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Billet de blog 28 avril 2021

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Macron : l'Etrange défaite

Ecrit après la débâcle de 1940, L'Etrange Défaite de Marc Bloch éclaire bien la crise de la France actuelle.

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Macron : l’étrange défaite

            « Nous sommes en guerre » : des mots qu’on ne prononce pas impunément. Un an après on en voit les effets : ils sont désastreux.

           Marc Bloch (1886-1944) a écrit un ouvrage qu’on relit beaucoup ces temps-ci, m’a dit ma libraire : l’Etrange défaite, portant sur la bataille de France, perdue en 1940.

           Rédigé en quelques mois, caché pendant l’occupation, ce livre décisif comporte trois parties, fort utiles pour comprendre cette autre drôle de guerre que nous vivons, initiée par d’aussi malheureuses paroles présidentielles.

            Dans la première partie de son essai, Marc Bloch, historien, officier de réserve volontaire, résistant fusillé par les Nazis, décrit son oisiveté pendant les longs mois de mobilisation sans combat. Il faut relire ces pages, aussi dramatiques qu’ouvertement drôles : Bloch ne fait rien, se mêle de tout, s’ennuie, fait de la randonnée, traînouille… On nous dit aujourd’hui qu’il faut tenir ensemble, nous flatte, exalte les vertus des Français qui viendront bien à bout du mal. Mais que nous demande-t-on ?  Je suis chez moi, je travaille, j’attends, passe du temps en famille. On me félicite. « Nous sommes en guerre ». Ah bon.

Au fond, Emmanuel Macron rêve de vaincre tout seul le covid 19. Il avait commencé par prendre l’essentiel des décisions avec le conseil de guerre (contre un virus, donc), puis l’on apprit qu’il dînait avec le Premier Ministre avant de réunir cette instance symbole d’une hyper centralisation infantilisante. Comment cela finira-t-il ? Le Président décidera-t-il tout seul, ou pire, entrera-t-il en scission avec lui-même, pour parodier un sketch fameux des Inconnus ?

            Il y a plus grave que l’oisiveté collective : l’action déçue. « Nous sommes en guerre » : ce genre de promesse non tenue peut prendre un tour dramatique quand elle tombe dans l’oreille de ceux qui rêvent d’en découdre. Il est probable que pareille frustration entre dans l’explication de la fameuse tribune des généraux, que suivraient volontiers dans l’aventure des milliers de militaires mobilisés en paroles mais pas en actes.

            Dans le deuxième moment du livre, Bloch fustige les élites militaires et politiques du pays. Certaines des raisons avancées par le grand médiéviste pour expliquer la nullité de ses contemporains éclairent le désastre actuel : enfermés dans le passé, les cadres de 1940 sont incapables de s’adapter aux nouveautés de la guerre mécanique. Une semblable incapacité à s’adapter au contexte ouvert par la pandémie aura pareillement sidéré nombre d’entre nous. On vantait la souplesse de nos institutions, leur réactivité en cas de crise, l’efficacité de notre haute-fonction publique. Qui l’oserait aujourd’hui ? Qui niera le spectacle lamentable des atermoiements à chacune des étapes de la pandémie, vaccination, contrôles temporaires aux frontières, augmentation des capacités de soin, stratégie de tests, masques, et avant toutes celles-ci, anticipation même de sa survenue ? La cinquième République, monarchie élective, n’est pas seulement injuste : elle est inefficace.

            Enfin, Marc Bloch entame, de mauvaise grâce, ce qu’il appelle « l’examen de conscience d’un Français », c’est-à-dire une réflexion sur les causes profondes, sociales et psychologiques, de la déroute. Personne alors n’est épargné. Il a des mots très durs sur les élites sociales, plus promptes à s’amuser et à faire travailler les autres plutôt qu’à prendre les problèmes du pays à bras-le-corps dans le contexte tragique de l’avant-guerre. Que dire du spectacle des dîners mondains ? Que dire des profiteurs de pandémie qui auront vu leur fortune grimper encore ? S’attend-on sérieusement à ce qu’ils ne fassent pas tout pour ne pas contribuer à la facture de la crise économique, comme ils le devraient en effet ?

            Là où le parallèle avec l’Etrange défaite touche à sa limite c’est, il me semble, quand Bloch critique la classe ouvrière pour avoir continué de revendiquer alors que le danger hitlérien se profilait avec tant de précision. De nos jours, ce sont bien les premiers de corvée qui sont aussi en première ligne dans la lutte contre la pandémie et pour faire fonctionner la vie quotidienne. Il semble aussi qu’ils soient les premiers et les plus fatalement touchés par le covid-19. Il est en tous les cas certains que les couches populaires seront les premières victimes d’une crise économique qui ne fera qu’accuser les inégalités sociales, considérablement renforcées sous ce quinquennat. Il faut espérer que Bloch, qui donc blâme le comportement des couches populaires de son temps, ne soit pas trop éclairant sur ce point … à moins que le présent marasme les pousse à porter Marine Le Pen au pouvoir, les faisant massivement adhérer, de guerre lasse, à la thèse du bouc-émissaire.

            C’est qu’avoir tellement « contribué à révéler beaucoup de division », comme s’en vante avec une naïveté confondante celui qui devrait être le garant de notre unité, n’est pas, pour Emmanuel Macron, une étrange défaite, mais plutôt une victoire étrangement revendiquée.

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