel une mesure qui doit les y aider, à savoir « engager des temps d’animations sportives et culturelles : pour inciter et habituer les femmes à réutiliser les terrains de sport en accès libre. »
On a assisté à une telle séance d’incitation avec nos enfants : une association sportive était parvenue à convaincre quelques filles de se rendre sur le terrain de foot de la Grange-aux-Belles, dans le 10e arrondissement où, habituellement, il n’y a que des hommes.
C’était un chouette événement. Mais inciter les femmes à utiliser les équipements sportifs existants n’est pas suffisant. Pour que l’égalité femme/homme y règne, il faut surtout adapter ces équipements eux-mêmes.
Nous avons mené deux observations de tous les équipements sportifs du 10e arrondissement (le nôtre) du point de vue de leur fréquentation femme/homme : d’abord le matin du samedi 9 septembre vers 11h puis le dimanche 1er octobre vers 18h, par beau temps.
Le premier constat rejoint une intuition largement partagée : les hommes y sont surreprésentés.
À la Grange-aux-Belles par exemple, magnifique équipement enserré par une piste de course, qui comprend deux terrains de foot, deux terrains de basket, deux tables de ping-pong et une piste de saut en longueur, il y avait 21 adolescents, 2 garçons et 10 hommes sur le terrain pour 3 fillettes : une qui courait avec son père sur la piste de course et les deux autres qui jouaient dans le bac à sable de la piste de saut en longueur… Le dimanche, on comptait 2 garçons, 16 adolescents et 20 hommes pour… zéro fille.
Sur le terrain de basket du canal Saint-Martin, il y avait 23 hommes pour 4 femmes le samedi de septembre, et, le dimanche d’octobre, 7 adolescents et 10 hommes pour… aucune fille. Sur les équipements de musculation installés à proximité, nous avons compté 1 femme contre 13 hommes le samedi et 3 femmes contre 18 hommes le dimanche.
Au total, lors de notre première observation, il y avait 77 garçons (enfants, adolescents et adultes) pour 13 filles (dont 7 fillettes). Soit un ratio de 16,9 %. Franchement pas génial… Lors de la deuxième, les femmes étaient un peu plus nombreuses, 21 pour 109 hommes. Soit 19,26%.
Ces résultats cachent trois tendances qu’il serait bon d’avoir en tête quand il s’agit de vouloir féminiser la fréquentation des équipements sportifs.
D’abord, certains équipements sont clairement plus mixtes que les autres. Alors pourquoi ne pas les favoriser ? Ainsi, sur le terrain de pétanque du jardin Villemin, les femmes représentaient très exactement 50% des effectifs lors de l’observation du dimanche. Vive la pétanque ! De même, le skate parc comptait 4 filles et 4 garçons le samedi et 6 garçons et 3 filles le dimanche. Il y a plein de sports mixtes, voire majoritairement féminins (comme le foot est majoritairement masculin, du moins pour l'heure). C’est à vos expertes et experts d'identifier ceux qui pourraient faire l'objet d'un équipement public au lieu de vouloir à tout prix mettre les filles au foot et au basket, ce qui est bien mais pas suffisant pour l’égalité.
La deuxième tendance est plus intéressante encore : plus, sur un terrain donné, il y a de monde et moins il y a de femmes sur ce même terrain. Dit autrement : la proportion du nombre de femmes est en raison inverse du nombre d’usagers. Ou encore : plus il y a de monde, moins la part des femmes est importante. Pourquoi dès lors ne pas démultiplier des petits terrains au lieu des grands où seuls les mâles règnent ?
Dernière tendance, qui mériterait d’être confirmée par d’autres observations : la proximité avec des jeux d’enfants semble favoriser la mixité des équipements sportifs. Nous avons pu l’observer dans le square Juliette Dodu, où les petits (filles et garçons) débordent leur aire de jeux pour occuper le terrain de basket voisin, emmenant dans leur sillon leurs parents, parmi lesquels, leur maman.
Favoriser les sports mixtes, voire féminins comme les danses urbaines que des superbes athlètes sont contraintes de pratiquer dans les espaces de fortune qu’elles trouvent aux Halles ou à la Défense ; favoriser les petits espaces sportifs pour endiguer la règle qui veut que le ratio de femmes diminue avec le nombre d’usagers, enfin, assurer la proximité entre aires de jeux et équipements sportifs sont à même d’en augmenter la fréquentation des filles, adolescentes et femmes.
C’est une question de justice. Puisque les femmes sont 53% à Paris, il n’y a pas de raison qu’elles paient plus pour des équipements dont elles bénéficient moins, non ?
La Révolutionnaire Olympe de Gouges réclamait, au nom de l’égalité entre les hommes et les femmes le droit pour elles de monter sur l’échafaud. Elle fut d’ailleurs guillotinée…
Nous réclamons pour toutes le droit égal d’en suer !
Et vous prions d’agréer, Madame la Maire, l’expression de nos considérations distinguées.
Camille Laplanche et Matthieu Niango
Membres du mouvement A Nous la démocratie ! Pour une démocratie plus directe.