« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. » « On a une identité à défendre. » « On doit s’occuper des Français d’abord ».
Et puis,
« Les étrangers sont une chance pour la France ». « La France a toujours été une terre d’immigration ». « C’est cosmopolite, c’est génial ».
Deux faces d’une même médaille qui tente de récompenser une compétition qui n’a jamais existé.
Au cœur de ce combat imaginaire se trouve la xénophobie. Les uns essaye de la diffuser quand les autres luttent contre elle. Pourtant, la xénophobie n’existe pas, du moins en France hexagonale.
Le phénomène migratoire est surreprésenté dans le discours français, soutenu par – et de toutes tendances politiques - les médias, les partis politiques, les élus, les entreprises, etc.
Il est vrai que l’immigration pose un problème, mais cela dans un seul département de France : Mayotte. Dans ce département, près de la moitié de la population est étrangère. En raison de sa situation postcoloniale unique ainsi que de nombreuses dérogations à la loi nationale, des milliers de familles se retrouvent dans des situations ubuesques entrainant un enchainement de conséquences que toute la population de l’ile subit1.
Pour autant quand on parle d’immigration, on ne parle que très peu de Mayotte, et la situation de ce département est instrumentalisée par tous les partis nationaux, sans que le point de vue des Mahorais ne soit cherché à être compris.
Revenons-en donc à l’Hexagone. L’immigration est fantasmée, tout autant que la xénophobie.
Si l’immigration existe et existera de tout temps, il est important de brièvement la replacer dans son contexte. Prenons les chiffres de 2022 fournis par le ministère de l’Intérieur.
5,31 millions d’étrangers vivaient en France, soit 8% de la population. Parmi ces étrangers, 22% sont citoyens de l’Union européenne. Jouissant de la quasi-totalité des droits des nationaux, il est malhonnête, de la part des instituts de statistiques, de les intégrer dans le même chiffre que les étrangers.
Les étrangers non-citoyens de l’UE représentent donc 6% des habitants de France (4,1 millions). A noter qu’en 2021, près de 3,5 millions de Français vivaient à l’étranger.
Ainsi, pris à la lettre, le débat politique porte au sujet de 6% de la population. Mais tout l’enjeu est de cesser de prendre à la lettre ce débat sur un sujet qui n’existe pas. L’immigration en France est extrêmement basse dans le contexte actuel de la mondialisation. Et la xénophobie, en Hexagone, n’existe tout simplement pas. L’immigration est instrumentalisée à la fois par la droite et la gauche.
L'instrumentalisation par la droite et par la gauche de l'irréel
La droite, de Macron à Zemmour, utilise le discours imaginaire de l’immigration afin de confondre et dissimuler son idéologie raciste. La droite s’en cache d’ailleurs de moins en moins, ce ne sont pas les étrangers le problème, ce sont les races non blanches. L’accueil donné aux Ukrainiens fuyant la guerre l’a bien démontré. On pourrait bien expulser tous les étrangers (6% de la population donc) que la droite se retrouverait avec exactement le même problème, la présence de personnes non-blanches en France. Tout l’objet du discours de l’immigration de la droite est donc d’assimiler les non-Blancs à l’image de l’étranger. Cette confusion est également renforcée par l’islamophobie qui s’y superpose, tout autant qu’elle produit ces mécanismes racistes.
Quant à la gauche, l’instrumentalisation qu’elle pratique est plus complexe. Tout d’abord, la gauche est historiquement raciste. Baignant dans le même système que toutes les composantes de la société française, elle possède toujours un héritage colonial dans lequel se matérialise racisme et néocolonialisme, d’une manière différente que la droite certes.
La gauche instrumentalise donc la prétendue xénophobie ou immigration à des fins de combat contre son ennemie la droite. Afin de la contredire, elle opte pour une défense tous azimuts de l’immigration. A ces fins, elle use de toute une batterie d’argumentaires aux relents paternalistes, telle que l’utilitarisme, dernière version d’un long processus de réadaptation ayant fait évoluer l’esclavage en travail forcé et en engagisme. L’utilitarisme consiste en cet argumentaire affirmant que les étrangers rapportent à l’économie, ou qu’ils feraient les métiers que les Français ne veulent pas.
En tout état de cause, chaque minute où la gauche prend le temps de répondre à la droite ou de défendre les biens faits de l’immigration, elle se rend coupable. Elle entretient un débat fictif et use pour cela de procédés racistes.
Conséquences bien réelles
La conséquence de ce fourvoiement est double.
D’abord, elle permet l’existence de cet espace où les idées racistes sont diffusées sans aucun filtre, ni aucune limite. Bien que toute la gauche ne l’ait pas encore compris, il ne s’agit pas d’un débat sur les étrangers. Au sein de ce discours, la droite développe, argumente et déploie toute sa rhétorique de défense de la suprématie blanche. La gauche dans son aveuglement, bien souvent coupable, continue de défendre l’immigration, à côté de la plaque donc.
Ces positions créent une réalité fictive dans laquelle peuvent se mettre en place les mécanismes de domination et d’oppression bien réels. Les immigrés postcoloniaux sont les premiers visés à coup de politiques agressives et déshumanisantes (démarches administratives, accès inégale aux droits), mais c’est bien l’ensemble de la société qui est touché par ce suprémacisme blanc qui affecte chacun de nous, de manière bien particulière en fonction de notre position, par des privilèges ou des dominations.
La deuxième conséquence, est que ce discours empêche l’émergence de problématiques bien plus prégnantes. Sans ce feu de broussailles, de véritables sujets urgents pourraient être abordés, et la gauche devraient être l’espace dans lequel de tels discussions pourraient éclore.
La France n’est pas xénophobe car ce n’est pas la qualité d’étranger qui provoque rejet et domination. Ce que les porteurs du discours sur l’immigration/xénophobie excluent, consciemment ou inconsciemment, sont en fait les diasporas postcoloniales, les enfants de troisième culture et les identités transculturelles. Cette haine s’entretient par de complexes articulations de la colonialité française actuelle et de son système raciste qu’elle perpétue.
Une partie de la génération Z est de plus en plus consciente de ces enjeux. De nombreux jeunes, non affiliés à aucun parti, n’attendent plus et créent des initiatives pour contrecarrer ces discours, telle que le média anti-raciste Histoires Crépues.
Cependant, toutes les forces en présences, particulièrement ceux disposant de pouvoirs conséquents sur l’opinion, devraient s’efforcer de sortir des limites de ce discours irréel afin de cesser d’alimenter les mécanismes suprémacistes. Cela permettra ensuite d’ouvrir la discussion et laisser place à des analyses plus justes et plus constructives.
1. Voir le film Koungou réalisé par Naftal Dylan S. & Mass Youssouf