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Billet de blog 20 mars 2023

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La fontaine de vie de Poutine

Le régime poutinien ravive l'idée de lebensborn, portée par les Nazis.

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La fontaine de vie de Poutine

            Je recommande un livre aux spécialistes autoproclamés de la guerre en Ukraine : Analogies at war — qu’on pourrait imparfaitement traduire par Les analogies en guerre, de l’universitaire américain Yuen Khong. L’ouvrage nous met en garde contre les comparaisons hasardeuses à partir de l’exemple de la guerre du Vietnam, mal comprise par des états-majors américains induits en erreur par des parallèles obsessifs avec les conflits antérieurs.

Une comparaison historique peut égarer au lieu, comme elle devrait, d’éclairer qui doit, de toute façon, en user avec la plus grande prudence — une vertu largement ignorée de nos Intellectuels médiatiques : tout à son goût pour la guerre en général, Bernard Henri-Lévy compare ainsi l’Ukraine en proie à une agression extérieure, à l’Espagne républicaine des années 30, déchirée, elle, par la guerre civile, pour en appeler au soutien inconditionné à Zelenski — lui-même d’ores-et-déjà tenu par l’écrivain pour un nouveau Churchill. Moins courageux que lui, qui au moins va régulièrement sur place, le belliqueux Raphaël Enthoven démultiplie ad nauseam, depuis son appartement parisien, les accusations de Munichois envers qui ne partage pas sa tendance romantique à vouloir envoyer les autres se faire tuer, etc.

Cette précaution prise, un parallèle entre un aspect du conflit actuel et l’un des programmes nazis les plus fous, me semble toutefois sauter aux yeux, et éclairer la nature profonde de ce que nous sommes en train de vivre.

Dans les zones occupées, les Russes, soit par la force, soit par la ruse en incitant les parents à les envoyer dans des colonies de vacances, enlèvent des enfants ukrainiens pour leur inculquer les valeurs patriotiques du régime. L’ampleur du phénomène est sujette à discussion, mais la gravité des fait ont amené la cour pénale internationale à lancer un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine et ses complices pour ces faits de déportation. Les Nazis ont enlevé par milliers des enfants jugés racialement valables à leurs parents pour les faire élever par le Reich. Cet eugénisme obsessionnel a été en partie l’œuvre du lebensbornfontaine de vie en vieil allemand — un programme que je connais bien car ma mère est née dans un tel endroit, en Belgique, le 11 octobre 1943.

Créé par le chef de la SS, Heinrich Himmler, qui leur portait un intérêt d’une constance confondante, ces pouponnières, initialement installées en Allemagne dès 1936 pour permettre aux filles-mères de bonne race d’accoucher, ont ensuite été disséminées sur le territoire occupé, y compris en France. Elles ont progressivement accueilli aussi des enfants de parents voulant soutenir le Reich par leur progéniture, ainsi que des petits tout bonnement dérobés — comme cela se passe, maintenant, en Russie.

Ayant pour égérie une star du régime, Maria Lvova-Belova — surnommée Bloody Mary et elle aussi sous le coup d’un mandat d’arrêt international — le programme de russification semble reposer sur la même crainte maladive que la nation à la démographie en berne s’affaiblisse. Tout comme les femmes allemandes par les nazies, les russes sont incitées à enfanter par la réactivation du titre de « mère héroïne » instauré par Staline, ouvrant droit à une gratification financière substantielle. Surtout, l’adoption a été facilitée par un décret de Vladimir Poutine, à la façon dont les enfants des lebensborn, dont beaucoup étaient le fruit d’unions hors mariage encouragées entre SS et femmes racialement remarquables en Allemagne puis en pays occupés, devaient être envoyés dans des familles allemandes exemplaires, loin du front.

Tout comme pour le lebensborn, des raisons humanitaires sont mises en avant pour dissimuler cette incorporation forcée à la patrie russe. Le procès de Nuremberg a d’ailleurs pris pour argent comptant l’argument, laissant repartir libre Inge Viemetz, la Bloddy Mary de l’époque — à qui fut confiée, par exemple, la tâche de placer, pour les élever à l’allemande, les enfants racialement valables des parents massacrés à Lidice en Tchécoslovaquie.

La comparaison avec le lebensborn laisse envisager le pire pour ces enfants d’Ukraine, qui, outre d’avoir été arrachés aux leurs, souffrent maintenant probablement d’une éducation totalitaire dispensée dans des circonstances encore obscures, comme le furent ceux des pouponnières nazies, sortis de là avec de graves carences affectives et de développement.

Si la guerre se durcit, et toute proportion gardée avec l’abomination nazie, on peut trembler à l’idée de ce qu’il pourrait advenir, à la longue, des petits qui résisteraient trop à l’endoctrinement russe — les enfants des lebensborn finalement jugés déficients ayant été soumis à un « traitement spécial » évoqué par Himmler dans sa correspondance en des termes, qui, connaissant l’affreux personnage, n’ont malheureusement rien d’énigmatiques.

À l’aune de ces lebensborn russes, la guerre en cours semble répondre à un besoin de régénérescence vitale. De ce point de vue, l’appellation de génocide, prévue par l’ONU pour désigner ce genre de prédation d’enfants à grande échelle, semble ici susceptible de brouiller les intentions profondes du régime russe : de même que le sang germanique est, pour Himmler, à aller chercher partout, de même ces enfants sont bien russes pour les fanatiques du régime poutinien, des frontières artificielles les ayant séparés de leur patrie naturelle.

Il y a bien sûr des différences évidentes entre le programme de russification forcée et le lebensborn : les enfants n’y semblent pas choisis sur la base de leur apparence physique. Contrairement à ce qui se passait dans les lebensborn, leur sélection ne commence pas non plus dès celle de leurs parents prétendument racialement purs. Mais il faut craindre que, la guerre durant, le délire patriotique russe renforce cette impression de triste remake nazi. C’est qu’avec Poutine comme Hitler, l’expérience montre que faire l’hypothèse du pire est souvent indiqué.

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